
LA TRIBUNE - Cette crise de 2020 n'est pas comme les autres ?
JEAN-HERVÉ LORENZI - Avant la pandémie de Covid-19, l'économie mondiale était déjà en fort ralentissement avec un risque de guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, une Europe relativement absente sur la scène mondiale. La crise sanitaire a accentué toutes ces tensions. La France a été particulièrement touchée, parce que notre pays a appliqué un confinement très strict et avait des faiblesses structurelles, liées à sa désindustrialisation.
La première réponse politique à la crise a été réussie. Il s'agissait de protéger l'économie, les salariés, les entreprises, avec une palette d'aides publiques : chômage partiel, prêts garantis par l'Etat, soutien aux secteurs les plus affectés, ce qui a donné les plans aéronautique, automobile, tourisme... Nous devons désormais nous organiser pour la seconde phase, celle où il va falloir se retrousser les manches et réfléchir au monde d'après. On va s'en sortir, mais pas en se limitant à la politique du carnet de chèque. Il faut rétablir la confiance et faire dialoguer tous les acteurs, salariés et entreprises, patronat et syndicats, Etat et collectivités locales pour inventer des solutions nouvelles.
Avec Aix en Seine, la version en ligne de nos Rencontres Économiques que nous n'avons pas pu organiser à Aix-en-Provence cette année en raison des contraintes sanitaires, nous allons donner la parole à plus de 300 personnalités pendant trois jours de débats en ligne, accessibles gratuitement sur le site www.lesrencontreseconomiques.fr.
Quelles leçons peut-on tirer de cette crise ?
Santé publique, éducation, organisation du travail, bureaucratie : la crise sanitaire a révélé les faiblesses d'un système français trop vertical, trop cloisonné. Il faut donner plus de pouvoir aux échelons locaux, les régions, les villes, les associations, afin de donner plus de place aux initiatives de terrain. Le digital, le télétravail ont été massivement adopté. Cela modifie aussi les rapports de pouvoirs, encourage la productivité et le partage de l'information.
Surtout, il faut d'urgence relancer le « Produire en France ». Nous sommes les derniers avec la Grèce en part de l'industrie dans le PIB. Nous avons reculé de la première à la troisième place comme puissance agricole, derrière l'Allemagne et les Pays-Bas. Ce n'est pas une fatalité. J'en veux beaucoup aux élites qui ont renoncé dans le passé à produire en France : en laissant partir nos fleurons nationaux, Alcatel, Usinor, Lafarge, Péchiney, Alstom pour ne parler que des grands groupes, nous avons perdu plus que nos industries, mais aussi nos savoir-faire.
Vous appelez à se retrousser les manches. Au point de renoncer aux 35 heures ?
Sortons des antagonismes stériles. Les Français travaillent en moyenne 38 heures par semaine. La question est celle du travail en base annuelle, des RTT et du gel des rémunérations sur les petits salaires depuis vingt ans. Ayons le courage de lancer le débat, pas de manière idéologique, mais de façon pragmatique. Nous devons négocier un nouveau « pacte productif » au sens gaullien ou pompidolien... Retrouvons le goût du travail et de l'effort comme nos parents lors de la Reconstruction.
Pour rembourser la dette, faudra-t-il augmenter les impôts ?
Ayons l'intelligence de ne pas toucher à la fiscalité jusqu'à la prochaine élection présidentielle ! Augmenter les impôts ne serait pas un bon signal aujourd'hui. Le moment venu, il faudra poser la question des inégalités et de la répartition de l'impôt. Avant tout, la fiscalité doit inciter à produire en France. Il faudra pour cela abaisser les impôts de production.
La question de la dette viendra après. Il faut distinguer celle détenue par la Banque centrale européenne, qui est annulée de facto via les dividendes reversés aux Etats, de celle détenue par les investisseurs privés. Mais même dans ce cas, c'est gérable car pour le moment, les taux d'intérêt sont très faibles. La durée moyenne de la dette est de 7 à 8 ans en France. Nous avons donc du temps pour allonger la maturité de la dette Covid, à l'image des dettes perpétuelles de l'époque victorienne au 19ème siècle au Royaume-Uni.
Propos recueillis par Philippe Mabille
Sujets les + commentés