Le boom des profs non titulaires, un tournant pour l’Éducation nationale ?

IDEE. Pour faire face à la pénurie d’enseignants, L’Éducation nationale a de plus en plus recours à des contractuels. Remise en contexte de ce phénomène. Par Claude Lelièvre, Université Paris Descartes
(Crédits : Reuters)

Pour exercer en tant qu'enseignant, il faut en principe réussir un concours - celui de professeur des écoles, le CAPES ou encore l'agrégation pour quand il s'agit du secondaire. A cette règle, il existe néanmoins des exceptions. Pour faire face aux postes non pourvus, les académies recrutent aussi hors du vivier des fonctionnaires des candidats issus d'autres parcours ou univers professionnels.

Ces embauches de professeurs contractuels sont en plein essor, d'après les derniers bilans du ministère de l'Éducation nationale. Leurs effectifs progressent de 2,7% par an depuis 2010-2011. Entre les années scolaires 2016-2017 et 2017-2018, ils ont bondi de 11,8%, alors que le nombre d'enseignants titulaires n'a évolué que de 0,5%.

Cette hausse se concentre surtout sur les collèges et les lycées. En 2008, on comptait 2730 enseignants non titulaires dans le premier degré, un nombre resté stable jusqu'en 2016 où il monte à 3 110 puis 4092 en 2017. Dans le second degré, on passe de 24 282 enseignants non titulaires en 2008 à 33 668 en 2011, nombre resté à peu près stable jusqu'en 2016 (36 201) et 2017 (39 791).

S'agit-il d'un phénomène potentiellement explosif pour l'Éducation nationale ? Certains n'hésitent pas à aller dans ce sens en y voyant une possibilité d'« aggiornamento » de l'Éducation nationale, les uns la souhaitant, les autres la dénonçant en pleine période de mise en œuvre de la loi de transformation de la Fonction publique.

Précédents historiques

Si cette intensification du recours aux contractuels est sensible, il faut prendre conscience qu'elle n'est pas sans précédent historique. Dans les années 1950 (à partir de 1955 plus précisément), les postes créés en réponse à la vague démographique ont été couverts par des remplaçants à raison de plus de 10.000 chaque année (Rapport de la commission de l'équipement scolaire, universitaire et sportif, Paris, 1961).

Les instituteurs étaient alors formés dans les écoles normales primaires. Entre 1951 et 1964, on peut estimer qu'environ 70.000 normaliens ont été recrutés contre environ 90.000 de profils venus d'autres horizons : la voie « a-normale » l'a donc emporté alors sur la voie « normale » de recrutement.

Cela a sans doute eu des conséquences sur l'unité pédagogique et idéologique de ce corps enseignant ; mais cela n'a pas débouché pour autant sur une remise en cause du statut de fonctionnaire d'État accordé aux instituteurs depuis 1889.

Pas de remise en cause de principe non plus dans le second degré, où, à la même période, s'ajoutent d'autres défis, avec la création des « collèges d'enseignement secondaire » (CES) en 1965 - suivie de la prolongation effective de la scolarité obligatoire de 14 ans jusqu'à 16 ans. Les non titulaires sont alors en croissance régulière et représentent entre 15 % et 20 % du corps enseignant.

Dans les lycées, leur proportion se stabilise à ce niveau alors qu'en 1967, on atteint même 60 % de non titulaires parmi les professeurs de collège... En 1975-1976, sous l'effet d'un recrutement par concours plus massif, et surtout en raison de plans de résorption de « l'auxiliariat », le taux de non titulaires revient à 11 % pour les collèges, et 7,5% pour les lycées.

La part de contractuels descend à moins de 5 % durant le début des années 1980 avant de repartir à la hausse (importante, mais moindre que dans la période des années 1960) en raison de la mise en œuvre progressive de l'ambition de « 80% des élèves au niveau bac en l'an 2000 ». Là encore, pas de problématique apparente concernant le nombre et la place des contractuels ni de discours sur de nécessaires modifications quant au statut « normal » de fonctionnaire d'État du professeur.

