Pays producteurs de métaux stratégiques : la tentation du cartel

L'Indonésie pour le nickel ou la Bolivie, l'Argentine et le Chili pour le lithium invoquent la possibilité de constituer des groupes de pays producteurs pour réguler l'offre et maîtriser l'évolution des prix à l'instar de l'Opep. Alors que le secteur privé est prépondérant dans l'exploitation minière et la production de métaux, le rôle central joué par la Chine risque de limiter ces initiatives.
Robert Jules
Vue de la mine de nickel de Tubay dans le sud des Philippines.
Vue de la mine de nickel de Tubay dans le sud des Philippines. (Crédits : Reuters)

L'accélération d'une substitution des hydrocarbures par les métaux, exigée par la transition énergétique, est en train de modifier la carte géopolitique des pays producteurs. La semaine dernière, dans un entretien accordé au Financial Times, le ministre de l'Investissement indonésien Bahlil Lahadalia évoquait l'idée de créer un mécanisme visant à contrôler l'évolution de l'approvisionnement et des prix mondiaux de métaux tels que le nickel, le cobalt et le manganèse, des métaux stratégiques qui entrent notamment dans la composition des batteries pour véhicules électriques.

Le géant asiatique n'est pas le seul à évoquer cette piste. En Amérique du Sud, le mois dernier, les ministres des Affaires étrangères d'Argentine, de Bolivie et du Chili ont discuté d'un tel mécanisme, mais davantage centré sur le lithium. Ils espèrent même convaincre l'Australie, le premier producteur actuel de ce métal, de les rejoindre.

L'Indonésie, ancien pays membre de l'Opep

L'évocation de l'exemple de l'Opep par l'Indonésie n'est pas anodine. Ce pays connaît bien le fonctionnement de l'organisation pour en avoir été membre entre 1962 et 2008, puis brièvement en 2016, avant d'en sortir définitivement car il est devenu importateur net de pétrole, en raison du déclin de sa production locale.

L'Opep vise théoriquement à « assurer la stabilité des marchés du pétrole dans le but de sécuriser une offre de pétrole régulière, efficiente et économique aux consommateurs, un revenu stable aux producteurs et un rendement régulier du capital pour ceux qui investissent dans l'industrie pétrolière », selon les textes fondateurs de l'organisation.

Pour autant, un tel mécanisme ne va pas de soi. Contrairement à l'Opep, où les pays membres contrôlent leur production de pétrole, le secteur minier est éclaté entre compagnies publiques et compagnies privées. Ainsi, en Indonésie, premier producteur mondial de nickel, 4 des 5 plus importants sites localisés dans les Célèbes (Sulawesi) sont exploités via des concessions qui se comptent en décennies par des compagnies privées étrangères. La plus importante mine appartient au Brésilien Vale, la deuxième au Chinois Tsingshan, la troisième et la cinquième au Suisse Solway. Seule la quatrième est exploitée par une entreprise publique indonésienne, PT Indonesia Asahan Aluminium (Inalum). Les compagnies privées sont également très présentes chez les autres principaux pays producteurs comme les Philippines, la Russie et l'Australie. Dans ces conditions, il est difficile de mettre en place un mécanisme de gestion des prix par les pays, les compagnies privées devant produire comme les « majors » pétrolières en fonction de leur propre intérêt.

Des ressources de lithium encore à exploiter

Le statut du lithium est quelque peu différent du nickel. D'abord sa production est plus modeste, 100.000 tonnes produites en 2021, contre 2,7 millions de tonnes pour le nickel. Mais c'est le métal dont le marché va subir le plus de tension en raison des besoins pour la production de batteries pour les véhicules électriques. Sa demande devrait bondir de 42% d'ici 2040, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Si la Bolivie, l'Argentine et le Chili veulent faire cause commune, c'est qu'ils disposent des plus importantes ressources identifiées de lithium de la planète, respectivement, 21 millions de tonnes, 19 millions de tonnes et 9,8 millions de tonnes, selon l'USGS. Néanmoins, aujourd'hui, le premier producteur est l'Australie (55.000 tonnes en 2021), selon l'USGS, l'Institut géologique des Etats-Unis, le Chili (26.000 tonnes) et la Chine (14.000 tonnes). La Bolivie, elle, qui commence sa production, a extrait à peine plus de 500 tonnes, un volume inférieur à celui du Portugal.

