« Sais-tu qu'on a que vingt-quatre heures, au palais, pour maudire ses juges ? » Peut-être Laurent Wauquiez a-t-il mûri cette réplique du Barbier de Séville, la pièce de Beaumarchais, en amont de la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi immigration. Tout à sa stratégie de discrétion médiatique et d'« immersion » sur le terrain, le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes savait qu'il n'aurait qu'une étroite fenêtre de tir pour polariser le débat autour de cette actualité. Dans son esprit, comme dans celui de nombreux dirigeants de son parti, le verdict des sages de la rue de Montpensier était couru d'avance. Le texte du gouvernement serait dépouillé des mesures radicales insérées par LR et, dans la foulée, promulgué par Emmanuel Macron. De seconde mouture reprenant les dispositions les plus droitières pour les soumettre de nouveau aux parlementaires, il n'y aura pas. Fermez le ban.
« C'est le langage de l'extrême droite »
Dans ces conditions, autant essayer de marquer les esprits. Exaspérés par l'anéantissement de leurs efforts et du - bref - succès politique qu'ils en ont tiré, les leaders de LR ont communié dans la réprobation du juge constitutionnel. Qu'il s'agisse du président du parti, Éric Ciotti, du chef de file des sénateurs, Bruno Retailleau, ou de la tête de liste aux élections européennes, François-Xavier Bellamy, tous ont fustigé une « prise d'otages institutionnelle », symbole de l'impuissance dans laquelle notre gouvernance serait embourbée.
La sortie de Laurent Wauquiez a écarquillé quelques paires d'yeux - c'était l'objectif - au sein de la droite modérée. Dans Le Parisien, l'ex-ministre déclare que « petit à petit s'est installé ces dernières décennies dans notre pays un coup d'État de droit ». « Les Cours suprêmes censurent des pans entiers de législation votée par les représentants du peuple, poursuit le candidat virtuel à la prochaine élection présidentielle. C'est le dévoiement de notre démocratie ! » Il achève l'entretien en évoquant une proposition de Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, consistant à accorder le « dernier mot » au Parlement en cas de « blocage » et de « censure » d'un texte par les sages. Sans préciser la nature du blocage, ni l'ampleur de la censure qui justifierait pareille dérogation.
Avec aplomb, l'entourage de Laurent Wauquiez assure qu'il se situe dans le droit fil de son entretien accordé au Point en mai. Ce n'est pas faux, bien que ses récents propos marquent une accélération. « À force d'avoir mis des contre-pouvoirs, il n'y a plus de pouvoir, c'est pour cela que rien ne change, peut-on lire dans l'interview de 2023. Comment résoudre cela ? En inscrivant dans la Constitution un principe simple imposant que les plus hautes juridictions, à l'exception du Conseil constitutionnel, ne peuvent écarter la loi. Quand le peuple s'est exprimé, la loi qui traduit sa volonté doit s'appliquer. »
Qu'importe la cohérence, la formule du « coup d'État de droit » ne fait pas l'unanimité chez LR. « Je peux comprendre qu'on soit mécontent d'une décision du juge constitutionnel, mais là, c'est expressis verbis le langage de l'extrême droite, s'emporte Jean-François Copé auprès de La Tribune Dimanche. C'est totalement irresponsable venant, en plus, de quelqu'un qui a été maître des requêtes au Conseil d'État. » Député de Seine-et-Marne et juriste, Jean-Louis Thiériot se montre plus feutré mais aussi peu convaincu : « Ne laissons pas les mots dépasser la pensée. Il y a aujourd'hui une extension indéfinie du domaine du contrôle qui ne correspond plus à la volonté du constituant ; cela mérite un coup d'arrêt. De là à parler de coup d'État... » Rival interne de Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand a pris ses distances, assumant vendredi sur Franceinfo « un profond désaccord [...] sur la conception de la République, sur la conception de l'État de droit et sur le respect de nos institutions ».
À l'aune de l'histoire de la droite postgaulliste, la charge du Rhônalpin n'est pas inédite sur le fond. En 1993, le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, s'en prend directement au Conseil constitutionnel lorsque celui-ci, présidé par le mitterrandiste Robert Badinter, retoque des dispositions de sa loi... visant à maîtriser l'immigration. « Le Conseil [...] empêche le gouvernement d'appliquer sa politique, fulmine-t-il alors. Les conséquences de ses décisions sont très mauvaises pour l'intérêt national. » Quant à Nicolas Sarkozy, il fustige en 2016, lors de la primaire LR, les « arguties juridiques » empêchant de combattre le terrorisme islamiste.
Récupérer les électeurs de Zemmour
Cette continuité se heurte à une réalité nouvelle : la relégation de ce qui était jadis le RPR à un rôle mineur, fruit de ses défaites successives, et la dynamique qui permet au Rassemblement national d'atteindre les 30 % dans les sondages. D'où les tâtonnements de Laurent Wauquiez. Celui qu'Éric Ciotti tarde à désigner - comme il s'y était engagé durant la course à la présidence de LR - pour 2027 oscille entre deux stratégies qui, à première vue, semblent contradictoires.
L'une consiste à s'adresser à l'électorat macroniste, l'autre à récupérer, d'ici aux européennes du 9 juin, les Français qui ont voté pour Éric Zemmour en 2022. « On a intérêt à tuer Reconquête maintenant plutôt que de s'attaquer à Renaissance, sachant que, de toute façon ça va mal finir pour Macron », nous affirmait un proche de Laurent Wauquiez début janvier. Selon un poids lourd de LR, cette voie, en plus d'être court-termiste, est sans issue : « Son truc est trop théorique. S'il n'y a plus de différence entre la droite de gouvernement et le RN, il y aura une hémorragie. D'autant plus que Jordan Bardella, lui, ne joue pas contre les institutions. Si on devient populistes, on sera des sous-populistes. »