Les Etats-Unis, premiers exportateurs mondial de GNL, disputent le marché européen du gaz aux Russes

La crise énergétique européenne a permis aux Etats-Unis de devenir le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL) devant le Qatar et l'Australie. Avec pour enjeu sur le long terme de réduire la dépendance de l'Europe à l'égard du gaz russe et d'accroître leur part de marché. C'est à la lumière de cette dépendance qui transforme le gaz naturel en arme géopolitique qu'il faut voir les mises en garde réitérées de Washington contre Berlin et le projet Nord Stream 2, un gazoduc acheminant directement du gaz de la Russie à l'Allemagne, et géré par le géant russe de l'énergie, Gazprom. Décryptage.
Robert Jules
Un méthanier russe à quai devant le terminal de liquéfaction de gaz naturel près du village de Prigorodnoye sur l'île de Sakhaline, au large de la Sibérie.
Un méthanier russe à quai devant le terminal de liquéfaction de gaz naturel près du village de Prigorodnoye sur l'île de Sakhaline, au large de la Sibérie. (Crédits : Reuters)

La crise énergétique en Europe montre son étroite dépendance aux importations de gaz naturel. Cela a fait les affaires des Etats-Unis qui, pour la première fois, sont devenus au mois de décembre le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL) en supplantant le Qatar et l'Australie. Selon les données compilées par l'agence Bloomberg, 1.043 méthaniers ont exporté du GNL à partir des Etats-Unis en 2021, dont près de la moitié à destination des pays asiatiques, et un tiers vers les pays européens.

Et selon l'Administration fédérale d'information sur l'énergie (EIA), la tendance devrait se poursuivre, au regard des projets en cours qui devraient encore ajouter de nouvelles capacités en 2022 comme le terminal de Venture Global Calcasieu Pass, à Cameron Parish en Louisiane d'une capacité annuelle de 10 millions de tonnes. Ce sont en effet des milliards de dollars qui ont été investis dans la filière et les infrastructures depuis une quinzaine d'années pour transformer le gaz en liquide par refroidissement et le charger sur des méthaniers pour l'acheminer à travers le monde. Aujourd'hui, les deux principaux terminaux méthaniers aux Etats-Unis pour l'exportation sont celui de Sabine Pass, au Texas, au bord du golfe du Mexique, géré par la société Cheniere et celui de Freeport LNG sur l'île de Quintana au Texas.

L'exploitation du gaz de schiste

Ce développement est en ligne avec l'exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis, permise par une méthode controversée, celle du fracking (consistant à injecter d'importants volumes d'eau sous pression pour fracturer la roche et délivrer le gaz contenu dans les schistes). En Europe, cette méthode a été bannie dans la plupart des pays pour des raisons environnementales. Aux Etats-Unis, cette "révolution du gaz de schiste" a permis de faire passer la production de gaz naturel de 575,2 milliards de m3 en 2010 à 914,6 milliards en 2020 (en baisse par rapport à 2019, en raison de la crise sanitaire), soit une hausse de quelque 60%, selon le BP Statistical Review 2021.

L'Europe a vu dans le même temps passer ses importations de 313,9 milliards de m3 en 2010 (dont 89,1 milliards de m3 de GNL) à 326,1 millions de m3 en 2020 (dont 114,8 milliards de m3 de GNL). En 10 ans, les seules importations de GNL ont donc progressé de quelque 29%, sans prendre en compte leur envolée en 2021. L'Europe est de plus en plus dépendante aux importations de gaz naturel, ce qui fait d'elle la première région importatrice du monde avec une part de 34,7% des importations totales de gaz naturel en 2020, dont un part de 12,2% pour le GNL (le restant étant acheminé par gazoducs), fournies principalement durant des années par l'Algérie, le Qatar et le Nigéria. Mais deux acteurs voient leur part croître rapidement depuis 2017, les Etats-Unis et la Russie, cette dernière ayant par ailleurs fourni 167,7 milliards de m3 à l'Europe en 2020 via ses gazoducs, soit 51,4% des importations totales du Vieux continent.

