Un nouveau Premier ministre en guise de premier acte de campagne pour les élections européennes ? C'est ainsi qu'est interprété, au sein de la majorité présidentielle comme des oppositions, l'envoi de Gabriel Attal à Matignon par Emmanuel Macron, en remplacement d'Elisabeth Borne, à cinq mois jour pour jour du scrutin. Le ministre de l'Education nationale devient à 34 ans le plus jeune Premier ministre de l'histoire de la Ve République, battant le record de Laurent Fabius. Les réticences des grognards macronistes - François Bayrou, Richard Ferrand, Bruno Le Maire, etc - ont généré un léger flottement, mais aucun rétropédalage.
En nommant ce fidèle de la première heure, député des Hauts-de-Seine bombardé dès 2018 secrétaire d'Etat auprès de Jean-Michel Blanquer, puis porte-parole du gouvernement, puis ministre du Budget avant son retour rue de Grenelle, le président fait un choix politique plutôt commode. Il n'élargit pas au-delà de son camp, mais il coche plusieurs cases. D'abord, après la séquence de la loi sur l'immigration, qui a profondément fracturé son camp, il lui fallait un Premier ministre apte à réconcilier son aile gauche (dont Gabriel Attal est issu, même si ses récentes prises de position l'en ont distancié) et son aile droite. C'est le cas.
« Il n'a aucun ennemi dans la majorité. Il n'y a pas, en tout cas, de possibilité de s'opposer à lui, compte tenu de sa popularité », constate un député ex-Les Républicains passé à Renaissance.
Un ministre populaire
Il fallait à Emmanuel Macron, aussi, un chef de gouvernement capable d'entraîner la majorité pour limiter les dégâts le 9 juin prochain. Dans le dernier sondage Ipsos réalisé pour Le Monde, la liste du camp présidentiel accuse huit points de retard sur celle du Rassemblement national, conduite par le populaire Jordan Bardella et donnée à 28% d'intentions de vote.
« L'idée derrière la nomination d'Attal, c'est de solidifier le socle de Renaissance pour atteindre le même score qu'en 2019 [22,4%, ndlr] et éviter le gros décrochage », interprète un cadre dirigeant du RN.
Selon un parlementaire LR, « c'est un directeur de campagne à Matignon ». Si la technicienne Elisabeth Borne semblait prête à poursuivre sa tâche, son absence de sens politique ou, à tout le moins, de goût pour la joute, lui était régulièrement reproché en Macronie.
Or, non seulement Gabriel Attal a montré son talent en la matière, tantôt au Parlement, tantôt sur les plateaux, mais il a multiplié les initiatives à même de séduire une partie de l'électorat de droite. Interdiction de l'abaya en milieu scolaire, discours sur le « choc des savoirs »... Et l'élu de Vanves d'en tirer une qualité devenue de plus en plus rare au sein de sa famille politique : il est apprécié des Français, il était même jusque-là le ministre le plus populaire du gouvernement. Selon un récent sondage Odoxa-Backbone consulting pour Le Figaro, 36% des Français souhaitaient le voir s'installer à Matignon. Sur le papier, il est le profil idoine pour mettre en œuvre le « réarmement civique » voulu par Emmanuel Macron en cette nouvelle année.
Absence de majorité
La renommée du promu souffre d'une carence : il sera resté trop peu de temps au ministère de l'Education nationale pour se targuer d'un véritable bilan. Son bail n'aura duré que cinq mois et vingt jours. Est-il capable, du reste, de relancer un quinquennat embourbé depuis son démarrage ? Sa mission à Matignon sera plus que périlleuse. En plus de la campagne des européennes, Gabriel Attal devra affronter le chaudron de l'Assemblée nationale, où Elisabeth Borne a été contrainte et forcée de dégainer à vingt-trois reprises l'article 49.3 de la Constitution, en raison de sa majorité relative. Cette configuration impossible, qui oblige à trouver des compromis avec un groupe LR désuni et une poignée d'élus Nupes pas toujours ouverts au dialogue, perdure. Aucun « pacte » ne pointe le bout de son nez, à droite comme à gauche. Ce sera d'autant moins le cas à l'approche du scrutin, où les partis - en particulier LR - joueront leur survie.
Élu député en 2017, le nouveau Premier ministre connaît très bien les rouages de la vie parlementaire. Il aura à défendre plusieurs textes d'ordre sociétal, parmi lesquels un projet de loi sur la fin de vie, promesse d'Emmanuel Macron maintes fois repoussée, mais aussi l'inscription du droit à recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. Elisabeth Borne s'était aussi engagée auprès de la droite sénatoriale, bien qu'à contrecoeur, à réformer l'Aide médicale d'Etat. Gabriel Attal est-il encore comptable des promesses de sa prédécesseure ?