Enjeux politiques

Trente et quelques années plus tard, le discours est tout autre et les questions de statut se retrouvent sous les feux des projecteurs. En 2018, en ouverture de sa présentation du rapport sur le statut des enseignants, Sophie Moati, présidente de chambre à la Cour des comptes, déclare ainsi que

« Le mode de gestion des personnels (de l'Éducation nationale) pousse à l'extension continue des contractuels. C'est une tendance lourde pour accroître leur nombre car il n'y a pas d'assouplissement de la gestion des enseignants ».

Le 13 mai 2019, un an plus tard et dans un cadre plus large, celui de la Fonction publique tout entière, où l'Éducation nationale figure pour la moitié des fonctionnaires d'État), le secrétaire d'État Olivier Dussopt présente ainsi la loi de transformation de la Fonction publique devant l'Assemblée nationale :

« Le projet de loi opère une profonde modernisation de la gestion des ressources humaines dans la Fonction publique [...]. Le deuxième pilier du projet de loi vise à développer les leviers managériaux pour une action publique plus efficace, avec comme premier objectif - peut-être l'une des mesures les plus emblématiques de ce texte -, l'ouverture accrue du recours aux contrats. »

Le projet de loi est résumé ainsi par Olivier Marleix (LR) :

« Votre texte se limite à deux évolutions : faciliter le recours au contrat et vider de leur contenu les CAP. »

Pour Sylvia Pinel (PRG) :

« En dépit de l'apparente marche arrière du Président de la République sur la suppression annoncée de 120.000 postes de fonctionnaires, nous ne sommes pas dupes : le texte définit de fait le cadre d'une réduction des effectifs de fonctionnaires à plus ou moins brève échéance. »

Le 5 septembre, sur le Portail de la Fonction publique, Olivier Dussopt a annoncé que les « modalités de mise en œuvre de la loi du 6 août 2019 de transformation publique se précisent ».

A suivre.

The Conversation ______

Par Claude LelièvreEnseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Descartes

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 22
à écrit le 17/09/2020 à 11:45
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Ben c'est aussi un pb d'organisation. J'ai un master MEES (enseignement de l'espagnol) et on ne m'appelle plus alors que je n'ai eu aucun soucis, j'ai même enseigné en faculté. Je vois en revanche qu'ils embauchent des licences (qui n'ont pas eu de c...

à écrit le 15/09/2019 à 9:16
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Quid des profs payés et sans postes (Slate cite un nombre de 98000 en 2012), en outre gérer une masse de 900000 personnes c'est mission impossible..

à écrit le 14/09/2019 à 11:35
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Bonjour, Le recours aux contractuels au ministère de l’éducation a pour objectif : 1) recruter les «  bons » éléments( pas absents, sérieux, ponctuels, responsable, professionnels...) 2) faire des «  économies de masse salariales » 3) non titulaire...

le 14/09/2019 à 13:53
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Merci, votre commentaire est de loin le plus pertinent!

le 15/09/2019 à 11:44
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1°) vous ne recrutez les bon éléments que si vous pouvez leur offrir un bon salaire, des conditions de travail correctes et des perspectives d'avenir. Aucune de ces conditions n'est remplie pour les contractuels. Donc vous allez récupérer ceux qui n'...

le 15/09/2019 à 22:16
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@ sauf que... Il y a eu une réforme pour les CDD , récemment , les contrats sont pour 3 ans , au bout de 3 ans c’est une embauche ( fonction publique ) Pour les perspectives d’avenir , des concours internes , des vocations de professorat avec accès...

le 16/09/2019 à 6:37
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Bref, le moins disant d'un point de vue salarial. Cela vous convient a premiere vue. Tout le monde vers le bas, sauf certains, tjrs les meme.

à écrit le 14/09/2019 à 8:50
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UBER (ou équivalent) ne pourrait il pas se charger de la gestion des professeurs ? Avec une application Android signalant un besoin pour un cours dans la 1/2 heure dans les 10 km... avec un tarif démontrant que les emplois publics ne sont plus ce qu ...

