Dans l'équation qui s'ouvre à l'Assemblée nationale, la tribune signée par 17 députés LR que publie La Tribune Dimanche est une donnée à prendre en compte. Elle est le signe que les 62 élus Les Républicains au Palais-Bourbon vont aborder divisés l'examen du projet de loi sur l'immigration en commission des lois à partir de demain et dans l'hémicycle à compter du 11 décembre.
Dans ce texte (à lire ici), les 17 signataires affichent clairement leurs divergences avec la stratégie d'opposition frontale arrêtée par Éric Ciotti et Olivier Marleix. Le président du parti et le patron du groupe à l'Assemblée se montrent critiques vis-à-vis de la version du texte de Gérald Darmanin remaniée en grande partie par les sénateurs LR avant d'être adoptée le 14 novembre. Eux la qualifient de « solide », affichant leur satisfaction quant à la réécriture de la disposition sur les métiers en tension. Éric Ciotti et Olivier Marleix ont fait d'une révision de la Constitution afin de permettre l'organisation d'un référendum sur les questions migratoires un « préalable ». « Cette évolution constitutionnelle nécessaire ne saurait justifier de rejeter des améliorations législatives concrètes », estiment pour leur part les auteurs de la tribune, à l'initiative du député de Seine-et-Marne Jean-Louis Thiériot, mettant en avant leur « esprit constructif pour parvenir à un point d'équilibre qui serve l'intérêt des Français », et rendant désormais impossible pour le duo Ciotti-Marleix le dépôt d'une motion de censure.
Au sein de l'exécutif, cette première fissure qui apparaît chez Les Républicains sera vue comme un point très positif. Comme lors de la réforme des retraites, les calculettes sont en effet de nouveau de sortie. Comment faire adopter le texte sur l'immigration alors qu'il manque 39 voix au camp macroniste pour atteindre la majorité absolue ? Faudra-t-il avoir comme au printemps recours au 49.3 ? Le suspense durera jusqu'au terme des débats.
Limiter les déperditions
Depuis le début de cet automne, Gérald Darmanin ne manque pas une occasion de l'affirmer : « Ma méthode, ce n'est pas d'être rigide. » C'est ce qu'il a voulu montrer au Sénat en acceptant une large réécriture de son texte, afin qu'il soit adopté. À l'Assemblée, où il sera de nouveau en première ligne, il fait de même. Il y a trois défis.
Le premier est de décrocher des voix de députés LR, alors que leur parti jouera gros dans l'affaire. Le ministre de l'Intérieur s'y emploie activement. Il n'est pas le plus mal placé pour le faire : il vient lui-même des Républicains ; il y a gardé de solides relations. Le ministre de l'Intérieur fait un pari. Contrairement à celui sur les retraites, son texte répressif est largement soutenu par les Français. Les Républicains auront donc, selon lui, le plus grand mal à le rejeter. « L'opinion va vous contraindre à voter le texte », a dit récemment Gérald Darmanin à Éric Ciotti. S'il échange avec celui-ci, il n'a pas de relations avec Olivier Marleix.
Son deuxième challenge est de faire en sorte qu'une large partie du groupe Liot, composé de 21 membres ultramarins, régionalistes, centristes..., se rallie à son projet de loi. Lors de la réforme des retraites, leur opposition virulente n'avait pas été sans conséquences. Ces derniers mois, le locataire de la Place Beauvau a fait beaucoup de gestes à leur endroit. Sa troisième mission est enfin plus intérieure. Il lui faut limiter les déperditions dans la majorité. Si le groupe Horizons est au diapason du texte sénatorial, le MoDem est plus divisé. Au sein de Renaissance, sur les sujets régaliens, les ailes gauche et droite continuent, elles, à avoir toujours des divergences. Mais, à la différence du précédent quinquennat, la première pèse moins quand la seconde s'est beaucoup renforcée.
Dans les semaines qui viennent, tel un jongleur faisant tourner des assiettes chinoises, Gérald Darmanin va devoir faire preuve de dextérité pour satisfaire des demandes parfois contraires. Pour cela, il sera secondé par le rapporteur, le député Renaissance de Gironde Florent Boudié. D'un côté, les points les plus crispants pour la majorité figurant dans le texte retravaillé par les sénateurs LR, et relevant selon la Place Beauvau de cavaliers législatifs, à ce titre menacés d'être censurés par le Conseil constitutionnel, ne seront pas conservés, comme la suppression de l'aide médicale d'État ou les dispositifs concernant les mineurs non accompagnés. Mais ces suppressions sont aussi attendues avec impatience par Éric Ciotti et Olivier Marleix, qui comptent bien dénoncer une déconstruction du texte sorti du Sénat et justifier ainsi auprès de leurs troupes leur refus de le voter.
Impuissance politique
De l'autre côté, des mesures de fermeté comme le meilleur encadrement des étrangers malades ou le contrôle renforcé des visas étudiants, voire la suppression de la tarification sociale dans les transports pour les personnes en situation irrégulière devraient être conservées par l'exécutif. Mais l'aile gauche de la majorité l'acceptera-t-elle ? Comment réagira Sacha Houlié, le président de la commission des lois, qui en est issu ? Les relations entre le ministre de l'Intérieur et le député Renaissance de la Vienne ne sont pas simples. « Il n'y a aucune confiance entre eux, livre un député. Quand ils se voient, chacun se demande quand viendra la prochaine manœuvre de l'autre. »
En amont de cette séquence pleine d'incertitudes, malgré leurs relations tendues ces derniers mois, Élisabeth Borne et Gérald Darmanin ont néanmoins un point d'accord : ni l'un ni l'autre ne sont favorables à un recours au 49.3. À Matignon, on considère qu'il faut aller au vote car chacun doit prendre ses responsabilités devant les Français sur un tel texte, où la fermeté domine. Le contexte n'est pas le même que sur les retraites : le recours au 49.3 était rendu nécessaire en raison des délais imposés pour adopter les textes financiers. Si le projet de loi sur l'immigration était rejeté par l'Assemblée, ce ne serait pas la fin de l'histoire. Il retournerait au Sénat pour une deuxième lecture avant de revenir devant les députés. Le ministre de l'Intérieur affirme lui aussi depuis le départ qu'il n'y a aucune raison d'utiliser une telle arme. Il veut prouver à cette occasion que lui est capable de trouver des marges de manœuvre au-delà de la majorité relative.
Mais ce calcul est aussi une prise de risque. Un rejet en décembre du texte ne serait-il pas lu par les Français comme un signe d'impuissance politique ? Alors que l'immigration devient pour eux de plus en plus une préoccupation, le coût ne serait-il pas lourd pour Emmanuel Macron ?