Au lendemain du verdict du Conseil constitutionnel, le chef de l'Etat, Emmanuel Macron doit promulguer la loi immigration ce samedi 27 janvier amputée de 35 articles sur 86. « Jamais un texte n'a prévu autant de moyens pour expulser les délinquants et autant d'exigence pour l'intégration des étrangers s'est immédiatement félicité », le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. En pleine crise agricole, la décision des Sages offre à l'exécutif un léger répit après des mois de débats chaotiques sur le dossier brûlant de l'immigration. En décembre, le ministre avait promis « un doublement des régularisations », soit « entre 7.000 et 10.000 supplémentaires chaque année » .
Inquiétudes chez les syndicats
Mais les organisations syndicales ont soulevé plusieurs motifs d'inquiétudes. « La loi compte un grand nombre de mesures qui vont fragiliser les parcours d'intégration et porte en elle une atteinte aux droits des citoyens étrangers vivant sur le sol français. La CFDT poursuivra et amplifiera son soutien à ces hommes, femmes et enfants qui ont besoin du juste accompagnement que chacun de nous attendrait dans la même situation », a réagi la centrale de Belleville dans un communiqué.
Contactée par La Tribune, la secrétaire nationale de la CFDT Lydie Nicole, en charge des questions d'immigration, est sceptique sur le texte de loi décrié. « La CFDT a toujours été défavorable au fait que la régularisation soit limitée à la qualité du travail et ne prenne pas en compte le parcours de la personne. La question de la régularisation ne doit pas se limiter aux métiers en tension ». La responsable dénonce « l'hypocrisie du gouvernement. Avec cette nouvelle loi, les salariés vont devoir à nouveau affronter la machine bureaucratique. Cela risque d'augmenter les difficultés et la précarité chez ces travailleurs ». De son côté, la CGT « continue à demander la régularisation des travailleurs migrants sur le fondement d'une simple preuve de travail. Une loi permettant ces régularisations de droit devrait à l'évidence être votée ».
Discrétion dans les milieux patronaux sur un dossier ultra sensible
Dans les milieux patronaux, la discrétion règne sur ce sujet explosif. Le nouveau dirigeant de l'U2P Michel Picon a pris la parole sur l'antenne de BFM Business ce vendredi. Pour les personnes étrangères « qui travaillent, qui sont sur notre sol depuis des années et qui apportent des cotisations sociales, leur énergie, leur travail à la construction du pays, il faut avoir un regard de régularisation », a-t-il expliqué.
Mais le Medef n'a pas souhaité prendre la parole au lendemain sur ce dossier « sensible » de la décision des Sages de la rue Montpensier. « La question des métiers en tension doit d'abord se régler par l'embauche des jeunes au chômage ou les personnes dans le halo du chômage», explique une source. En novembre, Patrick Martin avait réagi sur le tard au texte adopté par la Commission mixte paritaire amplement retouché par la droite sénatoriale.
Métiers en tension : un tour de vis sur la copie initiale du gouvernement
La décision du Conseil constitutionnel dévoilée ce jeudi 25 janvier n'a pas porté sur la régularisation des travailleurs sans papiers. Les requérants n'avaient à aucun moment saisi la juridiction sur cette question. Et le Conseil ne s'est pas emparé de ce dossier non plus. « Depuis qu'existe la question prioritaire de constitutionalité (QPC), le Conseil ne s'auto-saisit plus de questions de fond dans le contrôle a priori, dès lors que ces questions pourront lui revenir a posteriori », explique un spécialiste de droit public.
Sans surprise, l'article relatif à ce dossier explosif n'a donc pas bougé depuis décembre. La version adoptée en commission mixte paritaire et défendue avec force par la droite parlementaire pourra faire partie du texte promulguée. Pour rappel, l'article prévoit de confier aux préfets un pouvoir discrétionnaire de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers dits en tension.
La version initiale du texte, l'emblématique article 3, proposait d'octroyer un titre de séjour d'un an renouvelable aux personnes qui travaillaient dans des « métiers en tension » et justifiaient de trois ans de présence en France ainsi que de huit fiches de paie.
Ce n'est « qu'à titre exceptionnel », et non plus de plein droit comme le prévoyait le gouvernement, qu'un travailleur pourra prétendre à la régularisation à condition d'avoir exercé pendant au moins douze mois sur les deux dernières années dans des « métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement ».
En revanche, l'article conserve la caractéristique centrale de la proposition gouvernementale : celle permettant aux travailleurs en situation irrégulière de déposer eux-mêmes une demande de régularisation, sans obtenir l'aval de leur employeur, qui n'y a pas toujours intérêt.
Auparavant, la circulaire Valls obligeait un employé à devoir présenter une promesse d'embauche signée par son employeur : une procédure « moyen-âgeuse », avait dénoncé le ministère de l'Intérieur. Pour Lydie Nicole, « la loi est moins-disante que la circulaire Valls. Le point positif est que le travailleur n'est plus obligé de faire appel à l'employeur. Mais elle est très loin de répondre aux enjeux de la régularisation, même pour ceux qui sont en emploi depuis longtemps. C'est une loi hors-sol ».
Des tensions dans 8 métiers sur 10
En attendant les décrets d'application de la nouvelle loi sur l'immigration, la plupart des enquêtes de conjoncture montrent des tensions accrues sur le marché du travail. Dans une récente étude de la Banque de France, près d'une entreprise sur deux déclarait avoir encore des difficultés de recrutement malgré le coup de frein de l'économie tricolore.
En 2022, 8 métiers sur 10 étaient en forte tension ou très forte tension selon une récente étude de la Dares. Ces métiers représentaient 87% de l'emploi. « Le marché du travail est marqué par les départs à la retraite des dernières générations du baby-boom et un contexte économique plus propice aux démissions pour les salariés recherchant de meilleures opportunités », expliquent les statisticiens.
L'économie a certes ralenti en 2023 et les perspectives n'augurent pas d'accélération importante de l'activité. Mais les besoins en main-d'oeuvre demeurent préoccupants dans de nombreux secteurs. La semaine dernière, le chef de l'Etat a appelé à « un réarmement démographique » pour compenser la chute de la natalité en France. Cet appel pourrait ne pas suffire à freiner la baisse et le vieillissement de la population active. Un sujet qui inquiète un grand nombre d'entreprises et de secteurs professionnels.