Gaz naturel, pétrole, essence, blé, maïs, palladium, nickel... Les prix des matières premières pour un bon nombre d'entre elles ont récemment atteint des niveaux records. En témoigne l'indice CRB (qui suit l'évolution de 19 matières premières, réparties à 39% sur l'énergie, 41% sur l'agriculture, 7% sur les métaux précieux et 13% sur les métaux de base) qui a bondi sur un an de 50%. Celui du S&P GSCI (24 matières premières) a lui gagné 56%.
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Plus spécifiquement, l'indice des produits alimentaires de la FAO (suit les cours internationaux d'un panier de produits alimentaires de base) qui a progressé de 17% en un an pour atteindre un pic historique battant le précédent plus haut établi en février 2011. L'indice du LME (6 métaux non-ferreux) a progressé de 38%. De même pour acheminer tous ses produits, le fret maritime s'est trouvé lui-même en sous-capacité. Ainsi, l'indice Baltic Dry a progressé de 38% depuis un an.
Contrairement au cycle haussier précédent débuté au début des années 2000 qui s'expliquait pour une large part par l'appétit gargantuesque de la Chine pour tout ce qui était produit de base qu'elle transformait pour les exporter - c'était l'époque où elle était l'"atelier du monde" - mais aussi les utilisait pour développer ses infrastructures et son urbanisme nécessaires pour moderniser son économie. Depuis, elle a créé un important marché de consommateurs de classe moyenne au sein de sa population de 1,7 milliard d'individus.
Suspension des productions durant la pandémie
Mais cette fois-ci, les causes de la hausse sont différentes. Il s'agit en partie du ralentissement sinon de l'arrêt des activités de production de matières premières - mais aussi de transformation, d'acheminement, de stockage - durant les périodes de confinements entraînés par la pandémie du Covid-19. Or, la vigoureuse reprise économique mondiale durant le deuxième semestre 2021 a créé une demande élevée à travers le monde face à laquelle les chaînes d'approvisionnement n'ont pas été en mesure de répondre dans un laps de temps réduit, créant des goulots d'étranglement et la raréfaction des produits sur le marché, et donc la hausse des cours. Avec des marchés déjà en tension, le conflit russo-ukrainien est venu amplifier fin février le phénomène, notamment pour le pétrole, le gaz naturel, le nickel, le titane, le palladium, le blé, l'aluminium.
Or cette hausse des prix des "commodities" se propage à l'ensemble de l'économie. Par exemple, non seulement le blé est devenu cher, mais l'énergie utilisée par les minoteries pour le transformer en farine, le transport pour la livrer, et l'électricité pour faire tourner le pétrin du boulanger, ajoutent à chaque étape une majoration des coûts. Et c'est sur le prix final du pain que ses hausses se répercutent, ce qui va peser, en ant que dépense contrainte, sur les ménages les plus modestes.
L'inflation au plus haut depuis des décennies
Aussi, l'inflation, au sens d'une hausse généralisée des prix, va progresser mois après mois. Aux Etats-Unis, en février, elle a atteint un nouveau record historique à 7,9% sur un an, dans la zone euro, 5,8%, du jamais vu depuis la création de la monnaie unique, au Royaume-Uni, 7,25%.
La question est désormais de savoir si cette hausse des prix des produits de base va se poursuivre. En théorie, des prix élevés poussent les consommateurs à réduire leurs achats, à trouver des produits de substitution (par exemple, utiliser les transports en commun ou le vélo pour réduire l'usage de la voiture), ce qui détruit une partie de la demande, d'autant que dans le même temps, les prix élevés attirent de nouveaux investissements ou encore rendent rentables certaines productions (par exemple, l'extraction de pétrole de schiste), pour que s'opère progressivement le rééquilibrage entre l'offre et la demande mondiales.
Le problème est que cela prend du temps et par ailleurs peuvent surgir des "cygnes noirs" qui bousculent le mouvement comme par exemple des catastrophes naturelles ou encore des décisions humaines comme la guerre déclenchée par le président russe en Ukraine. Cette dernière va faire sortir du marché mondial deux pays producteurs de produits de base, en raison des destructions en cours en Ukraine et des sanctions économiques imposées au régime de Vladimir Poutine.
