« Honnêtement , politiquement, si on vote le texte d'En marche, on est mort. » La phrase fait allusion au projet de loi sur l'immigration porté par Gérald Darmanin et elle est signée d'Émilie Bonnivard, députée savoyarde et vice-présidente des Républicains. Elle l'a envoyée le 11 octobre sur une boucle WhatsApp interne de LR : celle du « shadow cabinet », contre-gouvernement du parti, où siègent une trentaine de poids lourds de la droite. Au-delà du ton très directif, qu'ont peu goûté plusieurs témoins, c'est l'émettrice du message qui les a titillés. Proche du chef des députés LR, Olivier Marleix, Émilie Bonnivard est aussi une fidèle de Laurent Wauquiez. Le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes demeure, à cette date, le candidat putatif de son camp à la prochaine présidentielle. Pour lui, il n'y a pas de doute : la loi immigration ne doit pas être adoptée. Cela signifie empêcher le gouvernement d'obtenir une majorité à l'Assemblée nationale grâce aux LR, seuls à même de la lui fournir sur ce sujet.
Sans avoir trop l'air d'y toucher, Laurent Wauquiez s'active en coulisses et distille ses instructions. D'abord, le 1er octobre à Valence, lors de la rentrée du mouvement des Jeunes LR, où l'ex-ministre appelle à s'opposer « par tous les moyens institutionnels » à un texte qui conduirait « à ouvrir de nouveaux appels d'air pour encore plus d'immigration ». Puis le 17 octobre dans Le Parisien, où il affirme que le texte de Gérald Darmanin « reste dans l'ambiguïté » et qu'en l'état « il faut le rejeter ». Quelques jours avant, Olivier Marleix lui a passé un coup de fil pour l'inciter à se mobiliser et à mettre son poids dans la bataille. C'est que le député d'Eure-et-Loir ne veut pas revivre l'épisode douloureux de la réforme des retraites. En mars, son groupe s'est profondément fracturé, affichant au grand jour son manque de cohésion sur un thème jadis fédérateur à droite. À l'époque, beaucoup en ont voulu à Laurent Wauquiez - notamment Éric Ciotti, élu à la présidence de LR sur son nom - d'avoir été aux abonnés absents. « Il aurait suffi de motiver deux ou trois députés de sa Région pour qu'on soit moins divisés », peste encore aujourd'hui une cadre du parti.
La même, qui connaît bien son Wauquiez, poursuit en évoquant la « pression monstre » exercée ces dernières semaines par l'ancien ministre sur les parlementaires. « Laurent fait tout pour que le groupe à l'Assemblée ne vote pas le texte. Il veut plomber Darmanin, qu'il voit comme un futur rival. » D'autres minimisent. Régulièrement à Paris, où il a des bureaux, le président d'Auvergne-Rhône-Alpes voit les uns et les autres, par exemple ceux qui ont le scrutin européen de juin 2024 dans leur viseur. Il se garde bien, en revanche, d'assister aux réunions hebdomadaires des députés LR. Un proche de Laurent Wauquiez nie toute ingérence : « Gérald Darmanin n'est pas un sujet pour lui. Le vrai sujet, c'est qu'on a un exécutif laxiste, qui n'a jamais fait entrer autant d'immigrés dans le pays. L'attentat d'Arras ne fait que confirmer cela. »
Le changement de pied est pourtant là. L'ex-patron de LR reste dans sa stratégie de labourage du terrain à bas bruit pour préparer 2027 mais ne veut pas que la droite fasse la courte échelle aux macronistes dans le domaine régalien. Il aimerait aussi qu'elle évite de précipiter une dissolution de l'Assemblée. Or, plusieurs députés - Aurélien Pradié, Pierre-Henri Dumont, etc. - campent sur la position d'un dépôt de motion de censure si le texte, examiné au Sénat à partir du 6 novembre, est trop « ramollo ». « Deux ans et demi de campagne présidentielle, ce n'est pas de trop ; c'est ça, le calcul de Laurent », glisse un dirigeant LR conscient que des législatives anticipées feraient tout capoter. Il reste à voir comment se déroulent les débats à la chambre haute. Nul doute que Laurent Wauquiez les suivra de près.