« Le monde économique est pleinement engagé à nos côtés » (Jean-Philippe Agresti, Recteur de l’Académie de Corse)

ENTRETIEN. Décrochage scolaire, port de l'uniforme, égalité des chances, réforme des lycées professionnels... L'ancien doyen de la Faculté de Droit et de Science politique d’Aix-Marseille Université, nommé recteur de l’Académie de Corse depuis un peu plus de deux ans, répond aux principaux enjeux de l'Education nationale et de l'enseignement.
Jean-Philippe Agresti, Recteur de l’Académie de Corse.
Jean-Philippe Agresti, Recteur de l’Académie de Corse. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Un bachelier corse sur trois quitte l'île pour ses études. Comment le recteur d'Académie analyse-t-il le phénomène ?

JEAN-PHILIPPE AGRESTI - Comme une bonne nouvelle. Nous avons des bacheliers qui réussissent et qui s'exportent sur le Continent ou à l'international. L'objectif n'est pas seulement de les retenir, même s'il faut qu'il en reste, mais de travailler étroitement avec le monde économique, le monde politique, le monde académique afin de les inciter à revenir, une fois les compétences acquises, pour faire prospérer l'économie insulaire comme acteur ou comme créateur. Autre enjeu à prendre en considération, celui de l'égalité des chances qui passe par l'attribution d'une bourse, d'une aide au logement, mais aussi par l'offre de formation à l'intérieur même de l'Université de Corse. La filière médicale est un exemple emblématique : grâce à la convention tripartite Collectivité de Corse-État-Université, nous avons obtenu les moyens pour ouvrir la deuxième et la troisième années de médecine. C'est un véritable enjeu de territoire puisqu'une fois les études terminées, les diplômés reviennent s'installer dans une région, leur région, affectée par la pénurie de médecins. Nous réfléchissons aussi à l'ouverture d'un diplôme sur l'imagerie médicale. La Corse souffre d'un déficit de lieux et de gens qualifiés pour ce secteur. La volonté de répondre aux besoins du territoire nous amène encore à envisager un cursus d'ingénieur en agroalimentaire, la première filière industrielle de l'île.

D'un autre côté, encourager les jeunes insulaires qui vivent en vase clos à partir, n'est-ce pas une bonne chose ?

Oui, bien sûr, toute assignation sociale et territoriale est à bannir. Il faut les encourager à sortir du territoire pour acquérir des compétences, s'ouvrir à d'autres horizons, partager et s'imprégner d'autres expériences, c'est un facteur d'enrichissement personnel. Quand je passe dans les établissements, j'évoque les alumni, les anciens étudiants au parcours remarquable. Il y a de belles histoires à raconter d'élèves qui, issus d'un petit collège rural, ont accompli de très belles carrières. Je crois à la valeur de l'exemple et même à une forme de mécénat de compétence émanant de la diaspora corse.

Les initiatives fortes que vous avez prises en faveur de l'orientation ont-elles des résultats ?

Toujours dans la volonté d'empêcher toute assignation sociale et territoriale, nous voulons favoriser, dès le plus jeune âge, une acculturation à l'idée d'orientation. Les études scientifiques montrent qu'un jeune de cinquième venant d'un milieu défavorisé et isolé ne connaît au maximum qu'une vingtaine de métiers possibles, ceux de son environnement familier. L'idée consiste à réaliser un travail de fond tout au long du cursus de l'élève : découverte des métiers en cinquième, salon des métiers en troisième, printemps de l'orientation en première et, désormais, salon de l'enseignement supérieur de concert avec l'Université et la Collectivité de Corse. Mais l'orientation, c'est aussi, et très tôt, la déconstruction des stéréotypes de genre sur le choix des métiers. Pour toutes ces actions, le monde économique est ici pleinement engagé à nos côtés.

Alors, comment expliquer qu'un étudiant sur deux - c'est une statistique nationale - abandonne après la première année à l'Université ?

Parcoursup, bien que décrié, a une vertu qui va améliorer la statistique une fois assimilée : lorsque vous allez vers une formation, vous savez précisément ce qu'on attend de vous. D'autre part, l'abaissement de l'âge du bachelier n'a pas été sans incidence : il y a trente ans, un lycéen avait le bac autour de 21 ans, aujourd'hui c'est à 18 ans. C'est trois ans de maturité en moins, pas en tant qu'individu, mais dans la manière d'appréhender la construction de son avenir professionnel. Enfin, chez les jeunes, le rapport à l'itinéraire professionnel a profondément évolué, la durée du contrat de travail, la mobilité, l'aspiration à changer régulièrement de métier ou à prendre un temps du recul. Il faut être en capacité de s'adapter et nous avons un effort majeur à consentir sur la formation tout au long de la vie. J'en suis conscient, le président de l'Université de Corse, qui vient d'être élu, l'a inscrit dans son programme. Il y a un changement de mentalité à opérer en France : un sauteur à la perche peut être champion olympique après avoir raté deux essais sur trois, mais l'histoire ne retient que sa médaille d'or. Pour un étudiant, c'est pareil : de son curriculum, mettons en avant ce qu'il y a de positif dans l'acquisition des connaissances et des compétences. Il en va des études supérieures comme du sport de haut niveau : l'échec est souvent l'antichambre de la réussite.

Dans le second degré, où situez-vous l'Académie de Corse par rapport au décrochage scolaire ?

