
Risquée l'Afrique ? C'est la perception de nombre d'investisseurs... Or c'est faux, ou, en tout cas, très relatif ! En effet, « selon un rapport de 2021 de l'agence de notation Moody's concernant les taux de défaut sur des projets d'infrastructures, l'Amérique latine arrive en tête, avec 12 %, et l'Afrique ne pointe qu'en quatrième position, après l'Asie et même l'Europe de l'Est, avec 5,6 %. Bref, l'Afrique est bankable ! », a assuré d'entrée de jeu Gérardine Mahoro, fondatrice du cabinet de conseil ACT05 et gestionnaire du GONAT (Governing Natural Resource Outflows for Enhanced Economic Resilience).
Il s'agit donc, de la part des acteurs, de faire évoluer la perception des investisseurs internationaux, et, pour ces derniers, de prendre en compte ces données, en plus des perspectives qu'offre le continent, aussi bien en termes de croissance économique que de bonne formation de ses talents. Et un tel changement de perception impliquerait également des demandes moindres en matière de garanties...
Cela dit, entre les tensions géopolitiques actuelles et les hausses de taux d'intérêt pratiquées par les grandes banques centrales, les investisseurs ont davantage de mal, ces derniers temps, à prendre des risques, que ce soit pour financer des projets ou pour acheter des obligations d'Etat.
Des solutions existent
D'ailleurs, a souligné Alexandre Kateb, fondateur de The Multipolarity Report, une plateforme de recherche et de conseil stratégique, le marché obligataire africain est actuellement au point mort, la prime de risque s'élevant à pas moins de 1.000 points de base, un record... « L'argent est cher, a concédé Etienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) et de l'EBCAM (European Business Council for Africa and Mediterranean), et les exigences en termes de rentabilité trop élevées, mais les solutions existent. »
L'une des réponses aux défis de financement actuels passerait ainsi par une révolution à faire de la part des fonds d'investissement, trop souvent bridés dans leurs possibilités d'agir, y compris pour des montants relativement faibles, de l'ordre de 20 millions d'euros, leur préférant de gros dossiers de 200 millions, en raison, notamment, de leur statut les empêchant d'explorer certains secteurs économiques ou certaines régions du continent.
De même, une partie des aides publiques au développement pourrait viser directement les entreprises privées, au lieu de s'appuyer sur les plans de développement économique à long terme des pays d'Afrique, plans qui manquent en outre parfois de lisibilité.
Enfin, les intervenants ont tous prôné la création de marchés boursiers liquides, profonds, au moins à l'échelle régionale, et connectés à travers le continent, pour lever des liquidités, extérieures comme intérieures, au profit des entreprises.
Jouer les PME
Autre option, celle d'être en contact plus étroit avec des entreprises privées, notamment des PME et des ETI, en particulier dans certaines régions européennes, dont celle où se situe Marseille, puisque la vocation de cette ville-monde est de servir de passerelle entre l'Europe et l'Afrique. A cet égard, l'Union pour les Entreprises des Bouches-du-Rhône (UPE13), le Medef local, a déjà organisé plusieurs voyages, en vue d'explorer les opportunités d'affaires et de partenariats, a indiqué Philippe Korcia, son président, en précisant que l'Afrique, qui compte pour 18 % de la population de la planète mais seulement 3 % de PIB mondial, représente « le continent le plus important en matière d'échanges internationaux pour les entreprises de la région. »
Sans oublier l'innovation, et l'Afrique est riche de ses startups, ni l'agilité, dont font preuve les entrepreneurs et les Etats, qui sont, d'ailleurs, en avance sur l'Europe dans certains domaines, comme la réglementation des drones au Rwanda, a fait valoir Gérardine Mahoro. En somme, l'Europe, pour son propre développement économique, en particulier son industrie verte, a besoin de l'Afrique et de ses richesses. Elle a donc intérêt à la privilégier dans ses investissements...
L'Afrique pourrait s'autofinancer Si l'Afrique est considérée - à tort - comme un continent risqué, alors il faut « dérisquer »... Invité au Forum Europe-Afrique de La Tribune, Lionel Zinsou, économiste et ancien Premier ministre de la République du Bénin, devenu banquier d'affaires avec le lancement, en 2018, de SouthBridge, une banque d'affaires panafricaine, spécialisée dans le conseil, en particulier en finance carbone, a mis en avant plusieurs solutions. De fait, si, pour trouver des fonds, la taxation a ses limites, ne serait-ce qu'en raison d'une économie encore largement informelle et donc peu propice à la levée d'impôts, mieux vaut parier sur de nouveaux instruments financiers, voire une nouvelle philosophie. Cela dit, pas question de dépendre entièrement des pays riches... Lionel Zinsou l'assure, les Africains qui peuvent épargner le font dans des proportions plus élevées que les Américains et même les Européens, d'autant que les familles sont également alimentées en ce sens par les remises de fonds de la diaspora, qui s'élèvent à quelque 100 milliards d'euros par an (soit 3% du PIB total du continent). « Sur les 20 ou 25 % de PIB de l'Afrique dévolus aux investissements, seuls 5% viennent des flux d'investissements directs étrangers. Ce qui signifie que l'Afrique finance l'Afrique », martèle-t-il. Et si cela ne suffit pas, il reste de nouveaux partenariats prenant forme actuellement entre la philanthropie - des fonds tels que ceux de Bill Gates ou de Jeff Bezos sont très présents en Afrique - et la finance classique ainsi que les banques de développement, aidés par la blended finance. Une finance mixte, à base de dons et d'instruments innovants qui permettent d'attirer et de sécuriser des investisseurs privés, sous la forme d'investissements en actions ou de garantie de crédit pour le remboursement du principal ou des intérêts, notamment. Le tout pourrait également s'appuyer à l'avenir sur de nouveaux actifs. Car au-delà de ses richesses minières et pétrolières, l'Afrique a des ressources encore inexploitées ou en tout cas, peu valorisées. Ses forêts et ses mangroves, de même que sa biodiversité sont en effet autant de puits de carbone et d'éléments à prendre en compte en termes financiers, et encore plus face au défi climatique et à la nécessité de protéger l'environnement. Il s'agit donc d'élaborer un nouveau modèle de croissance économique, par le biais, en particulier, de certificats carbone pour l'Afrique, afin de dégager de nouvelles liquidités. Pas question, en tout cas, de brider le développement économique du continent, puisqu'il faut absolument poursuivre la lutte contre la pauvreté, mais tout en consentant également des investissements en matière de lutte contre le dérèglement climatique, via un nouveau pacte financier international. Et pas question non plus d'abandonner dès maintenant l'exploitation pétrolière et gazière, même si les banques européennes rechignent de plus en plus à les financer, au nom, précisément, de leur responsabilité environnementale. D'ailleurs, en cette période de transition verte, l'Europe et le reste du monde ont besoin de ces énergies, notamment le gaz naturel, et de ces ressources minières, rares et critiques. De quoi, d'ailleurs, changer le rapport de force entre l'Afrique et le reste du monde. Et Lionnel Zinsou en est d'ailleurs convaincu : « On va finir par imposer un modèle africain », conclut-il...
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