Votre livre, intitulé La Grande Rupture, Réconcilier Keynes et Schumpeter, fait le pari que nous ne sommes pas condamnés à la Grande Stagnation que craignent les économistes. On peut sortir de la crise par une grande croissance ?
Il n'y a pas besoin d'être prix Nobel d'économie pour constater que la reprise économique pourrait être très forte cette année, toutes choses égales par ailleurs s'agissant des nouveaux variants. La question clef, en cette sortie de la crise du Covid, est de réconcilier l'offre et la demande, de rééquilibrer la croissance. La crise sanitaire est survenue dans un monde très déséquilibré, avec une croissance mondiale au ralenti depuis quelques années déjà, depuis la crise financière de 2008, et même bien avant. Ce ralentissement a des causes bien connues : le vieillissement démographique, l'affaissement des gains de productivité et la montée des inégalités qui a particulièrement frappé les salariés les moins qualifiés. Dans un marché du travail bipolaire, qui n'est d'ailleurs au passage pas compatible selon moi avec une forte poussée de l'inflation car les salaires sont contraints, nous plaidons avec Alain Villemeur sur un nouvel équilibre fondé sur un trépied offre, demande et innovation.
Selon nous, il y a six répartitions qui doivent être modifiées en cette sortie de crise : entre salaires et profits, entre les générations, entre créations et destructions d'emplois, au sein de l'épargne entre actifs risqués et actifs sûrs, dans les dépenses publiques entre la protection sociale et la formation et enfin, dans les emplois, la répartition en fonction des qualifications pour privilégier les métiers de demain. En France, la répartition salaires et profits n'est pas le problème principal, mais c'est le cas aux Etats-Unis ou au Japon. En revanche, la question de l'orientation de l'épargne entre les actifs risqués et ceux garantis par l'Etat est majeure alors que l'essentiel de l'épargne est détenue par les plus âgés, adverses au risque.
Pour lutter contre la paupérisation des classes moyennes, la France doit agir sur le niveau des qualifications et donc des inégalités pour rendre la croissance plus inclusive. Pour mettre les compétences à niveau, nous proposons de baisser de deux points de PIB les dépenses de retraites pour les réallouer vers l'éducation et la formation. Pour réconcilier Keynes et Schumpeter, nous nous inspirons du modèle de Kaldor bien connu des étudiants selon qui on ne peut atteindre l'équilibre que par une répartition juste et appropriée des revenus mais en y associant la question clef de l'innovation.
Une partie des jeunes en Europe prône la décroissance. Le monde post-Covid ne risque-t-il pas d'être au contraire plus malthusien ?
C'est un vieux débat qui a été alimentée dans les années 70 par le rapport Meadows et en effet, ce peut être une tentation pour lutter contre le dérèglement du climat. Ce n'est pas selon moi une bonne réponse et il faut montrer que par une croissance plus juste, plus responsable, on peut trouver un autre chemin. La question des inégalités est au coeur du règlement de la question climatique.
Vous ouvrez ce vendredi les Rencontres Économiques à Aix-en-Provence, sur le thème « Saisir l'avenir ensemble » où économistes, politiques, syndicalistes et dirigeants d'entreprises de toutes sensibilités vont penser la sortie de crise. Que peut-on en attendre en cette année pré-présidentielle pour alimenter le débat ?
Nous sommes très fiers d'avoir réussi à rouvrir ce rendez-vous en présentiel comme on dit, car les Rencontres d'Aix-en-Provence sont un moment essentiel pour poser les débats de l'avenir dans la vie économique et politique de notre pays. Outre les nombreux participants que nous attendons sur place dans le Parc Jourdan sur les trois jours, en respectant scrupuleusement les consignes sanitaires et les jauges limitant encore le public, nous espérons avoir plus de 500.000 internautes pour suivre les débats en direct (https://www.lesrencontreseconomiques.fr/).
Trois questions sont au centre des réflexions : qu'est-ce qui doit vraiment changer dans le fonctionnement du capitalisme et que nous avons appris de la crise sanitaire ? Est-ce que la France est capable de rebondir, de surmonter son déclassement, notamment industriel ? Comment animer le débat économique pendant la présidentielle afin que les grands sujets soient traités ? L'un des points clefs des mois à venir concerne l'utilisation efficace du deuxième plan de relance.
Il est déjà actée selon vous ?
Il faudra, outre les 100 milliards d'euros déjà annoncés, un deuxième plan pour soutenir l'économie par les compétences. Cette crise a montré que la France a subi un véritable déclassement dans la recherche comme l'a montré le cas des vaccins. Il faut investir massivement pour remonter la pente et en contrepartie, traiter la question des inégalités avec pourquoi pas un revenu universel. Les Français ont pris conscience au cours de la crise du Covid de l'ampleur de ce déclassement, qui vient de loin, résulte des choix faits au cours des vingt dernières années.
Les Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence formuleront donc des recommandations sur ces sujets, à l'adresse des futurs candidats à la présidence de la République. Education, logement, répartition des revenus, fiscalité du patrimoine, politique industrielle et d'innovation : il faut un choc de croissance pour rebondir avec une action massive en faveur de la jeunesse et cela passe par un plan de requalification afin de faire monter les salaires qui sont trop bas dans notre pays.
Pour accélérer la meilleure répartition, ne faudrait-il pas comme le proposent Tirole et Blanchard, un alourdissement de la taxation des successions ?
Il faut sans doute taxer plus les grosses successions et surtout faire circuler le capital entre les générations en favorisant les donations vers les petits-enfants. L'élection présidentielle va aussi relancer le débat sur le financement des retraites, c'est évident. Il faut sortir du faux débat sur l'âge et avoir une règle d'équilibre fondée sur le nombre d'annuités de cotisation. On ne peut pas geler pour l'éternité l'âge de départ à la retraite dans une société qui vieillit.
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Les Rencontres Economiques d'Aix-en-Provence sont ouvertes à tous gratuitement en présentiel sur inscription.
L'ensemble du programme sera diffusé en direct sur lesrencontreseconomiques.fr
Programme, inscription et mesures sanitaires sur lesrencontreseconomiques.fr