Éric Ciotti s'épanche peu sur ses sentiments. Lorsqu'il évoque, ce jeudi 11 janvier, le départ de Rachida Dati des Républicains (LR) auprès de Roger Karoutchi, il s'en tient à une économie de mots. « Elle est passée de l'autre côté de la ligne... » L'ancienne garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy, nommée ministre de la Culture par Emmanuel Macron, est une amie de vingt ans du député des Alpes-Maritimes. Le même jour, à 18 h 30, il doit prononcer ses vœux à la ville de Nice, qu'il veut arracher au macroniste Christian Estrosi en 2026. En politique, quand on est affaibli, on ne choisit pas ses timings.
Quelques heures avant, Éric Ciotti voit enfler la rumeur sur Rachida Dati. La dernière vedette de LR, partante pour un maroquin et un deal à Paris ? Il peine à y croire, lui qui en a fait son numéro trois au parti. Inquiet, le Sudiste envoie un petit mot sur WhatsApp. Elle le laisse sans réponse : la maire du 7e arrondissement de Paris est en discussion avec Nicolas Sarkozy. L'ex-chef de l'État l'encourage à saisir l'offre de son successeur. Dans la foulée, Rachida Dati rappelle Éric Ciotti et le met devant le fait accompli. Le choc est rude, le patron de LR encaisse. Avant de rejoindre son pupitre face à 1 850 militants, il fait part de la nouvelle à Michèle Tabarot, venue assister à son raout local. La présidente de la commission nationale d'investiture du parti éprouve de la peine pour le Niçois mais conserve son amitié pour Rachida Dati.
« C'est d'autant plus un électrochoc qu'on était sur une bonne séquence », constate l'élue du Cannet, faisant référence à l'adoption par le Parlement d'une loi sur l'immigration conforme aux souhaits de LR. L'euphorie passagère a-t-elle fait oublier à Éric Ciotti les signes avant-coureurs du drame qui le percute de plein fouet ? Depuis 2017, la droite ne vit que de déjà-vu. Avant chaque scrutin, elle est à la merci des coups de boutoir de la Macronie. En amont des régionales de 2021, Christian Jacob a subi la défection de Renaud Muselier, son vieux copain chiraquien passé sous bannière La République en marche (devenu Renaissance) en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Cette semaine, Éric Ciotti a vécu un traumatisme analogue en voyant partir une figure qui, avec lui, a porté l'épopée sarkozienne.
« Ça nous ringardise »
Rachida Dati est, aussi, l'une des personnalités les plus imprévisibles - et les plus craintes - encore sur le marché. « Le lundi, elle vous dit blanc ; le mardi, elle peut vous dire noir », peste une figure de la droite francilienne qui la connaît bien. En 2023, l'ex-candidate à la mairie de Paris a adressé son lot de mises en garde à son chef de parti. Sur France Culture, en pleine bataille des retraites, elle a déclaré que son camp devait voir « avec le président Macron comment on a un accord politique ». Le 14 novembre, juste avant l'examen de la loi immigration, elle s'est fait à peine prier par le plateau de l'émission Quotidien pour affirmer qu'Éric Ciotti manquait de poigne face aux fortes têtes de LR. Le surlendemain, elle l'a invité à déjeuner à sa mairie du 7e arrondissement, pour le rassurer. Dans l'entourage du député des Alpes-Maritimes, on relativise : « En politique, tu es obligé de faire confiance. »
À cinq mois des européennes, cette confiance coûte. Après les 8,48 % de François-Xavier Bellamy en 2019, les 4,78 % de Valérie Pécresse en 2022 et les 62 députés repêchés aux législatives, la droite jouera son maintien en Ligue 2 le 9 juin prochain. En deçà de la barre des 5 %, le parti disparaîtra du Parlement européen. Les sondages indiquent une relative stabilité du socle LR - la liste Bellamy est créditée de 8,5 % des intentions de vote dans notre sondage Elabe -, mais cet électorat est fragile, a fortiori lorsque le parti affiche une telle perte d'attractivité. « Le gouvernement Attal penche à droite, s'inquiète un dirigeant du parti. Certes, Rachida est impliquée dans des affaires judiciaires, mais elle a une certaine modernité. Nous, on va arriver avec Brice Hortefeux et une tête de liste anti-IVG. Ça nous ringardise. Elle est là, la mauvaise nouvelle. »
Une autre est que le candidat virtuel de LR pour la prochaine présidentielle, Laurent Wauquiez, n'émerge pas dans les sondages et fait l'objet de deux enquêtes préliminaires du parquet national financier. Mardi, au conseil stratégique que réunira le parti, cette question ne sera probablement pas abordée - ni celle, décisive, des choix que devra faire LR aux prochaines municipales. Les cas comme celui de Rachida Dati à Paris - des élus de droite s'alliant à la Macronie pour conserver leur mairie - sont amenés à se multiplier. Inutile de trop charger la barque.