"Le visage de l'Argentine a beaucoup changé", Christophe Ventura (IRIS)

L'Argentine élit dimanche 25 octobre un nouveau président après près de quinze ans de "Kirchnérisme". Le favori du scrutin est réputé pour ses positions libérales. Christophe Ventura, chercheur-associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste de l'Amérique Latine, analyse la situation économique de l'Argentine à l'heure de la baisse des cours des matières premières, et les marges de manoeuvre dont disposera le prochain dirigeant du pays.
La présidente Argentine Cristina Kirchner achève son deuxième et dernier mandat.

Le deuxième mandat de Cristina Kirchner s'achève et elle ne peut pas se représenter, quel bilan peut-on tirer de son action depuis 2007 ?

Le « Kirchnérisme » s'inscrit dans la tradition péroniste, une singularité dans les cultures politiques d'Amérique latine. Nestor Kirchner était arrivé au pouvoir en 2003, en pleine crise économique et sociale suite à l'effondrement du pays dans la foulée la crise de la dette de 2001. Son épouse lui a succédé en 2007, poursuivant sa politique. Aujourd'hui, ce qui est très prégnant c'est que le visage du pays a beaucoup changé. L'Argentine est largement désendettée avec une dette qui est passée de 166% du PIB en 2001 à moins de 40% aujourd'hui. Cette période s'est également confondue avec la forte hausse des cours des matières premières et de la demande mondiale tirée par la Chine. Cela a permis à ce pays exportateur  - notamment de soja et de produits agricoles -  d'afficher un fort taux de croissance, de l'ordre de 7-8% par an jusqu'aux années 2010. Cela a permis à l'Argentine de mettre fin à l'explosion de la pauvreté et des inégalités par le biais de politiques sociales soutenues, de créer plus de 6 millions d'emplois, à l'Etat de constituer d'importantes réserves, d'améliorer le pouvoir d'achat, mais également de contenir la désindustrialisation du pays, un sujet récurrent de préoccupation en Argentine.

Justement, l'économie dépend encore beaucoup des matières premières, pas assez encore d'une forte industrie. Peut-on dire que le pays a vraiment changé ?

Effectivement, l'économie dépend beaucoup des exportations de maïs et de soja. Ce qui n'est pas sans provoquer de vifs débats dans le pays sur les conséquences de cet agrobusiness notamment sur l'environnement. Le pays n'a pas su diversifier son économie. Toutefois, certains secteurs ont connu d'importants développements comme les télécommunications, la sidérurgie ou la mécanique avec l'industrie automobile. Mais, la réindustrialisation du pays prend du temps. Le pays a besoin de capitaux et de développer ses propres technologies, or, celles-ci dépendent encore trop des pays du Nord.

Daniel Scioli est le favori de la présidentielle de dimanche. Il est soutenu par Cristina Kirchner, tout en promettant de gouverner autrement. Quelles sont ses marges de manœuvres ?

Daniel Scioli est le candidat de cette coalition péroniste, mais il représente sa frange la plus libérale. Il est le plus favorable aux intérêts privés et au libre-échange.  Dans un contexte de ralentissement significatif de la croissance (entre  0,4 et 1,6 % de croissance selon les organismes) dû à la décélération mondiale et à la chute des cours et de poussée inflationniste, il pourrait ainsi être tenté par modérer les politiques publiques dans le cadre d'une politique de rigueur.

Deux fonds d'investissements, qu'on appelle fonds vautour, refusent toujours le plan de restructuration de la dette argentine qui avait pourtant permis de résorber la grave crise financière de 2001. Est-ce que l'issue de ce conflit fait peser une lourde hypothèque pour les finances argentines ?

A cette étape, je ne pense pas. Il y a peu de chances que le nouveau gouvernement change de position sur le sujet, à savoir, ne pas rembourser ces deux fonds vautour à hauteur de la valeur faciale de la créance, qui n'a rien à voir d'ailleurs avec le prix auquel ils l'ont achetée, et continuer de rembourser ses autres créanciers dans les conditions obtenues lors des négociations de 2005 et 2010. Le conflit se poursuit devant la justice américaine. Le problème c'est que l'administration Obama est très mal à l'aise sur ce sujet qui est indéfendable mais elle rechigne à bouger dans le contexte électoral actuel. Ces fonds sont proches des Républicains.

Ce sujet n'est-il pas comme un épouvantail pour les investisseurs ?

D'une manière générale, les investisseurs ont une mauvaise image de l'Argentine qui n'applique pas une politique très libérale. Les salaires augmentent, le droit du travail se renforce. D'ailleurs, le pays est absent des marchés internationaux depuis la crise de 2001. Mais le pays trouve des lignes de crédit ailleurs pour financer sa dette, comme avec la Chine par exemple. L'enjeu de ces prochains mois, toutefois, sera de savoir si le pays va dévaluer sa monnaie pour relancer ses exportations, comme c'est le cas au Brésil.

Commentaires 5
à écrit le 25/10/2015 à 13:10
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L Argentine est entrée en résistance vis à vis de la domination américaine et de la mondialisation ultra libérale. Par les temps qui courent, c est une voie difficile et audacieuse, mais courageuse, qui, espérons le, permettra à ce pays de maintenir...

à écrit le 25/10/2015 à 2:21
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Je me permets de vous signaler une grosse erreur au début de vote article. "Le favori du scrutin est réputé pour ses positions libérales". C'est totalement faux. Daniel Scioli est le favori. Or le candidat libéral, c'est Mauricio Macri, hommes d'affa...

à écrit le 24/10/2015 à 18:52
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portrait idyllique; oui forcement y a plus de dette, ils en ont repudie une grande part et finance le reste avec l'inflation l'auteur a au moins l'honnetete de dire que plus personne ne veut aller la bas, sauf la chine..... et avec la chine, il vaut...

le 25/10/2015 à 3:07
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le grand probleme de l argentine est la qualite de sa gouvernance et ce depuis tres tres longtemps. et pourtant quel pays au plan de ses potentialites !!!!! de plus pour l avoir parcouru je peux affirmer que ses habitants sont tres accueillan...

à écrit le 24/10/2015 à 16:58
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"Conditions obtenues lors des négociations de 2005" ?? L'Argentine avait imposé ses propres conditions au mépris des pratiques usuelles dans ce genre de situation, ce qui avait conduit un certain nombre d'investisseurs à refuser l'échange, menant à l...

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