« L’autonomie de la Corse s’inscrit dans le pacte girondin porté par Emmanuel Macron » (Marc Ferracci, député)

ENTRETIEN. Ami de jeunesse et compagnon politique de la première heure d’Emmanuel Macron, Marc Ferracci a la parole rare s’agissant de la Corse où il a ses racines et ses attaches familiales. Le processus d’autonomie donne à celui qui est député des Français de la Suisse et du Liechtenstein l’occasion de s’exprimer sur le sujet…
Le député des Français de la Suisse et du Liechtenstein, Marc Ferracci.
Le député des Français de la Suisse et du Liechtenstein, Marc Ferracci. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - La Corse inscrite dans la Constitution pour, à la fois, marquer sa singularité et son ancrage au sein de la République, ça vous convient ?

MARC FERRACCI - Je suis depuis longtemps favorable à la démarche. Dès 2017, lorsque le Président Emmanuel Macron faisait campagne, le principe de l'affirmation de la singularité de la Corse était déjà dans sa tête et dans ses discours. Une affirmation qui portait elle-même en germes une forme d'autonomie dans la République. Nous sommes aujourd'hui sur l'aboutissement d'un processus qui, en réalité, remonte donc à plusieurs années, qui a pris du temps pour de bonnes et de moins bonnes raisons, mais je suis très heureux de l'accord intervenu entre une large majorité des élus insulaires et le gouvernement. Le meilleur moyen d'arrimer la Corse à la République, c'est effectivement de lui donner une place particulière dans notre texte fondamental.

En réalité, la Constitution, c'est le sésame pour un statut d'autonomie avec le pouvoir d'adapter les lois mais aussi d'en créer dans le strict cadre de ses compétences, cela vous convient toujours ?

Oui, dès lors que, dans les prochaines semaines et les prochains mois, nous allons assister à des discussions approfondies sur le périmètre de ce pouvoir de produire des normes de nature législative. Beaucoup de choses vont se jouer dans cette période charnière. Il s'agira de délimiter un périmètre qui soit cohérent avec les spécificités de la Corse, de trouver une voie de passage en définissant, de la manière la plus précise qui soit, les domaines dans lesquels pourra s'exercer ce pouvoir normatif sous le contrôle étroit du Conseil constitutionnel, comme cela est clairement annoncé.

Je pense que nous sommes dans la bonne direction. Toutes les îles ou presque de la Méditerranée ont un statut d'autonomie avec la capacité à produire des normes. Or, la Corse est encore plus singulière puisqu'aux contraintes de l'insularité se greffent celles du caractère montagneux avec la coexistence difficile, voire discordante pour un certain nombre de communes, de la loi Littoral et de la loi Montagne.

La voie de passage que vous évoquez pourrait ressembler au chas d'une aiguille au Sénat. Que la majorité sénatoriale accepte de déléguer ne serait-ce qu'une infime parcelle du pouvoir de légiférer, n'est-ce pas un pari perdu d'avance ?

Je ne le crois pas. J'espère que les débats permettront de convaincre, au Sénat mais aussi à l'Assemblée nationale. Il y a de la pédagogie à faire auprès d'un certain nombre de forces politiques d'opposition et au sein même de la majorité présidentielle. On sait bien que la droite sénatoriale a des préventions vis-à-vis de cette démarche consistant à attribuer un pouvoir normatif à la Corse, mais là où il y a des échanges, contradictoires et constructifs, il y a un chemin.

Le contenu du texte constitutionnel, mais plus encore celui de la loi organique qui va circonscrire les sujets sur lesquels il pourra s'exercer, demande une approche globale et une discussion ouverte et éclairée. Encore une fois, la réaffirmation de la spécificité corse sera indispensable face à la petite musique qu'on entend monter d'autres régions comme la Bretagne ou l'Alsace qui souhaitent s'inviter dans le processus. Mais ce qui constitue la légitimité première, c'est l'insularité et ce qu'elle génère comme conséquences et comme difficultés spécifiques.

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Parmi ces difficultés, les handicaps structurels qui génèrent une disparité forte avec les entreprises du Continent. L'économiste que vous êtes est-il aussi favorable à une fiscalité particulière ?

Institutions et économie sont indissociables. La fiscalité pose d'abord la question de l'attractivité et, effectivement, compte tenu de ce que représentent les coûts liés à l'insularité, des mesures fiscales susceptibles de combler les écarts me paraissent opportunes, aussi bien pour soutenir les entreprises corses que pour encourager les investissements extérieurs qui vont apporter une plus-value au territoire. Une activité optimisée est une activité qui produit des ressources fiscales.

