LA TRIBUNE DIMANCHE- Le sommet du Caire vient de se terminer. Qu'en est-il sorti de concret ?
CATHERINE COLONNA- La question humanitaire a progressé. Je suis venue au Caire avec trois messages : condamner le Hamas et son action terroriste, éviter l'embrasement dans la région et pour cela rappeler qu'il faut un horizon politique autour de la solution à deux Etats, rappeler que le droit international humanitaire doit être respecté, et bien sûr obtenir un accès humanitaire d'urgence pour les populations civiles à Gaza.
Des premiers camions ont justement pu pénétrer dans la bande de Gaza hier...
La situation s'aggrave chaque jour qui passe. Parmi les toutes premières priorités
humanitaires à apporter aux populations de la bande de Gaza, il y a l'accès aux
biens de première nécessité, les vivres, les médicaments. Dès les premiers jours du
conflit, la France a fait une priorité d'un accès sans entrave et durable de l'aide
humanitaire.
Et pour le fuel, indispensable pour faire marcher les générateurs ?
C'est aux Nations unies et aux responsables humanitaires de dire ce que sont les
besoins dans la bande de Gaza. L'énergie en fait partie bien entendu, pour dessaler
l'eau de mer ou se chauffer, alors que les températures commencent à baisser.
Quelle aide précisément la France va-t-elle apporter à la population gazaouie ?
La France va apporter une aide supplémentaire de 10 millions d'euros, en
complément de ce qu'elle apporte déjà aux populations palestiniennes en Cisjordanie
et dans la bande de Gaza. Le Président de la République a annoncé vendredi un vol
spécial qui sera consacré à du fret médical. Et je travaille en ce moment même à des
contributions supplémentaires notamment au Programme alimentaire mondial, qui a
fait état de besoins additionnels.
Quelles nouvelles avez-vous des otages français ?
Nous sommes sans nouvelles de plusieurs personnes. Nous savons avec certitude
qu'une d'entre elles est détenue par le Hamas. Il y a plusieurs compatriotes pour
lesquels nous estimons que cela est très probable. Le Président s'est entretenu avec
les familles des Français disparus, vendredi. Je les ai aussi vues dimanche à Tel
Aviv. Elles savent qu'elles peuvent compter sur la France, qui n'abandonne jamais
les siens. La libération de premiers otages est un signe positif.
Et les Français de Gaza ?
Nous sommes en contact permanent avec les familles françaises présentes à Gaza.
Nous avons une centaine de Français et membres de leurs familles à Gaza. Nous
faisons tous les efforts possibles pour qu'ils sortent de cette zone dangereuse où il y
a encore des bombardements. Une partie d'entre eux vivent dans des conditions
précaires. Lorsque le passage sera durablement possible à Rafah, que l'aide humanitaire pourra être acheminée sans difficultés, nous espérons pouvoir les aider à sortir. Cela suppose, évidemment, une trêve des actions militaires et des bombardements et une parfaite coordination avec l'Egypte, qui est d'ores et déjà en place.
Comment qualifiez-vous les opérations menées aujourd'hui par Israël ?
Il faut commencer par le commencement et rappeler les actes terroristes d'une
ampleur sans précédent qui ont frappé Israël et sa population. Ces actes ont été
accompagnés d'atrocités, je dirais même, de monstruosité. Les civils n'ont pas été
pris dans des combats, ils étaient spécifiquement visés, et ont été assassinés dans
des conditions pensées par le Hamas pour maximiser l'effroi. C'est le propre d'un
groupe terroriste : n'avoir aucun cadre moral. Face à cela, Israël a évidemment le
droit de se défendre. En même temps, Israël a le devoir de respecter le droit
international, en particulier le droit international humanitaire. Cela signifie assurer la
protection des civils. La lutte doit viser le Hamas, pas les Palestiniens qui souffrent
aussi de la situation.
Est-ce qu'Israël respecte aujourd'hui ce droit international humanitaire ?
Leur objectif est de mettre le Hamas hors d'état de nuire. Remplir cet objectif dans un
territoire aussi densément peuplé que Gaza est extrêmement difficile et rend d'autant
plus nécessaire de respecter scrupuleusement le droit international, qui dit assez
précisément ce qui peut être fait et ne peut pas être fait dans le cadre d'un tel conflit.
Mais Israël respecte-t-il vraiment le droit international humanitaire ?
L'accès des populations à l'eau, aux soins, est une obligation. Imposer un siège
contrevient au droit international. En parallèle, je crois que les derniers jours, et
notamment les évènements de mardi soir dernier doivent nous amener à beaucoup
de prudence. C'est pour cela que la France n'a désigné aucun responsable de la
frappe sur l'hôpital de Gaza et appelé à ce que toute la lumière soit faite sur cet
épisode. Aujourd'hui, vous connaissez l'analyse de nos services de renseignement,
qui est publique. Elle n'est pas celle qui avait été avancée le soir même.
Le Hamas peut-il être détruit ?
C'est une question qu'il faut poser à ceux qui ont décidé de mener cette action. C'est
l'objectif des Israéliens mais ils disent eux-mêmes que la réalisation de cet objectif
sera difficile et que l'opération pourra être longue. Il y a en tout cas une unité de vue
pour Israël sur la nécessité de protéger sa population en mettant l'organisation
terroriste hors d'état de nuire.
L'opération sera très couteuse, des milliers de morts, des quartiers détruits,
presque la moitié de la population déplacée dans le sud ...