La nouvelle demande de la transition énergétique
Le phénomène que les banques centrales avaient jugé - à raison - "transitoire" dans des conditions économiques normales dure car d'autres transformations de l'économie mondiale sont en cours. Parmi elles, il y a la transition énergétique qui veut s'émanciper des hydrocarbures qui depuis le XIXe siècle sont au fondement du développement industriel et de l'économie de marché. L'irruption de la pandémie du Covid-19 a montré que la séquence de la mondialisation qui s'était ouverte avec le cycle de Doha au début des années 2000 s'est refermé avec la prise de conscience des pays occidentaux de devoir garder localement certaines activités ou de constituer des stocks stratégiques pour ne pas dépendre d'autres pays, notamment émergents comme la Chine. Enfin, le conflit russo-ukrainien montre le degré de destruction de valeur qui touche l'ensemble de l'économie mondiale.
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ZOOM : Quelques matières premières dont les prix ont explosé
Les prix de l'énergie ont fortement évolué. Si l'on se réfère par exemple au pétrole brut, le Brent de la Mer du nord qui sert de référence à l'Europe, il a progressé de quelque 60% sur un an, pour évoluer autour de 110 dollars, évolution que suit en parallèle la référence américaine, le WTI. Aux Etats-Unis, le produit raffiné qui a bien progressé est le mazout, de 70%. Le secteur des plastiques est également impacté par le prix élevé du pétrole.
En revanche, sur le marché gazier, qui n'est pas encore autant globalisé que celui du pétrole brut, en raison de contraintes que lève le recours depuis deux décennies au gaz naturel liquéfié (GNL), qui permet d'exporter plus facilement le gaz par voie maritime, il y a des divergences selon les régions. Si aux Etats-Unis, où le marché est très local, le prix du gaz naturel sur le marché à terme a augmenté de plus de 80% sur un an, en revanche sur le marché au comptant européen (aux Pays-Bas), il a bondi de plus de 600%. Au Royaume-Uni, c'est près de 550%. L'Europe a subi cet hiver l'intermittence de l'éolien, la réduction des livraisons russes ainsi que l'insuffisance d'infrastructures de GNL.
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Pour produire de l'électricité, les fournisseurs ont dû notamment se rabattre sur le charbon thermique, qui est aussi très demandé à travers le monde, notamment dans les économies émergentes en Asie (Chine, Inde mais aussi Indonésie, Malaisie) en raison de son prix meilleur marché que le gaz naturel et le pétrole. Sur le marché international, il s'est envolé de plus de 300%.
Le prix de l'uranium a également progressé de près de 120% et a atteint ce vendredi son meilleur niveau depuis mars 2011. Les Etats-Unis importent de la Russie quelque 16% de leurs besoins pour leurs centrales nucléaires.
Dans la famille des métaux, une inflation élevée devrait profiter à l'or, réputé protéger de la hausse des prix. Pourtant, sur le marché à terme de New York, il progresse modestement, de 14%. En revanche, le lithium, un métal très demandé pour la fabrication de batteries pour voitures électriques s'est envolé de plus de 480%. Le nickel, dont l'un des premiers exportateurs est la Russie, flambe, lui aussi, de près de 200% en raison de la demande sidérurgique (le nickel rend l'acier inoxydable) et également pour les batteries dont certaines contiennent aussi du cobalt, qui s'est apprécié de plus de 55%. Les autres métaux non ferreux pâtissent toujours de marchés plus ou moins déficitaires qui conduisent à la hausse des prix de l'étain (+76%), du zinc (+38%). L'aluminium dont le procédé de transformation par électrolyse est très énergivore a vu son prix bondir de plus de 60%. De même, le magnésium, un métal qui a de nombreuses utilisations industrielles, a flambé de 175% sur le marché chinois.
Dans les produits agricoles, le blé et le maïs subissent la guerre entre la Russie et l'Ukraine, deux exportateurs majeurs dans le monde, avec le prix du blé qui s'affiche en hausse de plus de 60% sur un an sur le marché international à terme de Chicago, celui du maïs de plus de 40%, ainsi que l'avoine (+ 72%), utilisé notamment pour la nourriture animale.
Outre l'utilisation de l'énergie, les prix agricoles devraient également augmenter en raison de la hausse du prix des engrais, qui s'affiche à plus de 90 % en France selon l'indice Ipampa.
Enfin, le cours de l'huile de palme, bannie en Europe par les consommateurs mais comptant parmi les huiles végétales les plus utilisées au monde, a battu un record de prix en Malaisie sur le marché à terme, l'un des principaux producteurs mondiaux. Sur un an, il a progressé de plus de 60%.