La Corse est très légèrement au-dessus de la moyenne nationale, de l'ordre d'un point. Mais les facteurs de risque de décrochage y sont plus importants. Ils sont liés au territoire lui-même. Le taux d'éloignement entre le domicile et l'établissement y est plus élevé : sur le Continent, le temps moyen de trajet est de 20 minutes contre 50 minutes chez nous. Aujourd'hui, nous estimons à 450 le nombre d'élèves exposés au risque de décrochage sur une population scolaire de pratiquement 50.000 élèves. Mais c'est 450 élèves de trop et nous les suivons tout particulièrement.

Comment va s'appliquer en Corse la réforme des lycées professionnels ?

Elle a commencé à se déployer dès la rentrée. La première action a été d'engager un partenariat prépondérant, peut-être même sans équivalent, avec le monde socio-économique. Un bureau des entreprises a été mis en place dans chaque lycée professionnel et deux personnes ont été détachées à plein temps sur les lycées dotés de sections professionnelles. Nous avons ainsi maillé l'ensemble du territoire et noué des liens solides avec EDF, Kyrnolia, Corsica Linea, la Méridionale, Air Corsica... et les chambres consulaires. Pour une région très peu industrialisée, le niveau d'imbrication entre l'Académie et les industriels pourrait paraître paradoxal. Mais l'émulation est telle que la Corse enregistre la plus forte participation à Forindustrie, la plateforme digitale pédagogique où collégiens, lycéens, étudiants et demandeurs d'emploi découvrent les métiers et les innovations. Mieux encore : pour la deuxième année consécutive, ce sont des établissements corses qui ont remporté le challenge national Forindustrie. J'y vois le fruit de ce travail en proximité avec le monde économique.

La formation est une compétence de la Collectivité de Corse. Pourquoi avoir lancé les premières Assises de la formation ?

Nous les avons lancées ensemble au mois d'octobre. Dès mon arrivée, j'ai proposé à Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif, de travailler en commun avec les acteurs de l'économie et de la formation professionnelle, Éducation nationale et au-delà, sur les grands axes du développement de la formation pour que celle-ci colle au plus près aux besoins du terrain. Des représentants de l'Union européenne nous ont dit que c'était la première fois en Europe que de telles Assises, coconstruites avec un pouvoir régional, avaient eu lieu. Et elles vont nous permettre de tracer des perspectives et ainsi contribuer à l'évolution de la carte des formations votée par l'Assemblée de Corse.

La Corse est-elle prémunie des fléaux qui minent la vie scolaire, harcèlement, violences, entorses à la laïcité ?

Elle est moins touchée mais pas pour autant prémunie. Pas question de baisser la garde. Après l'assassinat de Dominique Bernard à Arras, nous avons réuni l'ensemble des élus, les préfets et la Collectivité de Corse, pour travailler à la sécurisation de nos établissements même si, jusqu'à présent, il n'y a pas eu de menaces avérées. Nous sommes également très attentifs au comportement des parents vis-à-vis des enseignants et très fermes au moindre cas de harcèlement. Un climat de confiance règne entre l'institution, les enseignants et leurs représentants, le dialogue social, formel ou informel, est nourri et permanent. L'Académie présente cet avantage d'une grande proximité humaine. Quand quelque chose ne va pas, on le sait très vite et on réagit très vite.

Des établissements ont-ils postulé pour expérimenter l'uniforme ?

Une école, une seule pour l'instant, l'école de Bonifacio. J'ai contacté le maire, Jean-Charles Orsucci, et convenu avec lui d'une rencontre très prochaine.

Trois ministres de l'Éducation nationale en moins d'un an, ce n'est pas déstabilisant pour la communauté des recteurs ?

La seule feuille de route que je suis en charge de mettre en œuvre, c'est celle tracée par le Président de la République. En août 2022, il a réuni les recteurs à la Sorbonne pour leur demander d'être des facilitateurs. Ce rôle-là me convient parfaitement : suivre le cadre national, mais s'appuyer sur la force et la volonté des équipes sur place pour l'adapter localement. C'est ce qu'on fait sous l'égide du Conseil national de la Refondation et sa large concertation « Notre école, faisons-là ensemble » qui fonctionne très bien dans notre Académie. Le deuxième axe consiste à renforcer, dès le plus jeune âge, des connaissances fondamentales de nos élèves, français et mathématiques. Le troisième, nous l'avons évoqué, c'est la réforme du lycée professionnel. En Corse, cela représente un quart des élèves, il faut donc y prêter attention d'autant plus que ce qui était considéré comme une voie de garage est désormais appelé à devenir une voie d'excellence. Le quatrième axe, c'est la lutte sans faille contre le harcèlement scolaire. Un séminaire académique y sera consacré avec l'ensemble des partenaires le 27 mars prochain à Corte.

Doit-on s'attendre à la visite prochaine en Corse de Nicole Belloubet ?

Oui, j'en suis convaincu. La ministre est très attentive au travail fait sur l'île, notamment en milieu rural, ainsi qu'à l'enseignement de la langue corse.

Commentaires 2
à écrit le 07/03/2024 à 12:07
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"enjeux ", défit !! l'enseignement et la santé sont deux domaines totalement délaissés par le président depuis 2017 .En y regardant de prêt il est inquiétant de constater que le cout pour les familles va bientôt devenir insurmontable et que nous all...

à écrit le 07/03/2024 à 8:40
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"Et il a intérêt !" Oui ya que comme ça qu'il faut leur parler vous avez compris ! ^^

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