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« Je vais désormais me concentrer sur une transition de pouvoir ordonnée et sans accrocs. » Donald Trump semble vouloir revenir à la raison démocratique après avoir durant des semaines refuser de reconnaître sa défaite face à Joe Biden.
L'appel à ses partisans à manifester mercredi dernier pour faire pression sur les élus du Congrès le jour où ils devaient entériner la victoire du candidat démocrate a été le geste de trop. La retransmission en direct de la vandalisation du Capitole, théâtre d'un « coup d'Etat » d'opérette - cinq morts toutefois dont un policier -, a accentué sa décrédibilisation croissante dans l'opinion publique américaine.
Durant son mandat, Donald Trump n'a pas cessé de vouloir subordonner les institutions de son pays à son seul profit, qui ont résisté sans plier.
Recul des libertés
Car c'est paradoxalement la solidité des fondements de ces institutions qui a permis de supporter durant quatre ans un président dont l'action aura consisté, comme le rappelle l'ONG Freedom House, « à les éroder, comme en témoignent la manipulation partisane du processus électoral, les préjugés et le dysfonctionnement du système de justice pénale, les nouvelles politiques restrictives sur l'immigration et les demandeurs d'asile et les disparités croissantes en matière de richesse, d'opportunités économiques et d'influence politique. » Dans le classement des libertés par pays établi par l'ONG, les Etats-Unis ont perdu 2 points ces dernières années, une régression inimaginable avant 2016.
Cette évolution ne satisfait d'ailleurs aucun camp, comme le montre une enquête réalisée en septembre par l'institut Pew Research, selon laquelle à peine 30% des Américains trouvent « leur gouvernement ouvert et transparent », dont 26% d'électeurs démocrates et 36% d'électeurs républicains.
Deux sénateurs démocrates en Georgie
Même une partie de son électorat semble s'être lassée du jusqu'au boutisme de Trump. Le jour de l'invasion du Capitole, on apprenait que les deux candidats démocrates avaient remporté les élections sénatoriales dans l'Etat de Georgie, un bastion historique du parti républicain, amplifiant la victoire acquise de justesse par Biden dans cet Etat, contestée sans succès par le président sortant.
Un désaveu qui permet surtout aux démocrates d'obtenir une majorité inespérée au sénat. Joe Biden va pouvoir appliquer son programme politique, sans avoir à négocier avec le parti républicain sur lequel l'attitude de Trump a eu un effet dévastateur.
Car l'ex-animateur de télé-réalité, notamment de l'émission The Celebrity Apprentice, sur NBC, de 2008 à 2015 - avant de se faire limoger -, aura appliqué les mêmes recettes cyniques pour faire de l'audience en politique. Peu importe les faits - il aura rendu célèbre la notion de « fake news » -, seul compte les effets d'un discours performatif, comme l'illustre son slogan « Make America great again ! », martelé ad nauseam. Dire tout et son contraire dissout toute vérité, d'autant plus quand le discours politique se réduit aux 140 signes de messages twitter postés compulsivement, n'hésitant pas à insulter, à stigmatiser par ses propos racistes et misogynes, désignant à la vindicte de ses supporters des boucs-émissaires : la presse, les immigrés, les noirs, les homosexuels, les communistes, les démocrates... la liste est longue. Comme dans un show télévisé, Donald Trump, mégalomane, aura su habilement se présenter sur scène comme le seul capable de protéger et sauver l'Amérique de ses supposés ennemis.
Une amélioration du pouvoir d'achat des Américains
Mais maîtriser les ficelles d'un show télévisé ne suffit pas. Milliardaire, Trump aura aussi su jouer habilement de sa connaissance du monde des affaires et de son expérience d'entrepreneur, symbole de réussite qui imprègne la culture américaine. Sachant que la popularité d'un président est étroitement corrélée au niveau de chômage, il a favorisé des baisses d'impôts en 2017 et 2018 pour les ménages les plus aisés et les entreprises mais a exigé de ces dernières la création de « jobs » sur le territoire américain. Et cela a fonctionné. A la fin de 2019, le taux de chômage était tombé à 3,5% (il a explosé à 14,8% en avril 2020 et est revenu depuis autour de 6,7%), grâce à ces baisses d'impôts. Le cercle vertueux de la baisse du chômage avait permis une revalorisation des salaires, et une amélioration du pouvoir d'achat des Américains, notamment les plus modestes, poussant la Fed à étudier une hausse des taux sur laquelle Trump aura mis la pression sans se soucier de son indépendance.
Sa critique de la mondialisation, son éloge du protectionnisme auront séduit nombre d'Américains, patriotes attachés aux valeurs conservatrices, croyant toujours au "rêve américain", vivant mal la remise en cause du leadership de l'Oncle Sam face à la montée de la puissance chinoise, et la politique démocrate menée par Barak Obama durant ses deux mandats.
Mais le bilan économique est en trompe-l'œil. Trump aura à peine fait mieux qu'Obama en matière de croissance. Elle se sera affichée en moyenne annuelle à 2,5% pour le premier (sur les 3 premières années), et 2,25% pour le second (sur 8 ans).
Mauvaise gestion de la pandémie
Trump aurait pu néanmoins obtenir un deuxième mandat, s'il avait su gérer la pandémie du Covid-19, dont il a sous-estimé l'impact. Comme pour le réchauffement climatique, il a rejeté l'avis des experts scientifiques et celui des institutions sanitaires fédérales. Ce retard, justifié par la volonté de laisser coûte que coûte tourner à plein régime l'économie américaine, se solde à ce jour par un lourd bilan, presque 370.000 morts, selon le décompte de l'université John Hopkins ce samedi, largement supérieur à titre de comparaison à celui de l'Inde qui vient de passer le seuil des 150.000 morts.
Malgré la mauvaise gestion de la pandémie, Donald Trump aura recueilli les suffrages de 74 millions d'électeurs lors de la présidentielle contre plus de 81 millions pour Joe Biden. Même si la transition devrait se passer pacifiquement, le président démocrate qui prendra ses fonctions le 21 janvier ne peut ignorer cet électorat qui lui est hostile.
Ce que l'on a appelé le "populisme" s'est installé durablement dans les démocraties libérales. Il manifeste une crise de la représentation d'une importante partie des citoyens que les leaders politiques, à l'image d'Emmanuel Macron en France, ont des difficultés à résoudre.
Les quatre années du mandat de Donald Trump ont montré que la solution à cette crise de la démocratie ne passe pas par l'exercice d'un pouvoir qui exacerbe les passions et nourrit les extrêmes. Au contraire, un régime démocratique doit veiller sans cesse à consolider un cadre dans lequel les citoyens, quels qu'ils soient, puissent vivre en sécurité, à l'abri de la violence et du chaos, et en liberté, à l'abri de la tyrannie et de l'arbitraire. Ce sont là des conditions nécessaires à l'épanouissement des individus et au progrès économique.