Marion Maréchal n'allait pas quitter le Parlement européen sans faire une bise à son oncle. « Ici, tout le monde se croise et se dit bonjour, évacue Philippe Olivier, conseiller spécial et beau-frère de Marine Le Pen. Et puis, Marion, je l'aime beaucoup. » Cela n'empêche pas l'eurodéputé Rassemblement national (RN) de penser que sa nièce se dirige vers un mur, que son espace politique va finir aspiré par Jordan Bardella. Le nouveau sondage Elabe réalisé pour La Tribune Dimanche lui donne raison : le président du RN domine ses concurrents avec 27,5 % des su rages crédités, la tête de liste zemmouriste stagne à 5 %. Au-dessous de ce seuil fatidique, point d'élus après le 9 juin. En janvier, déjà, le chiffre en a piqué plus d'un chez Reconquête. « Si ça finit comme ça, on est mal », commente alors un poids lourd.
Au bar des eurodéputés, mercredi, Philippe Olivier s'autorise une nuance : « Il faut se méfier. Reconquête sait faire campagne, Marion aussi. » Le grognard lepéniste n'est pas le seul à se lever pour la saluer. Nadine Morano quitte sa table pour s'asseoir à celle où Marion Maréchal devise avec l'ex-RN Nicolas Bay, en quatrième position sur sa liste. Les trois taillent le bout de gras une quinzaine de minutes. La très droitière élue sarkozyste - que beaucoup chez Les Républicains (LR) aimeraient voir laissée sur la touche - a eu sa bise, elle aussi.
La petite-fille de Jean-Marie Le Pen n'est pas venue à Strasbourg les 6 et 7 février uniquement pour réseauter. Elle est surtout là pour formaliser l'adhésion du parti d'Éric Zemmour aux Conservateurs et Réformistes européens (ECR), l'un des deux groupes - avec Identité et Démocratie, où la France est représentée par le RN - situés à la droite de la droite libérale, celle de l'hégémonique Parti populaire européen (PPE). Reconquête s'accroche à l'étoile de Fratelli d'Italia, mouvement de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, qui a le vent en poupe à domicile. L'autre pilier d'ECR, le parti polonais autoritariste Droit et Justice (PiS), récemment battu à Varsovie, n'est guère enthousiasmé. Attaché à l'Otan, il réprouve la manière dont les zemmouristes - par ailleurs jugés petits calibres - ont naguère exalté Vladimir Poutine.
Marion Maréchal et Nicolas Bay savent que ces bricolages échappent au radar des Français. Le but est ailleurs. En s'alliant à des partis d'extrême droite « de gouvernement », Reconquête envoie un signal aux Républicains, toujours 3 points devant mais fragiles. Abattre le parti d'Éric Ciotti, ébranlé par la défection de Rachida Dati et le fi asco de la loi immigration, est la principale obsession d'Éric Zemmour. Des dirigeants LR admettent que l'opération « crédibilise » Marion Maréchal. « Ça limite la portée de l'argument consistant à dire qu'ils sont seuls », détaille un parlementaire proche de Laurent Wauquiez. Après avoir fait des clins d'œil à l'électorat macroniste, le candidat virtuel de la droite à la prochaine présidentielle indique depuis quelques semaines, en comité réduit, qu'il faut déplacer la focale vers les Français séduits par Reconquête en 2022.
Dans ce match de deuxième division, chacun joue gros. LR risque aussi l'élimination et la Zemmourie sait que tout peut s'arrêter dans quatre mois, malgré sa force militante. D'où les transgressions comme celle, le 5 février sur CNews, de Guillaume Peltier. Sur le ton du prêche, l'ex-vice-président des Républicains devenu numéro deux de la liste de Marion Maréchal s'en est pris aux personnalités politiques sans enfants : Emmanuel Macron, Gabriel Attal, Jordan Bardella... François-Xavier Bellamy. Tous sont coupables, selon l'ancien mégrétiste, de ne pas contribuer à notre démographie. Du pur Peltier, décrypte un fin observateur : « Guillaume vise à affaiblir François-Xavier. Il s'adresse au fond de sauce "catho tradi" de notre électorat en lui disant, en substance, "M. Bellamy est un dissimulateur ; pour ce scrutin, votre bon vecteur, c'est Mme Maréchal, qui est mariée, et a des enfants". »
Qu'importe si les mœurs d'Éric Zemmour - dont la relation adultérine avec sa conseillère Sarah Knafo s'est étalée dans les pages people durant la présidentielle - n'ont rien de « tradi ». Guillaume Peltier fait le sale boulot ; le seul qu'il fournit à Reconquête, selon plusieurs cadres, qui restent pantois devant sa capacité à « se rendre indispensable » auprès des personnes qui comptent. Hier, c'était Zemmour, aujourd'hui, c'est Maréchal. « Il a entourloupé Philippe Vardon pour se rapprocher d'elle », grince un dirigeant du parti. L'identitaire niçois est membre du « pôle projet » chapeauté par Nicolas Bay. Guillaume Peltier en est également, tout comme Antoine Mellies, homme de confiance de Marion Maréchal, et Philippe Schleiter, neveu du négationniste Robert Faurisson, chargé de la mobilisation militante. Ils se sont réunis pour la première fois le 22 janvier.
« C'était collégial, disons », raconte un participant, nous signifi ant par là l'absence de décisions tranchées. En interne, les différents clans ne communiquent pas toujours de manière fluide. Les instructions prennent du temps à être avalisées, beaucoup de choses passent par le tamis de Sarah Knafo, qui n'a pas encore décidé si elle voulait être troisième de la liste. Éric Zemmour l'incite plutôt à y aller. Tous s'accordent à dire que Marion Maréchal doit « prendre pied » dans la campagne. Son premier meeting est prévu le 10 mars à Paris, mais elle ne les fera pas tous. À certains raouts, Éric Zemmour pourrait officier seul. Le retour de la « rock star » d'extrême droite est attendu pour compenser le classicisme de sa tête de liste. Plutôt optimiste, la nièce de Marine Le Pen mise aussi sur les débats télévisés, comme face à Mathilde Panot. Sarah Knafo, avec qui la candidate entretient des relations sans a ect, a récemment soumis l'idée d'un duel avec l'éco-féministe Sandrine Rousseau. Et avec François-Xavier Bellamy ? Un dirigeant LR prie pour que sa tête de liste évite un tel scénario. « Il faut sortir du match avec Reconquête. » C'est pourtant l'un de ceux qui se joueront d'ici au 9 juin.