
L'annonce est forte. Elle traduit notamment la difficulté de concilier l'accélération de la transition écologique avec les problématiques de logement de certaines communes. Alors que la lutte contre l'artificialisation des sols ne cesse de crisper les élus locaux, Laurent Wauquiez (LR), le président d'Auvergne-Rhône-Alpes, a annoncé ce samedi la sortie de sa région du « zéro artificialisation nette » (ZAN), un dispositif piloté par les régions et à réduire de moitié d'ici à 2031 la consommation d'espaces naturels et agricoles par rapport à la décennie précédente puis, à l'horizon 2050, de ne plus bétonner de sols à moins de renaturer des surfaces équivalentes.
« Mettre sous cloche les décisions des permis de construire sur la ruralité, cela signifie qu'on s'interdit toute forme d'avenir (...) J'ai décidé que la région se retirait du processus. On le fait en lien avec les départements avec lesquels on a échangé dessus », a-t-il déclaré ce samedi devant des membres de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) réunis en congrès ce samedi à l'Alpes d'Huez, en fustigeant une loi « ruralicide »,
La loi Climat et Résilience, adoptée en 2021, confie aux régions la tâche de se fixer un objectif de réduction de la bétonisation des terres à travers leur document de planification (Sraddet), pour atteindre le « zéro artificialisation nette » en 2050. Pour ce faire, elles devront répartir l'effort de réduction entre les différentes zones de leur périmètre régional, des schémas de cohérence territoriale (Scot) au niveau du département, jusqu'aux plans locaux d'urbanisme (PLU) et cartes communales.
« Chez nous si les gens viennent c'est précisément parce qu'il y a un peu d'espace, sinon quelle est notre chance ? », a interrogé Laurent Wauquiez, reprochant à la Première ministre Elisabeth Borne « de ne pas avoir tenu ses promesses ».
Réactions indignées
« Lutter contre l'artificalisation des terres n'est pas une option, c'est un impératif, pour lutter contre le réchauffement climatique et ses conséquences », n'a pas tardé à tacler le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, Christophe Béchu sur X (ex-Twitter). Interrogée par l'AFP, la secrétaire d'Etat chargée de la Biodiversité, Sarah El Hairy (MoDem), a rejeté comme "profondément populistes" les propos de M. Wauquiez.
« Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes se désengage vis-à-vis du ZAN, alors même qu'un accord a été trouvé avec les parlementaires (...) pour améliorer ce dispositif en collaboration avec l'AMF (...) A croire que, selon lui, la loi s'applique de manière sélective », a déclaré à l'AFP Christophe Béchu.
« Rejeter le ZAN revient à refuser de protéger les terres agricoles (...). Refuser le ZAN signifie également ignorer la nécessité de préserver les espaces naturels, qui abritent une biodiversité riche et contribuent au stockage du carbone », a ajouté le ministre, accusant le patron d'Auvergne-Rhône-Alpes de faire "jouer les territoires les uns contre les autres".
« Le gouvernement doit mettre un coup d'arrêt aux attaques séparatistes et écocidaires de Laurent Wauquiez », ont réagi dans un communiqué les Ecologistes de la région AuRA, pour qui « sortir la région de l'objectif du ZAN c'est abandonner les maires des communes rurales, les laisser sans solutions face aux bétonneurs ».
« La zéro artificialisation nette, ce n'est pas une lubie (...) c'est une loi », a insisté Sarah El Hairy, interrogée par l'AFP aux journées de rentrée du MoDem à Guidel (Morbihan).
Rapporteur de la loi Climat et résilience en 2021, le député Renaissance Jean-René Cazeneuve estime lui que « cette réaction montre le chemin étroit entre une droite climato-sceptique et une gauche écolo punitive ».
Le débat parlementaire avait été tendu en juillet
Cette tension était au cœur du débat parlementaire cet été. Et le texte définitivement adopté par le Parlement en juillet comprenait des mesures de « souplesse » en faveur des élus locaux crispés par la lutte contre l'artificialisation des sols, avec notamment un droit minimal à construire pour les communes. Nul ne contestait la nécessité de freiner l'artificialisation, destructrice de biodiversité et facteur de réchauffement climatique. Mais les modalités du ZAN avaient braqué les maires, inquiets d'être privés d'un levier déterminant pour le développement des communes.
Les tractations avaient été serrées entre députés et sénateurs, avec en toile de fond, le défi de répondre à la colère des maires sans infléchir le cap de la transition écologique. L'Assemblée nationale avait largement remanié la copie du Sénat, dominé par la droite. Sous l'impulsion notamment du gouvernement, prêt à des gestes envers les élus locaux, mais qui trouvait que les sénateurs avaient ouvert « trop largement » la porte à l'étalement urbain.
Bref, un compromis scellé avait a été validé par l'Assemblée (169 voix contre 29) malgré le mécontentement d'une grande partie de la gauche et le Sénat.
A l'origine du texte, une levée de boucliers face à la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » des sols de la loi Climat de 2021.
L'une des dispositions phares du texte était la création d'une « garantie rurale », un « droit à construire » d'au moins un hectare, attribué aux communes, et mutualisable avec d'autres. Les députés ont fini par accepter qu'elle ne soit pas réservée aux communes peu denses.
Projets d'envergure nationale
Les débats les plus vifs ont porté sur les « projets d'envergure nationale », comme les infrastructures de transport ou les grands projets industriels. Les élus locaux craignaient, quand ils en accueillent, que la surface utilisée ampute leurs enveloppes de terres artificialisables. Le Sénat souhaitait donc les exclure du décompte des 125.000 hectares d'artificialisation autorisée jusqu'en 2031 pour le pays. Mais aucune dérogation n'a été accordée. Et les hectares consommés par ces grands projets seront déduits de l'enveloppe globale autorisée par le ZAN. Le solde sera quant à lui réparti entre les différentes régions.
Les députés ont tout de même fait des concessions. En acceptant de réduire le « forfait » qu'ils avaient prévu pour ces projets nationaux, finalement fixé à 12.500 hectares artificialisables, dont 10.000 pour ceux installés dans les régions hors Paris, Corse et Outre-mer. Surtout, si ce « forfait » était dépassé, les sénateurs ont obtenu que « le surcroît de consommation » ne serait pas imputé aux régions.