L'étau se resserre pour les Gafam. Suite à une question parlementaire déposée par le député (Modem) Philippe Latombe, ardent défenseur de la souveraineté numérique française, le ministère de l'Éducation nationale s'est prononcé contre l'utilisation de Microsoft et de Google dans les écoles, collèges et lycées. Invoquant le respect du RGPD, mais aussi de la doctrine « cloud au centre » de l'État ou encore l'arrêt dit Schrems 2 prononcé en 2020 par la Cour de justice européenne (CJUE), « le ministère a demandé d'arrêter tout déploiement ou extension de la solution de Microsoft ainsi que celle de Google », a répondu Pap N'Diaye, le ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.
Non-conformes au RGPD et à la doctrine cloud de l'État
Les données de l'Éducation nationale étant considérées comme des données sensibles, l'État estime que le recours à des logiciels américains, qui sont soumis au droit extraterritorial américain, viole le RGPD, comme l'a défini l'arrêt dit Schrems 2 du 16 juillet 2020.
Cette décision de justice majeure établit que les lois extraterritoriales américaines, notamment le Cloud Act et la loi FISA, sont profondément incompatibles avec le RGPD européen. Par conséquent, l'arrêt Schrems 2 a invalidé les transferts de données entre l'Europe et les États-Unis, jugés illégaux (des négociations ont lieu actuellement pour définir un nouveau cadre légal respectant Schrems 2). Or, ces transferts sont quotidiens et indispensables au bon fonctionnement des entreprises américaines opérant en Europe, notamment pour des éditeurs de clouds et de logiciels comme Google et Microsoft.
Depuis 2020, les conséquences de Schrems 2 amènent les autorités européennes de protection des données et les États membres de l'UE à progressivement déconseiller, voire interdire, l'utilisation des services des Gafam américains pour leurs entreprises, leurs administrations ou leurs services publics.
Google et Microsoft, qui proposent de nombreux services web et des logiciels très largement répandus, sont particulièrement touchés. Ainsi, après l'Autriche et les Pays-Bas, l'outil de mesure du trafic des sites web Google Analytics a été déclaré illégal en France par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) en février 2022. Dans le domaine de l'Éducation nationale, la Cnil avait rendu en mai 2021 un avis déconseillant aux établissements de l'enseignement supérieur d'utiliser des « suites collaboratives états-uniennes pour l'éducation » en invoquant Schrems 2 et le RGPD.
La publication, en 2021, de la doctrine « cloud au centre », qui définit les obligations en terme de sécurité technique et de protection des données personnelles des services cloud utilisés par les administrations françaises, enfonce le clou. Car cette doctrine exige que les services utilisés soient labellisés SecNumCloud ou un équivalent européen, c'est-à-dire qu'elles aient obtenu le plus haut niveau de sécurité technique et juridique des données. Ce n'est le cas ni de Microsoft ni de Google. En septembre 2021, une note de la Direction interministérielle du numérique (Dinum) a par ailleurs précisé que la suite collaborative Microsoft Office 365 (Word, Excel, Power Point...) n'est pas conforme à la doctrine « cloud au centre ».
Cette réponse au député Philippe Latombe se situe donc dans la lignée de ces précédentes décisions. La nouveauté est que l'Education nationale étend officiellement le bannissement de Microsoft aux écoles, collèges et lycées à l'avenir. Le ministère ajoute même les services de Google à la liste.
Les « Fab 8 » français prêts à prendre la relève
Cette interdiction des services de Microsoft et de Google dans l'Éducation nationale est du pain béni pour les alternatives françaises et européennes. D'autant plus qu'elles dénoncent depuis des années des pratiques qualifiées de concurrence déloyale, puisque Microsoft propose sa suite logicielle Office gratuitement dans les écoles, et que certains services de Google sont également gratuits.
Dans un communiqué publié le 22 octobre, les autoproclamés « Fab 8 » -huit éditeurs de logiciels français en capacité de remplacer les suites bureautiques Microsoft 365 et Google Workplace, à savoir Atolia, Jalios, Jamespot, Netframe, Talkspirit, Twake, Whaller et Wimi-, se sont félicités de l'accélération de la dynamique vers un « cloud souverain et le respect des lois européennes ».
Surtout, les « Fab 8 » rappellent que leurs solutions « répondent aux exigences fonctionnelles pour remplacer les acteurs en place, mais aussi aux exigences en termes de sécurité des données et sécurité juridique car 100% souveraines ». Et d'appeler l'Éducation nationale à appliquer la doctrine cloud de l'État « très rapidement » puisque leurs solutions sont déjà déployées auprès « de millions d'utilisateurs ».
Reste désormais le plus difficile : changer les mentalités dans les écoles, collèges et lycées. Microsoft et Google y jouissent d'une solide implantation, renforcée à la fois par la qualité de leurs services et la puissance des habitudes, qui poussent les professeurs à demander des solutions perçues comme les plus simples et pratiques parce qu'ils les connaissent depuis longtemps.
Les acteurs français du logiciel et du cloud partent également défavorisés par le fait que ce sont les collectivités locales, et non pas l'État, qui décident des équipements matériels et logiciels des établissements scolaires, ce qui ralentit le changement.
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