C'est pour cela qu'il faut que l'aide humanitaire les atteigne rapidement et que nous
affirmons avec force le besoin de protection des civils. L'opération doit s'en prendre
au terrorisme du Hamas, pas à la population palestinienne de la bande de Gaza.
Appelez-vous à un cessez le feu ?
Les Nations-Unies et le Conseil de sécurité ont été saisis de deux projets de
résolution. Le projet élaboré par le Brésil et discuté entre les différentes délégations,
est un bon texte que la France a voté. Douze pays l'ont soutenu, et notamment la Chine et le Brésil mais aussi les Emirats Arabes unis, seul Etat arabe au Conseil de Sécurité. Il rappelle la condamnation de l'action terroriste du Hamas, appelle à la libération des otages, préconise une trêve humanitaire et encourage à la cessation des hostilités. C'est ce à quoi nous nous employons. Il faut parallèlement travailler à restaurer les conditions permettant de redonner un horizon politique. C'est l'intérêt du sommet du Caire qui ne traitait pas que des questions immédiates mais de ce qui devra suivre.
Et donc, comment relancer le processus de paix ?
Les paramètres sont connus depuis longtemps. Il faut trouver les moyens d'assurer à
Israël son droit à la sécurité et assurer aux Palestiniens leur droit à un État. La
solution à deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité est la seule viable.
C'est ce que la France affirme avec constance et continuera d'affirmer avec force. Il
faut un Etat palestinien.
En attendant, quel message la France peut-elle faire passer au Hezbollah libanais afin d'éviter l'ouverture d'un second front au nord d'Israël ?
Nous faisons passer les messages les plus directs et les plus clairs pour éviter toute
escalade, même s'il y a eu quelques escarmouches. Lorsque j'étais au Liban le 15
octobre, j'ai eu l'occasion d'en parler avec le Premier ministre et le président du
Parlement afin qu'ils passent le message de la façon la plus nette au Hezbollah. De
même, le président de la République a appelé le président iranien pour le mettre en
garde contre toute implication dans ce conflit.
Justement, quel rôle l'Iran a-t-il joué dans l'attaque contre Israël ?
Il y a des interrogations mais nous n'avons pas de réponses précises, tout en
sachant bien quelles sont les porosités idéologiques et politiques, ainsi que les liens
financiers entre l'Iran, le Hamas ou d'autres groupes, comme le Hezbollah. A l'heure
actuelle, aucun pays n'a affirmé disposer de preuves d'une implication directe. En
revanche, on voit clairement qu'un certain nombre d'Etats sont tentés de souffler sur
les braises pour faire oublier ce qu'ils font par ailleurs ou bien pour empêcher la
région d'être en paix. Mon homologue iranien a de nouveau franchi tous les excès en
appelant à éradiquer les Juifs et rayer Israël de la carte.
Pourquoi l'Europe et les États-Unis ont-ils délaissé la question palestinienne, pourtant centrale au Proche-Orient, ces dernières années ?
Avant l'Europe et les Etats-Unis, parlons des pays de la région. Ce sont d'abord eux
qui, peut-être par lassitude de ne pas voir les choses progresser, ont imaginé que le
sujet palestino-israélien devait être abordé sous une approche économique. Cela a
débouché sur la logique des accords d'Abraham [traités de paix entre Israël et les
Emirats arabes unis puis Bahrëin en 2020, NDLR]. L'intérêt majeur était de permettre une normalisation de certains Etats avec Israël et de faire baisser les tensions. Mais pour les Palestiniens, il faut aussi une solution politique et elle manque aujourd'hui. Nous le constatons aujourd'hui. Les États-Unis et les Européens doivent aussi réaffirmer la nécessité d'un dialogue politique et d'une solution à deux Etats, que nous avons
toujours défendue et promue. Et il faut évidemment amener Israël à comprendre
qu'un Etat palestinien sera un facteur de sécurité pour eux. Nombreux sont les
Israéliens qui le savent même si aujourd'hui le pays est centré sur la réponse aux
attaques du 7 octobre.
Qu'attendez-vous du débat au Parlement la semaine prochaine sur la situation
au Proche-Orient ?
Dans un contexte si tendu, il est important d'informer la représentation nationale de
façon transparente, de répondre à toutes ses interrogations et d'éviter qu'il y ait des
approximations, des erreurs d'analyse, des manipulations. Face à la gravité de la
situation, je veux croire que l'esprit d'unité et le sens des responsabilités prévaudront
au cours de ce débat.
Dans ce contexte, l'examen du projet de loi sur l'immigration a pris une autre
dimension. Avec quels pays l'obtention des laissez-passer consulaires
nécessaires pour procéder à des expulsions reste-t-elle compliquée ?
Nous progressons dans les expulsions, Gerald Darmanin a donné les chiffres, et je
crois que ce qui vient de se passer va permettre de renforcer nos discussions avec
les pays qui seraient trop longs à délivrer les laissez-passer consulaires. C'est un
travail que nous menons conjointement avec le ministre de l'Intérieur, en parfait
accord.
La restriction des visas vis-à-vis des pays récalcitrants comme cela avait été
tenté à la fin du précédent quinquennat est-elle définitivement abandonnée ?
Nous avons mis en place un dialogue et de la reprise complète des relations
consulaires, y compris avec le Maroc, qui vient de nommer une ambassadrice à
Paris. Les choses avancent.
Propos recueillis par Garance Le Caisne et Ludovic Vigogne