Vendredi, François Hollande a envoyé son livre sur l'Europe expliquée aux jeunes, dédicacé, à Raphaël Glucksmann. En décembre, l'ancien président lui prédisait un score de 12 % à 13 % pour les élections européennes du 9 juin. Ce qui était un souhait est devenu une hypothèse réaliste.
Taxer les plus riches
Selon notre enquête Elabe, la tête de liste des socialistes recueille désormais 12 % des intentions de vote, soit 3,5 points de plus que début mars. Le fondateur de Place publique consolide son statut de troisième homme du scrutin, devant ses rivaux de gauche. « 11 % était notre plafond. En un mois, c'est devenu notre plancher », se félicite un proche du député européen.
L'homme de 44 ans a imprimé sa marque avec une mesure phare : taxer les plus riches au niveau européen pour financer la transition écologique et sociale. L'idée est ancienne, elle est portée depuis un an par sa colistière et numéro deux de Place publique, Aurore Lalucq. Mais elle présente cet avantage de résumer à elle seule son positionnement, comme la taxe à 75 % défendue par François Hollande en 2012.
Naturellement, Raphaël Glucksmann est devenu la cible privilégiée des macronistes et plus encore des mélenchonistes. Un exemple : en décembre, le député européen était suivi par 806000 personnes sur Instagram, faisant de lui la personnalité française comptant le plus d'abonnés derrière Emmanuel Macron. Depuis, il a perdu 17.000 abonnés. En réalité, son compte oscille entre 780.000 et 815.000 followers en fonction des campagnes de mobilisation qu'il y mène. Mais la brèche était belle, et le bras droit de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, s'est engouffré dedans pour expliquer devant plusieurs journalistes que le député européen perdait 2.000 abonnés par mois, preuve ultime du désamour des jeunes à son égard. Ces derniers jours, les mélenchonistes ont aussi rappelé sa proximité avec Nicolas Sarkozy en 2007. Ce qui a obligé l'intéressé à se justifier sur sa présence à un meeting lors de la campagne présidentielle.
Recomposition à gauche
Les macronistes ont, eux, opté pour la stratégie inverse, normaliser ce candidat qui leur ressemblerait tant. « Glucksmann aurait sa place chez nous », a tenté la tête de liste Renaissance, Valérie Hayer, dans les médias. Un proche de l'essayiste s'est étranglé en entendant un tel argument : « C'est un suicide stratégique ! Elle l'a rendu acceptable pour une grande partie de son électorat. » Au sein de la majorité présidentielle, on l'admet : « Raphaël Glucksmann profite d'une forme de recomposition à gauche. Son score dans les sondages s'explique aussi par la loi immigration qui avait choqué la gauche. »
Les deux camps savent bien qu'une partie de leurs électeurs pourrait être séduite par ce candidat à la ligne écologiste et sociale affirmée, qui ne parle que d'Europe et de l'Ukraine. Une note de la Fondation Jean-Jaurès leur donne raison : sur 100 personnes déclarant vouloir voter pour lui, 38 sont des anciens électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, et 30 avaient voté pour Emmanuel Macron. « Glucksmann est anti-Nupes, ce qui plaît à l'électorat social-démocrate. Et il n'a jamais cédé aux sirènes du macronisme, ce qui plaît à l'électorat mélenchoniste. Il est devenu le vote utile pour la double sanction Macron-Mélenchon, analyse l'ancien premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Jean-Christophe Cambadélis. Comme disent les psychanalystes, il est en situation. »
Puissance écologique
Mercredi soir, Raphaël Glucksmann a donné un meeting à Rouen. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a remarqué que l'assistance était pour moitié composée de visages inconnus, ce qui est plutôt bon signe. Certes, tous les signaux faibles sont positifs. Mais personne n'ose s'emballer. Mardi, le candidat est allé voir pour la première fois les sénateurs et députés socialistes, avec un message d'humilité : « J'ai besoin de vous. » Face à ces élus qui le regardaient il y a cinq ans avec une pointe de scepticisme, il a pris son temps.
Son programme sera dévoilé d'ici une dizaine de jours, autour d'une expression : la puissance écologique, « deux mots qui ne sont pas associés d'habitude », fait-on valoir dans son équipe. Un meeting est prévu le 13 avril à Nantes et un déplacement à La Réunion courant avril. Fin mai, il donnera un meeting à Paris, avec des figures de la gauche européenne, comme le patron du PS belge, Paul Magnette. Sur Instagram, il va lancer une campagne contre le mastodonte d'e-commerce chinois Temu, comme il l'a déjà fait avec le géant de la fast fashion Shein.
Les socialistes veulent croire que le résultat du 9 juin imposera un nouveau rapport de forces à gauche avant 2027, tournant la page de la Nupes. Même si tout montre dans l'histoire que les élections européennes ne préfigurent jamais de la présidentielle suivante. « La réalité, c'est qu'on ne sait rien. C'est une embellie forte mais ça ne dit rien de la façon dont nous devons construire la suite », tempère Olivier Faure. Personne n'a oublié que Yannick Jadot était arrivé en tête des listes de gauche aux européennes en 2019 avec 13,48 % des voix, ce qui n'avait pas empêché ce même Yannick Jadot de faire un score de 4,7 % à la présidentielle suivante, trois ans plus tard.