En déclarant la guerre au Hamas, Israël va-t-il aussi s'attaquer à l'Iran au risque d'un embrasement de la région ? En effet, selon des informations du Wall Street Journal (WSJ), publiées dimanche, des officiers du Corps des Gardiens de la révolution islamique d'Iran ont travaillé depuis août avec le Hamas pour planifier les attaques menées samedi contre l'Etat hébreu. Téhéran aurait donné son feu vert à l'attaque lundi 2 octobre lors d'une réunion à Beyrouth, selon des hauts responsables du Hamas et du Hezbollah, le parti chiite basé au Liban et soutenu par l'Iran, cités par le WSJ.
Pour les faucons américains, un tel engagement implique une réponse appropriée. « Si ce "11 septembre israélien " - au cours duquel des citoyens américains ont apparemment trouvé la mort - a été autorisé et planifié par le régime iranien, cela justifierait amplement le recours à la force militaire pour dissuader toute agression future », a résumé sur X (ex-Twitter) Lindsey Graham, sénateur conservateur de Caroline du Sud.
Téhéran nie toute implication
Téhéran a nié lundi être derrière les attaques du Hamas. « Les accusations et les déclarations liées au rôle de l'Iran sont fondées sur des motifs politiques et visent à justifier la lourde défaite du régime sioniste et à réparer l'image défaillante du régime sioniste », a déclaré Nasser Kanani, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, arguant qu'« évoquer le rôle de l'Iran vise à détourner l'opinion publique et à justifier les éventuelles prochaines actions » d'Israël.
Malgré le lourd bilan de l'attaque, l'administration Biden fait preuve de prudence. Samedi, un haut responsable cité par l'AFP considérait qu'il était « trop tôt pour dire » si l'Iran était « directement impliqué » dans l'offensive lancée par le Hamas, ajoutant toutefois qu'il n'y avait « pas de doute » sur le fait que le Hamas était « financé, équipé et armé » entre autres par le régime de Téhéran.
Les Etats-Unis ont versé 6 milliards de dollars à Téhéran
Le mois dernier, les Etats-Unis avaient tenté de renouer un dialogue avec Téhéran via le Qatar portant sur un échange de prisonniers, une opération qui a coûté 6 milliards de dollars issus de revenus pétroliers iraniens gelés. En effet, depuis que le président Donald Trump a décidé en mai 2018 de retirer les Etats-Unis de l'Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, visant à s'assurer que Téhéran ne poursuit pas son programme militaire pour se doter de la bombe atomique, des sanctions sont appliquées contre l'Iran, notamment sur ses exportations de pétrole et de gaz naturel.
C'est d'ailleurs le fait que la zone du Golfe Persique concentre 40% de l'offre mondiale de pétrole qui rend aussi prudent l'Oncle Sam qui vise aussi à éviter que la région ne s'embrase. « Bien que nous considérons la probabilité d'une attaque israélienne contre l'Iran comme extrêmement faible, le risque d'escalade est réel. Et même s'il ne possède pas d'armes nucléaires, l'Iran a la mainmise sur le détroit d'Ormuz, par lequel transitent 20 à 30 % du pétrole brut mondial. Or, la simple menace sur un passage sécurisé a un effet immédiat sur l'assurabilité des tankers et donc sur les flux physiques de pétrole brut. Nous anticipons que le marché va intégrer une prime de risque de l'ordre de 5 à 10 dollars », explique Benjamin Hoff, analyste Matières premières chez SG.
Si dès lundi après-midi, les prix du pétrole s'affichaient en hausse de 4%, ils restaient largement sous le seuil des 90 dollars, ayant perdu près de 10 dollars en moins de 10 jours, en raison du ralentissement de l'économie mondiale qui pèse sur la demande. Vers 18h, le cours du baril de Brent progressait de plus de 4%, à 88,16 dollars tandis que celui du baril de WTI s'appréciait de 4,2%, à 86,27 dollars.
Lire aussiPétrole : le prix du baril de Brent plonge et perd 10 dollars en moins de 10 jours
La production iranienne de pétrole en forte progression
Hors la prime de risque géopolitique, le retrait de l'Iran du marché pétrolier et gazier serait lourd de conséquences. La république islamique est, comme le Venezuela et la Libye au sein de l'Opep, non soumise à quota en raison des sanctions internationales. Or depuis janvier, il est l'un des rares pays, avec les Etats-Unis et le Brésil, à avoir augmenté sa production. Depuis janvier, l'Iran a ajouté quelque 600.000 b/j, faisant grimper sa production à 3,8 mb/j selon les données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), 4,2 mb/j (si on inclut les distillats). Représentant un peu plus de 4% de la production mondiale, il est difficile de se passer aujourd'hui de ces volumes sans faire flamber les cours du baril d'autant que son principal client est la Chine. L'Iran reste un poids lourd du marché pétrolier même pour l'avenir dans la mesure où il 12% des réserves mondiales de pétrole et 25% de celles du Golfe Persique.
Last but not least, l'Iran est un producteur majeur de gaz naturel, aujourd'hui devenu un produit nécessaire à la transition énergétique moins émetteur de gaz à effet de serre (GES) que le charbon auquel il se substitue dans la production d'électricité. En 2022, la république islamique a produit 259,4 milliards de m3, soit 6,4% de la production mondiale, ce qui le place comme troisième producteur derrière les Etats-Unis et la Russie. Il exploite le plus grand champ gazier du monde, South Pars, dont TotalEnergies était un partenaire majeur mais qui a dû y renoncer en 2018, en raison du retour des sanctions américaines. De leur côté, les autorités israéliennes ont demandé lundi à la compagnie américaine Chevron de cesser sa production sur le champ gazier offshore de Tamar sur la côte nord du pays pour des problèmes de sécurité. Signe de cette importance gazière, le prix du gaz naturel s'appréciait de 14% ce lundi sur la plateforme de référence européenne TTF.
Des revenus qui financent le terrorisme
Israël et ses alliés, les Etats-Unis au premier chef, se retrouvent ainsi dans une situation similaire à celle qu'ils ont dû traiter avec l'invasion russe de l'Ukraine. Si les Européens ont voulu imposer un embargo sur les exportations de pétrole russes pour éviter de financer la guerre, les Etats-Unis ont préféré opter pour un plafonnement du prix d'exportation du baril de brut à 60 dollars pour éviter un retrait brutal du volume russe du marché mondial tout en réduisant les revenus de Moscou. Aujourd'hui, Washington temporise pour éviter que le pétrole brut et le gaz naturel iraniens soient retirés du marché mondial. Mais, comme dans le cas de l'Ukraine, les revenus générés permettent à Téhéran de poursuivre le financement des opérations terroristes et leur lourd coût humain. Ce qu'Israël peut difficilement accepter.