LA TRIBUNE - Quel sens donnez-vous à la mission en Corse de la Commission des finances de l'Assemblée nationale ?
ERIC COQUEREL - La perspective d'un nouveau texte législatif amène systématiquement la Commission des finances à organiser des auditions de personnes susceptibles de nourrir sa réflexion et ses arguments. Là, c'est le même principe, sauf que nous sommes venus sur place prendre le pouls dans l'éventualité d'un changement statutaire. Nous n'étions pas là pour négocier dans le cadre du processus en cours, mais pour anticiper sur une potentielle législation fiscale, car ce qui existe aujourd'hui en termes de fiscalité n'est, à l'évidence, pas satisfaisant.
Quel bilan global tirez-vous de cette visite marathon de deux jours ?
Tous les objectifs ont été atteints. Nous repartons avec une vue, sinon complète, du moins synthétique de la situation fiscale de la Corse, mais aussi des problèmes relatifs au foncier et à l'indivision, à la difficulté de se loger, aux aléas du transport, à la gestion délicate des déchets, au fait qu'en dépit d'un taux de TVA réduit, nombre de produits sont plus chers que sur le Continent.
Il y a aussi la problématique de développement très différencié entre le littoral et l'intérieur et rien que pour ça, il fallait être sur place pour la saisir dans toute sa complexité. J'ajoute que la Corse compte des personnalités politiques de grande valeur. Aucun de nos interlocuteurs, du maire du petit village rural au président du Conseil exécutif, n'a omis de restituer son propos dans son contexte historique, preuve d'un savoir, d'un discernement et d'un souci de l'intérêt général profondément ancré en chacun d'eux.
Au final, une évolution statutaire vers l'autonomie vous paraît-elle utile ?
Là, c'est le député LFI qui parle. Voilà longtemps que nous nous sommes prononcés en faveur d'une évolution de l'article 74 de la Constitution, car à bien des égards, la situation de la Corse ressemble à celle des territoires ultramarins. Ce que nous ne voulons pas, c'est une modification qui disloque le cadre d'une République une et indivisible.
À mes yeux, les deux conditions sont réunies pour doter la Corse d'un statut spécifique : une multiplication de singularités fortes et la volonté du peuple. Cela fait plusieurs élections que l'autonomie suscite une adhésion largement majoritaire. On ne peut pas faire comme si elle n'existait pas.
Vous avez longuement échangé avec Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif de Corse. Que vous a-t-il appris que vous ne sachiez pas ?
Déjà une chose par rapport au but de notre déplacement : les dérogations fiscales, en théorie avantageuses pour la Corse, ne remplissent pas leur objectif. Je citerai les crédits d'impôts mal ciblés et mal adaptés. Nous allons demander des éclaircissements à l'État, car il n'est pas certain que tous les flux financiers produits par ces dotations et ces dérogations restent en Corse. On doit aussi s'interroger, pour certains secteurs, sur le rôle joué par des monopoles privés.
Le principal marqueur de l'autonomie, c'est le pouvoir législatif. Dans les tuyaux, figure une habilitation générale pour adapter les lois. La production de textes législatifs serait limitée et encadrée : ce scénario vous convient ?
Oui, il me convient et apparemment, tout le monde semble l'accepter dès lors que nul ne souhaite s'affranchir du cadre républicain. Par contre, la question, essentielle, en suspens est la suivante : qui habilite et qui décide de ce qui relève du ressort d'une création législative, le Parlement ou la Collectivité de Corse ? Tout doit aussi être encadré par un principe de non-régression sociale et écologique.
Les lois créées ou adaptées doivent aller dans un sens de progrès, pas vers quelque chose qui transformerait la Corse en une gigantesque zone franche, même teintée de vert. L'Assemblée de Corse a mis des garde-fous, mais on ne sait pas qui saisira les rênes du pouvoir à l'avenir...
Un pays viscéralement jacobin peut-il seulement admettre le terme d'autonomie dans son lexique républicain ?
Ne caricaturons pas non plus le jacobinisme. La République n'est pas une contrainte, mais la promesse de liberté, d'égalité et de fraternité sur tout le territoire. À partir du moment où elle est attaquée par des politiques néolibérales qui la fissurent, des populations peuvent y trouver moins d'avantages. On ne peut pas contraindre un peuple qui s'exprime à 70% en faveur d'une autonomie. C'est à la République de toujours montrer qu'elle est le régime idéal pour y répondre, un régime supérieur à ce qui serait une juxtaposition de communautés.
L'ancien Premier ministre Manuel Valls, opposé à l'autonomie de la Corse, explique que la France n'est pas une addition de tribus...
Réduire la Corse à une tribu, c'est non seulement excessif, mais c'est très péjoratif vis-à-vis de tous les territoires français qui ont des singularités. La question n'est pas d'admettre que les communautés existent, elles existent, mais de faire en sorte qu'elles considèrent que leur intérêt est de rester dans le cadre républicain qui prémunit de tout phénomène tribal pour reprendre le mot de Manuel Valls qui fait partie de ces gens qui, en réalité, minent ce cadre.
Jean-Luc Mélenchon adhère à ce qui est une ligne rouge pour le gouvernement : le statut de résident qui donne accès à la propriété au bout de cinq ans de résidence. Vous êtes sur la même longueur d'onde ?
Absolument, si on n'est pas sur une base ethnique. Le statut de résident, c'est permettre aux gens de vivre et de travailler au pays, un vieux et sage slogan.
Sans même parler du Sénat, les groupes à l'Assemblée nationale sont sur la réserve. Vous pensez que c'est malgré tout jouable pour la Corse ?
Je vous fais une comparaison : tout le monde pensait que le Sénat ne voterait jamais la constitutionnalisation de l'IVG, mais le travail de sensibilisation a porté ses fruits. Là, de la même manière, la question est de savoir si on veut trouver une sortie par le haut à une situation compliquée, qui a connu une dimension dramatique, avec des interlocuteurs qui ont œuvré à un quasi consensus, avec la droite et les indépendantistes. Ceux qui vont dire non prennent une sacrée responsabilité.
La présence depuis deux législatures de trois députés nationalistes a-t-elle contribué à modifier le regard sur la Corse ?
Incontestablement. Le contact politique mais aussi humain avec ces trois députés puis avec Gilles Simeoni a beaucoup pesé dans cette évolution. Et c'est un ancien chevènementiste qui le dit...