à écrit le 13/09/2019 à 17:36
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Bien que le diplôme requis pour passer le CAPES soit passé de Bac+3 à Bac +5, le niveau global du recrutement à clairement baissé dans les disciplines scientifiques à cause de la pénurie de candidat qui est la conséquence de cette mesure. Pour inform...

à écrit le 13/09/2019 à 11:11
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Ben dans mon lycée, un des meilleurs de la région porte d'entrée naturelle d'art et métiers, pour des questions de niveau, il y avait plus de non titulaires que de titulaires, et suivre des cours avec des ingénieurs c'était autre chose que des profs ...

à écrit le 13/09/2019 à 10:16
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Il y a beaucoup de contractuels dans l'education nationales, des missionnaires pour un temps donné ce que j'ai été pendant 6 mois comme prof de sciences physiques et chimie dans un collège et un lycée. Selon les professionnels du secteur educatif, il...

le 14/09/2019 à 14:23
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Pour un enseignant, vous devriez savoir qu'un master 1 est l'équivalent d'un bac+4 . Et non pas l'équivalent d'une licence!

à écrit le 13/09/2019 à 9:22
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C'était le but des différentes réformes : pour passer les concours il fallait une licence jusqu'en 2010. Le passage au master 2 a asséché le nombre de candidats et aggravé les pénuries ce qui était le but recherché. Or quel est l'intérêt pédagogique ...

le 13/09/2019 à 10:06
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Le passage au master 2 est logique du fait de l"accroissement du nombre d'élèves poussant leurs études. D'autre part, pour enseigner en Lycée il vaut mieux avoir une bonne longueur d'avance sur les programmes qui sont susceptibles de changer en per...

le 13/09/2019 à 11:38
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Je verrai les choses differement. Avoir des profs qui n ont pas connu que l ecole peut s obtenir non pas en augmentant le niveau a bac+5 mais en recrutant des gens qui ont deja fait autre chose avant (aka par ex en recrutant des gens qui ont 30 and o...

le 13/09/2019 à 12:50
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Réponse à pas d'accord : dire que les profs au niveau master sont nécessaires au vu de l'évolution des enseignements au lycée revient à dire que ce qui peut être enseigné au lycée se rapproche du niveau de master… ce qui est donc ridicule. Quant à vo...

le 13/09/2019 à 13:06
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Les concours du CAPES CAPET, Agregation, CPE.... sont ouverts sans limite d'age depuis 2005. Donc ils sont ouverts aussi au quadra et quinquagénaires. Il y a également des reconnaissances professionnelles possibles donnant équivalence au Master po...

à écrit le 13/09/2019 à 9:21
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Que voilà un langage qui fleure bon la novlangue macronienne mais cache un phénomène honteux et délétère pour le pays. En tant que parent, ça me fout en rogne que mes gosses puissent se retrouver devant des profs recrutés sur le bon coin, sans auc...

le 13/09/2019 à 11:23
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parler de purges sarkozyiste est ridicule. Sarkozy n avait pas reussit a serieusement reduire le nombre de fonctionnaire. Tout simplement parce que pour en reduire reelement le nombre il fait pas simplement decreter qu on va remplacer un fonctionnair...

le 13/09/2019 à 13:47
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Désolé mais chiffres INSEE à l'appui, la RGPP entre 2007 et 2012 a supprimé non pas 60 000 mais 150 000 postes dans la fonction publique d'état. C'est une purge qui a concerné la police, les militaires et l'éducation nationale au premier chef. Ça n...

le 14/09/2019 à 4:16
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Il existe beaucoup d'etablissements prives avec de vrais enseignants diplomes comme il se doit. De toute facon, ne vous faites pas d'illusion l'EN c'est plie.

à écrit le 13/09/2019 à 8:53
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Profs non formés directement largués dans des établissements compliqués, sous payés, je connais une jeune prof pourtant dans une ZEP + obligée de prendre sur son petit budget pour décorer sa classe de maternelle, éducation au rabais exactement ce que...

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