Quand l'élite économique du Maroc se forme dans les grandes écoles françaises

Les étudiants marocains représentent le premier contingent d’étudiants étrangers dans les meilleures écoles d’ingénieurs et de commerce françaises. Une réussite encouragée par les institutions marocaines, qui les incitent à mener de brillantes études puis leur carrière dans l'Hexagone avant de rentrer au Maroc. Enquête.
16 étudiants marocains ont intégré l'Ecole Polytechnique en 2022, faisant d'eux le principal contingent d'étudiants étrangers à l'X.
16 étudiants marocains ont intégré l'Ecole Polytechnique en 2022, faisant d'eux le principal contingent d'étudiants étrangers à l'X. (Crédits : Reuters)

La performance leur a valu un tweet de félicitations de l'ambassade de France au Maroc. En 2022, 16 Marocains ont été admis à l'Ecole Polytechnique, soit plus du tiers des étrangers qui ont intégré la première école d'ingénieurs française. Loin d'être un épiphénomène, les Marocains s'illustrent chaque année dans les concours d'entrée aux grandes écoles françaises. Ils sont près d'un millier à y étudier chaque année selon l'Association des Marocains aux Grandes Ecoles (AMGE) fondée en 1994 par des étudiants de HEC et qui compte aujourd'hui 5.000 alumni.

Pour beaucoup de jeunes Marocains ambitieux, issus pour la plupart des classes les plus aisées du Maroc, les grandes écoles de commerce et d'ingénieurs françaises représentent un passage obligé dans leur cursus honorum vers d'éminentes carrières, d'abord en France avec l'espoir de revenir dans leur patrie.

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Un pari sur l'avenir

Loin d'y voir une fuite de ses cerveaux, le royaume chérifien souffle dans les ailes des éléments les plus prometteurs de sa jeunesse. « Lorsqu'un étudiant marocain en classes préparatoires réussit le concours d'entrée d'une grande école française, il bénéficie directement d'une bourse de l'ordre de 5.000 euros par an de la part du gouvernement marocain ou d'une fondation pour faire de belles études et accumuler de l'expérience professionnelle sur place. Avec l'idée qu'ils retournent au Maroc même si ça n'est pas impératif. Cela fait partie de la stratégie de développement du pays », explique l'un des cadres de l'AMGE, qui bénéficie de ce soutien financier au titre de son admission à l'école d'ingénieur Telecom Paris. Le programme ne bénéficie toutefois qu'à une petite frange des 49.000 Marocains qui étudient en France chaque année.

Le Maroc ne se contente pas d'exporter ces talents vers le système français. Il les forme aussi dans près d'une vingtaine de classes préparatoires privées ou publiques sur son territoire, où les élèves s'entraînent aux concours de grandes écoles. Leur programme scolaire reprend celui de l'Education nationale française ou s'en inspire très fortement.

Les maths, matière reine dans le royaume

Le pays accélère le développement de ces prépas d'excellence, véritables tremplins vers Polytechnique, Centrale ou HEC. Inauguré en 2015, le lycée Benguérir ou « Lydex » se classe déjà parmi les dix meilleurs classes préparatoires pour les cursus d'ingénieurs. Dans la monarchie marocaine, les mathématiques demeurent la matière reine, comme cela fut longtemps le cas en France.

« Le poids du système scolaire français est encore très important au Maroc. Comme notre administration, notre système éducatif est très calqué sur la France. Il y a beaucoup de bons lycées français dans les grandes villes marocaines, qui donnent accès à l'orientation post-bac française », précise Samia* qui les a fréquentés avant de suivre une classe préparatoire à Versailles et d'entrer à l'ESSEC, la deuxième école de commerce française. A la question de ses motivations à quitter son pays pour l'Hexagone à 18 ans, cette consultante à l'élégance toute parisienne répond spontanément « les opportunités » et « le prestige ».