Même si les trois pays veulent proposer à l'Australie de les rejoindre, un tel projet d'un cartel du lithium semble difficile à envisager, d'autant que, comme le souligne l'USGS, des projets d'ouverture de mines sont en cours dans de nombreux autres pays pour répondre à la future demande : Autriche, Brésil, Canada, Etats-Unis, Chine, Congo (RDC), Tchéquie, Finlande, Allemagne, France, avec le projet d'Imerys en Auvergne...

Last but not least, une Opep des métaux, quelle que soit sa forme devra composer avec un pays producteur majeur, mais aussi et surtout un des premiers consommateurs de métaux : la Chine. Le géant asiatique est le premier producteur de batteries pour véhicules électriques, avec une part de quelque 60%, et doit sécuriser sa chaîne d'approvisionnement en métaux. C'est la raison pour laquelle nombre des ses entreprises minières sont présentes à travers des prises de participation dans de nombreux projets miniers à travers le monde, à l'instar de la compagnie Zijin mining, présente dans 14 pays hors de Chine. En outre, sa domination s'exerce aussi dans le raffinage des minerais en métaux. Ainsi, si trois groupes miniers chinois comptent parmi les 10 entreprises mondiales productrices de lithium, en revanche, plus de 50% du concentré de lithium mondial est raffiné par des entreprises chinoises.

L'enjeu industriel des batteries pour véhicules électriques

Un avantage qui risque de peser lourd dans la compétition mondiale pour augmenter la production de véhicules électriques. Les Etats-Unis, et surtout l'Europe, encore plus en retard, mettent les bouchées doubles sous forme de plans de soutien à l'industrie pour lancer des gigafactory de batteries et développer des filières intégrées.

Au Canada, cette compétition a pris un tour politique. Au nom de « la sécurité nationale », les autorités vont obliger trois entreprises chinoises à céder leurs participations dans des compagnies minières locales, pour sécuriser les approvisionnements canadiens de 31 minerais considérés comme stratégiques, dont le cobalt, le manganèse et le lithium. Cela met un coup d'arrêt aux investissements chinois au Canada qui, depuis plus de 20 ans, se chiffrent en milliards de dollars. Une décision qui pourrait préluder d'une montée généralisée du protectionnisme tant l'enjeu est devenu vital pour les pays occidentaux. Dans ces conditions, vouloir constituer une Opep des métaux va s'avérer un redoutable défi.

Robert Jules
Commentaires 9
à écrit le 08/11/2022 à 20:55
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Bonjour Donc mettre plus de moyens pour la fabrication des ultra. Condensateurs que nous maîtrisons parfaitement après tout le graphene de ce n'est que du carbone.

à écrit le 08/11/2022 à 11:57
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On devrait développer d'autres technologies plutôt que de tout miser sur la voiture électrique. Nous allons encore une fois être tributaire de pays souvent hostiles.

à écrit le 08/11/2022 à 9:38
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Il faut lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur sous forme de fiction dévoile la réalité des coups tordus de la Chine qui en échange des minéraux rares dont elle dispose en quantité s'accapare les ressources essentielles d'un...

le 08/11/2022 à 10:43
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Même commentaire que Marcel Poirier, mot pour mot. Quand vous lancez une opération de promotion clandestine, changez quelques phrase pour cela se voit moins ! MDR !

à écrit le 08/11/2022 à 1:36
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Faut se lancer dans plusieurs cultures permettant de se préserver des pénuries

à écrit le 08/11/2022 à 0:50
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C'est intelligent au lieu de se faire concurrence et une guerre des prix qui ne profitera seulement aux banquiers et marché boursier. Qu'ils imposent leurs prix avant que les américains viennent sonner la fin de la récréation.

à écrit le 07/11/2022 à 23:48
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OPEP+, cartel du pétrole qui perdure...Maintenant, un futur cartel des métaux ? Les pays qui ne veulent rien exploiter chez eux (comme la France) doivent payer leurs besoins en ressources aux pays producteurs ! C'est tout à fait normal ! MDR !

à écrit le 07/11/2022 à 19:57
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Il faut lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur sous forme de fiction dévoile la réalité des coups tordus de la Chine qui en échange des minéraux rares dont elle dispose en quantité s'accapare les ressources essentielles d'un...

le 07/11/2022 à 23:56
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Tu veux des terres rares ? Tu les payes ! Le reste est de la litérature pour se consoler de devoir les payer. MDR !

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