À l'Assemblée Nationale, j'ai observé qu'un certain nombre de demandes portées par les députés de la Corse pour renforcer des dispositifs fiscaux existants ou en créer de nouveaux étaient retoquées en raison du risque d'inconstitutionnalité au motif de la rupture d'égalité devant les charges publiques. Un pouvoir d'adaptation serait ici une solution. Quant au recours au pouvoir normatif pour définir de nouvelles règles fiscales propres à la Corse, je laisse ce débat en suspens car il emporte beaucoup de conséquences.

Vous appartenez au cercle fermé des amis d'Emmanuel Macron depuis 25 ans. Son mode de gouvernance est très centralisé. Croit-il sincèrement à cette réforme constitutionnelle et à la dévolution d'une autonomie ?

Je pense qu'il en est parfaitement convaincu. Je faisais tout à l'heure référence à sa campagne de 2017. Le pacte girondin est quelque chose qui lui tient toujours autant à cœur, qui n'a jamais quitté son esprit. Le Président a d'ailleurs confié récemment à mon collègue député, Éric Woerth, la mission de réfléchir à de nouvelles mesures de décentralisation. Aujourd'hui, la boucle est en train de se boucler, et je suis particulièrement heureux que la Corse soit un terrain d'application privilégié de ce pacte.

Vous êtes attaché à l'île, vous y avez vos racines familiales. Pourtant, on vous entend assez peu sur la Corse. Comment l'expliquez-vous ?

Le processus dit de Beauvau accapare depuis plus de deux ans les parties légitimes, à savoir les élus de la Corse et le gouvernement. Je n'ai pas voulu interférer dans les discussions et ainsi donner le sentiment que j'y jouais un quelconque rôle. Je n'ai jamais eu vocation à être un acteur de ce processus, je suis un observateur attentif qui donne son avis aux uns et aux autres, et seulement quand on le lui demande.

Au deuxième tour des présidentielles en Corse, Marine Le Pen est arrivée en tête avec plus de 58 % des suffrages. Vous voyez les Européennes comme une sorte de session de rattrapage ?

Certainement pas, je n'ai aucune leçon de démocratie à donner à mes compatriotes corses, d'autant moins qu'au niveau de la participation aux élections, la Corse bat régulièrement les records. D'autre part, les Européennes sont traditionnellement un scrutin difficile pour la majorité en place. Les gens, aux prises avec les difficultés du quotidien, y expriment une colère sur laquelle spéculent les partis populistes comme le Rassemblement national. Les deux mois de campagne qui nous séparent du vote permettront, je l'espère, de combler une partie significative du retard. S'agissant de Marine Le Pen, je relève le paradoxe entre un résultat électoral favorable pour elle en Corse et son opposition à l'autonomie. J'espère que les électeurs corses seront conscients de cela au moment du vote du 9 juin.

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Le Président de la République a dit qu'il prendrait des initiatives pour que la Corse rayonne en Méditerranée. Ne pensez-vous pas qu'elle mérite une place éligible sur la liste Renaissance et une voix au Parlement Européen ?

La constitution d'une liste avec un nombre incertain de places éligibles, ce n'est pas simple, c'est un euphémisme. Par ailleurs, le poids démographique de la Corse par rapport à d'autres régions ne l'avantage pas non plus. Je le regrette, il devrait y avoir d'autres paramètres à prendre en considération comme, en effet, l'idée que la Corse puisse être une tête de pont pour la France en Méditerranée. Le faire prévaloir à Bruxelles aurait indéniablement de l'intérêt. Je sais que c'est compliqué mais, pour ma part, je suis favorable à votre suggestion.

Commentaires 4
à écrit le 23/04/2024 à 8:57
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Quand on n'est pas capable de construire, on déconstruit...

à écrit le 23/04/2024 à 8:19
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Autonomie totale ! Plus un rond de la France.

à écrit le 22/04/2024 à 13:24
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Pacte Girondin? Est-ce que cela signifie que l'on peut changer le statut d'une région sans en demander l'autorisation par référendum à la population qui y vit toute l'année? En effet, l'accord, même unanime, des élus de la Collectivité de Corse ne su...

à écrit le 22/04/2024 à 11:42
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Pacte girondin? En 7 ans il n'a que recentralisé et réduit l'autonomie fiscale des collectivités, tjrs plus dépendantes des transferts du gouvernement central....

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