Arme géopolitique

C'est à la lumière de cette dépendance qui transforme le gaz naturel en arme géopolitique qu'il faut voir les mises en garde réitérées de Washington contre Berlin et le projet Nord Stream 2, un gazoduc acheminant directement du gaz de la Russie à l'Allemagne, et géré par le géant russe de l'énergie, Gazprom. Les Etats-Unis veulent exercer un moyen de pression contre Moscou, très dépendante des revenus générés par ses exportations d'hydrocarbures, et soupçonnée notamment de vouloir déstabiliser l'Ukraine.

Mais les Etats-Unis comptent également accroître les parts du marché européen de GNL de leurs entreprises gazières. Un accord avait d'ailleurs été signé en ce sens en 2019 entre l'administration Trump et la Commission européenne.

Après de nombreux retards, Nord Stream 2 est théoriquement opérationnel depuis septembre dernier. Prenant prétexte de la crise énergétique européenne, le président russe Vladimir Poutine a demandé à nouveau fin décembre que la procédure de certification énergétique par Berlin et la Commission européenne soit accélérée.

Fragilité d'une offre reposant sur les renouvelables

Or quelques jours auparavant,  Robert Habeck, vice-chancelier de la nouvelle coalition au pouvoir à Berlin, et membre des Verts, jugeait que ce projet était "une erreur". Autre membre influent des Verts, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, considérait qu'il "ne répond pas aux exigences de la législation européenne sur l'énergie". Des prises de positions qui ont créé des tensions au sein de la coalition formée avec le SPD et les libéraux. Les Verts, qui ont déjà obtenu dans l'accord de gouvernement une sortie plus rapide du charbon (2030 au lieu de 2038), et qui ont définitivement entériné la fin du nucléaire en Allemagne, comptent sur l'accélération du développement des énergies renouvelables pour assurer la dépendance énergétique du pays et lutter contre le réchauffement climatique.

Mais la crise énergétique que connaît l'Europe cet hiver a montré la fragilité d'une offre reposant uniquement sur les renouvelables, comme le montre le recours croissant aux énergies fossiles et au nucléaire pour absorber les pics de consommation d'électricité. Et si pour assurer la transition, dans ces conditions, les Verts allemands n'ont jamais fait mystère de préférer le gaz étasunien au gaz russe.

Robert Jules
Commentaires 8
à écrit le 09/01/2022 à 9:05
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uncle sam menace poutine, histoire de pousser son gaz.......malin, le yank

à écrit le 09/01/2022 à 4:15
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On comprends mieux cette augmentation non justifié du gaz . Cela va amortir le prix du transport des méthanier venant des USA et leurs permettre de faire des bénéfices .Pour les Français on se fou de savoir s'ils veulent du gaz américains ou russes ...

à écrit le 07/01/2022 à 13:24
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Et pendant ce temps la, l'Allemagne nous pousse vers la sortie du nucléaire pour être encore plus dépendant du gaz qui je le rappelle génère du co2 (2kg de co2 pour 1m3 de gaz non liquéfié ). Vu que notre bilan carbone est encore bon avec le nucléair...

le 07/01/2022 à 16:18
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Mais nous ne sommes pas anti européen ,ni anti vax nous sommes juste lucide .

à écrit le 07/01/2022 à 10:20
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Transporter du GNL par bateau sur des milliers de miles avec un retour aller... à vide ! est une aberration économique. Force est de reconnaître qu'un pipe Line est quand même une meilleure solution. La géopolitique se fout du changement climatique.

le 07/01/2022 à 11:56
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Les Etats-Unis ne sont pas à une contradiction de plus. Après il existe déjà des livraisons par méthanier depuis le Golfe Persique mais en qu'elle quantité ? Ce qui est idiot c'est le pétrole de roche mère qui en plus d'être un mauvais pétrole co...

le 07/01/2022 à 18:51
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@ réponse de Benoît Donc, avec le gaz...tout faux sur toute la ligne.(•‿•)

le 08/01/2022 à 20:26
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@benoit: de nombreux méthaniers ont été déroutés vers l'Asie, plus offrant, ça a contribué à une hausse générale des prix. Pas assez de gaz pour tout le monde, la Norvège a pioché dans son stock à cause des éoliennes pas assez productives (le vent ne...

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