Dans une haute société marocaine restée plus francophone et francophile, après une décolonisation bien moins violente qu'en Algérie, les diplômes français restent synonymes de réussite et de distinction depuis des générations. « Dans les classes supérieures, accéder aux grandes écoles françaises est vraiment un objectif. Les parents n'hésitent pas à dépenser des sommes importantes, quitte à faire des sacrifices ou à s'endetter pour financer les études de leurs enfants. Ces parcours de réussite se perpétuent de génération en génération, avec des grands-parents, des oncles qui ont obtenu de grands diplômes en France, parfois même à l'époque du protectorat », raconte Mehdi*, arrivé lui aussi après son bac dans l'Hexagone pour suivre une classe préparatoire économique avant d'intégrer l'Ecole supérieur de commerce de Paris (ESCP).

Les diplômes français, sésame pour de grands postes

Au-delà du seul prestige, les meilleurs diplômes français font office de sésame pour accéder à de grandes responsabilités. Les actuels ministres de l'Intérieur et de l'Education nationale du Maroc ont ainsi fréquenté les bancs de l'X. Dans le privé, les exemples de dirigeants formés en France sont aussi légion, à l'image du patron de Renault Maroc Mohamed Bachiri passé (comme Mehdi) par l'ESCP.

Diplôme en poche, les jeunes Marocains commencent généralement leur carrière en France. A Paris, ils sont plusieurs milliers de jeunes cadres selon l'organisme Maroc Entrepreneurs. « C'est très fréquent de rester après son diplôme. On a nos amis, nos repères, les liens tissés pendant notre vie étudiante, une proximité culturelle. Le parcours classique, c'est de travailler en France 5 ou 10 ans avant de rentrer au Maroc. Dans mon travail, je croise très souvent des Marocains qui travaillent dans la finance, la tech, le conseil », témoigne Mehdi.

A 27 ans, ce dernier officie dans un grand cabinet de conseil de la capitale et vient d'obtenir la nationalité française, comme Samia qu'il connaît. Heureuse en France où elle s'est mariée, Samia se projette pour l'instant à Paris. De son côté, Mehdi goûte moins l'ambiance de la capitale depuis la pandémie et l'élection présidentielle. Son avenir devrait probablement s'écrire sous le soleil de Dubaï, où son salaire serait triplé.

Quand la brouille des visas retombe sur d'anciens étudiants

« Les rémunérations et le coût de la vie rendent la France moins attractive par rapport à Londres, New York ou Dubaï. Quand je vois mes jeunes cousins au lycée français à Rabat, la France garde l'image d'un eldorado mais elle se dégrade face à des destinations concurrentes pour les études comme les universités au Québec, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni », regrette-t-il. A l'écouter, l'étoile de la France pâlit aux yeux de l'élite marocaine.

Le durcissement des conditions de visas accordés par la France aux Marocains, en réponse au refus du Maroc d'accepter ses ressortissants frappés par une OQTF (Obligation de quitter le territoire français), n'arrange rien. « Ça a été mal vécu », reconnaît Samia, dont certains amis marocains n'ont pas pu - faute de visa - se rendre en France. Là où ils avaient pourtant effectué leurs études de médecine quelques années plus tôt.

*Les prénoms ont été modifiés

Commentaires 5
à écrit le 15/12/2022 à 1:08
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Beaucoup se forment aussi dans le monde anglo-saxons et certains désormais en Chine. Pour ceux qui passent par les grandes écoles françaises, la majorité revient au pays ou part à londres. (comme les français eux-même d'ailleurs)

à écrit le 14/12/2022 à 14:52
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Les Marocains brillants malgré de supers emplois à Paris rentrent chez eux quitte à gagner moins mais avec une qualité de vie bien meilleure qu'à Paris et la famille à côté. Des jeunes instruits et éduqués bien entendu issus de la bourgeoisie Maroc...

à écrit le 14/12/2022 à 7:01
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Je constate de plus en plus souvent des commentaires qui ne sont pas au bon endroit.Un des miens s’est retrouvé dans un sujet où il n’avait rien à faire,depuis je suis plus attentif. Que se passe-t-il à La Tribune?

le 14/12/2022 à 12:27
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Ah si la Tribune s'emmêle les pinceaux...Peut-être changer de pseudo : "matins perturbés" ou quelque chose comme cela.

le 15/12/2022 à 3:59
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C'est pas tres brillant de prendre un pseudo deja existant. Manque d'imagination sans doute, typiquement francais.

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