En apprenant qu'elle serait ministre de l'Éducation nationale, des Sports et des Jeux olympiques, Amélie Oudéa-Castéra est restée presque stoïque, d'une sérénité totale. « C'est comme si elle avait reçu un colis, elle a pris l'information, tout coulait sur elle », décrit l'un de ceux qui étaient à ses côtés. Cela faisait plusieurs semaines qu'Emmanuel Macron avait des retours laudateurs sur sa ministre des Sports et des JO, jusqu'à se poser cette question en petit comité: « Comment la promouvoir ? »
En milieu de semaine, Gabriel Attal glisse à Amélie Oudéa-Castéra l'idée que son périmètre pourrait s'élargir à celui de l'Éducation nationale et de la Jeunesse. Emmanuel Macron lui confirme sa promotion : elle est propulsée cinquième dans l'ordre protocolaire, deuxième femme derrière la ministre du Travail Catherine Vautrin, seule survivante de la société civile dans le gouvernement Attal. Elle se retrouve à la tête d'un mastodonte dont dépendent 1,2 million de personnes, tout en gardant ses fonctions précédentes. C'est vertigineux. Mais l'ancienne joueuse de tennis professionnelle n'a aucune hésitation. « Je fais match après match », dit-elle souvent.
Celle qu'on surnomme « AOC » est tout ce qu'Emmanuel Macron apprécie : un bourreau de travail, capable d'ingurgiter un volume d'informations colossal et de délivrer rapidement, une perfectionniste, avec les mots « résultats » et « efficacité » à la bouche. Le très puissant secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler, dont elle est proche, a poussé pour sa nomination. « Pour Alexis, elle est le portrait type du ministre idéal, dans une logique objectif-résultat », résume un membre du cabinet d'Emmanuel Macron. Cette femme de 45 ans, qui entame chaque journée par un réveil musculaire de vingt à trente minutes, s'entend aussi très bien avec le conseiller sports du président, Cyril Mourin. « C'est une dure à cuire, elle a un mental de sportive de haut niveau », juge un proche du chef de l'État.
Tous ceux qui l'ont côtoyée sont unanimes, ils n'ont jamais vu personne travailler autant et être si réactif aux messages, de jour comme de nuit. À tel point que certains ont claqué la porte au bout de quelques semaines. « C'est une machine, relate l'un de ses anciens conseillers. Elle a une méthode et il faut être dans sa méthode. Elle est 100 % dans ce qu'elle fait, ultra-précise, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. » Déjà, lors-qu'elle était à la Cour des comptes, la trentenaire collait des Post-it sur les ordinateurs de ses collaborateurs avec des mots clés et des objectifs. « Elle est d'une nature performative, c'est la première de la classe, ce qui peut avoir un côté exaspérant. Elle est très onctueuse, mais il ne faut pas la prendre pour une naïve », la dépeint l'un de ses ex-camarades de l'ENA.
C'est là qu'Amélie Oudéa-Castéra a rencontré Emmanuel Macron, elle avait 24 ans et lui 25. Dans la promotion Léopold-Sédar-Senghor, ils avaient un profil similaire, les bons élèves sympas avec tout le monde. Pas du genre à se faire des ennemis. Amélie Oudéa-Castéra parce qu'elle n'aime pas le conflit, Emmanuel Macron parce qu'il aime séduire. Ils ne se sont jamais perdus de vue. AOC faisait partie de son équipe de campagne dès 2017. Depuis son arrivée au gouvernement en 2022, elle a noué une relation très fluide avec lui. Ils s'écrivent beaucoup. « Il est très satisfait de cette ministre qui comprend ses attentes, elle n'est ni dans l'excès ni dans l'insuffisance », loue un conseiller du chef de l'État.
Procès en déconnexion
Le président a particulièrement apprécié la manière dont elle a géré, à peine installée dans son fauteuil de ministre, le chaos au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions en 2022. Lorsqu'elle a fait la guerre à Noël Le Graët et Bernard Laporte, la techno a prouvé qu'elle pouvait aussi faire de la politique.
Mais sa réponse vendredi à la polémique sur ses trois enfants scolarisés à Stanislas, un prestigieux collège-lycée privé parisien, a mis le feu à son administration. « Nous avons vu des paquets d'heures pas sérieusement remplacées, on en a eu marre », a argumenté la ministre lors d'un déplacement avec Gabriel Attal. Les syndicats enseignants et les oppositions ont vu dans cette justification maladroite une attaque en règle contre l'école publique. Matignon a demandé expressément à la ministre de présenter ses excuses. Ce qu'elle a fait, en disant « regretter » d'avoir pu « blesser certains enseignants » du public. Mais le mal est fait.
Il n'en fallait pas davantage pour alimenter le procès en déconnexion fait à cette fille d'un haut fonctionnaire, et d'une directrice RH, Dominique Duhamel (sœur des journalistes Patrice et Alain Duhamel). Son mari, Frédéric Oudéa, ancien directeur de la Société générale, est à la tête de Sanofi. La famille est connue à La Baule, où le couple et leurs trois garçons passent leurs vacances, à vélo entre la plage et le club de tennis. « Chez elle, la famille est prioritaire ; il y a un pacte entre eux très fort qui tourne autour du sport », décrit Franck Louvrier, le maire de la cité balnéaire, qui tape régulièrement la balle avec eux. Le sarkozyste connaît bien Frédéric Oudéa, passé par le cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget. Les Oudéa partagent aussi la terre battue avec le mari de Valérie Pécresse, qui a aussi, avec sa femme, des attaches à La Baule. La présidente de la Région Île-de-France dit avoir de « très bonnes relations personnelles » avec la ministre.
Les deux femmes ont une ennemie commune en la personne d'Anne Hidalgo. C'est peu dire que la greffe entre la maire de Paris et l'ancienne présidente de la Fédération française de tennis n'a pas pris. Elles se croisent à toutes les réunions de préparation des JO mais ne se comprennent pas. La socialiste la voit comme une techno, pur produit de la Macronie, tout ce qu'elle déteste. Ses exposés techniques sont à son goût soporifiques quand d'autres apprécient cette rigueur de métronome. Jean-Michel Aulas, vice-président de la Fédération française de football, qui a connu 16 ministres des Sports, la compare même à « Marie-George Buffet dans un style et avec des idées différentes », ajoutant : « Elle sert le sport avec pragmatisme. Elle casse un peu la vaisselle, mais avec elle, ça avance. »
En débarquant Rue de Grenelle, la macroniste n'arrive pas sur des terres totalement étrangères. Aux Sports, elle avait tissé son réseau auprès des recteurs d'académie. Sa capacité de travail hors norme lui suffira-t-elle pour endosser un costume si large et inflammable ? Un ministre délégué aux Jeux olympiques devrait bientôt être nommé pour l'épauler. Le profil devra parfaitement coller à la méthode AOC.