Allemagne et France font cause commune face au dumping chinois

Les ministres du Commerce des deux pays ont présenté une position commune pour améliorer les outils de défense commerciale de l’Europe. Leur réforme, bloquée depuis 2014, est devenue urgente face au dumping chinois dans le secteur de l’acier. Un article exclusif de notre partenaire Euractiv.
Dans le viseur, la vente à perte que pratiquent les aciéristes chinois, soutenue par le gouvernement dans un marché global déjà miné par les surcapacités de production.

Après le vote du Parlement européen contre l'octroi du statut d'économie de marché à la Chine, les ministres européens du Commerce se sont penchés sur le délicat dossier de la réforme des instruments de défense commerciale de l'UE lors d'une réunion à Bruxelles le 13 mai.

Le dossier, bloqué au Conseil depuis novembre 2014, est revenu sur la table dans la foulée des déboires de l'industrie sidérurgique européenne. La modernisation des outils de défense commerciale de l'UE a longtemps divisé les États membres, dont les doctrines en matière de protectionnisme sont très diverses.

>>Lire : Le dumping chinois menace la sidérurgie européenne

Dans leur position commune, dont EurActiv a obtenu une copie, Paris et Berlin soutiennent « une modernisation équilibrée de la règle du droit moindre ». Selon ce principe, les droits de douane antidumping sont calculés en fonction du préjudice causé à l'économie. Résultat, les droits appliqués rétablissent tout juste des conditions de concurrence équitables pour les entreprises européennes, mais ne sont pas punitifs.

Dans le texte franco-allemand,  il est proposé que  cette règle du droit moindre soit davantage encadrée en ne s'appliquant « pas aux procédures antidumping et antisubventions dans le cas où cela pourrait entraîner des distorsions structurelles de la concurrence dans le secteur des matières premières, y compris de l'énergie. Par ailleurs, en cas de grandes surcapacités, l'UE doit identifier ces secteurs et mettre en place des mesures adéquates ».

Champs d'application

« Concrètement, la France et l'Allemagne estiment que le champ d'application du droit moindre proposé par la Commission est trop large est qu'il faut pouvoir le lever dans certaines situations », explique une source proche du ministère français.

>>Lire : Le Parlement opposé au statut d'économie de marché pour la Chine

Dans le viseur, la vente à perte que pratiquent les aciéristes chinois, soutenue par le gouvernement dans un marché global déjà miné par les surcapacités de production. La concurrence déloyale qu'entraînent ces exportations à bas coût a déstabilisé un peu plus un secteur de l'acier européen déjà en mauvaise forme.

Côté chinois, on affirme que le problème de surproduction affecte l'ensemble des producteurs d'acier, y compris Pékin. « La critique [de l'UE contre la Chine] est mal placée. Tout le monde a un problème avec la surproduction », a expliqué à EurActiv Allemagne l'ambassadeur chinois Shi Mingde.

Les enjeux du côté chinois sont également de taille en termes d'emploi, puisque le secteur de l'acier emploie « plusieurs millions de personnes », selon l'ambassadeur. « Il s'agit d'un aspect qui n'est pas pris en compte en Europe, pourtant, plus d'un million de personnes [dans ce secteur] vont perdre leurs emplois », explique-t-il.

Désaccord européen

Malgré la proposition du couple franco-allemand, les solutions à apporter sont loin de faire l'unanimité. « Il y a un point de désaccord historique entre les Européens sur cette question du droit moindre », explique une source proche du ministre du Commerce français.

>>Lire : L'UE revoit son plan acier sous la pression chinoise

D'un côté, les pays « libéraux », Royaume-Uni en tête, s'opposent à toute révision du champ d'application du « droit  moindre », estimant que toute mesure de protectionnisme est néfaste à l'économie. A l'inverse, les pays tels que la France, l'Italie et maintenant l'Allemagne, appellent à un renforcement des règles pour assurer la sauvegarde de leurs industries.

L'alliance des deux poids lourds de l'UE pourrait toutefois faire bouger les lignes. « Il y a un vrai changement d'état d'esprit, qui devrait permettre d'avancer sur un sujet qui est bloqué depuis novembre 2014 », affirme la source.

Il y a deux mois, le ministre de l'Économie français, Emmanuel Macron, était venu à Strasbourg pour tenter de mobiliser la Commission et ses homologues européens sur la question. La majorité qualifiée au Conseil des ministres était alors loin d'être acquise, puisqu'il manquait encore une dizaine de votes pour pouvoir adopter les réformes.

« Aujourd'hui, l'équilibre est en train d'évoluer vers une majorité qualifiée », soutient la source au ministère, qui affirme que même l'opposition du Royaume-Uni n'est plus aussi virulente.

Le dernier point d'achoppement entre les Européens demeure donc cette question de la règle du « droit moindre ». Car sur le reste des propositions du couple franco-allemand, comme la mise en place de procédures plus rapides en cas de dumping avéré, la possibilité pour la Commission de s'autosaisir seul sans attendre les industriels, le consensus est acquis.

Économie de marché

Les discussions ministérielles vont se poursuivre, mais la France espère que la réforme des outils de défense commerciale sera adoptée au plus tard sous la présidence slovaque, qui doit prendre les manettes de l'UE en juillet.

Pour autant, la question des pratiques commerciales de la Chine est loin d'être réglée au niveau de l'UE. L'attribution du statut d'économie de marché, que Pékin espère obtenir fin 2016 en accord avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) divise lui aussi les pays européens.

>> Lire : La reconnaissance de la Chine comme économie de marché divise l'UE

De fait, les instruments de défense commerciale et les barrières douanières, même réformées, pourraient se retrouver contestés devant l'OMC par Pékin, craignent certains observateurs, comme la fédération d'industries européennes AEGIS.

« Aucune de ces mesures ne pourra remédier à l'inefficacité des systèmes anti-dumping si l'UE octroie le statut d'économie de marché à la Chine », rappelle le porte-parole d'AEGIS, Milan Nitzschke.

« Il n'y aucune obligation pour les membres de l'OMC d'octroyer le statut d'économie de marché à la Chine dès 2016.  D'autres partenaires commerciaux de taille comme le Canada et les États-Unis adoptent la même approche », a-t-il poursuivi.

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CONTEXTE

Les relations entre l'UE et la Chine ont été établies en 1975 et sont régies par l'accord de commerce et de coopération de 1985 ainsi que par sept autres accords contraignants.

Outre la rencontre annuelle des dirigeants, ces accords s'articulent autour de trois piliers principaux : le dialogue économique et commercial de haut niveau (lancé en 2007), le dialogue stratégique (2010) et le dialogue direct de haut niveau (2012).

La Chine est la troisième plus grande économie au monde, après les États-Unis et l'UE. Ces dix dernières années, les flux commerciaux et financiers croissants entre l'UE et la Chine ont considérablement renforcé leur interdépendance économique. L'UE est le premier partenaire commercial de l'empire du Milieu, qui est à son tour son second partenaire commercial principal.

En 2012, les dirigeants européens et chinois ont accepté d'intensifier les discussions techniques pour « commencer dès que possible » à négocier un accord sur les investissements.

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PROCHAINE ETAPE

Décembre 2016 : L'OMC doit revoir les termes de l'adhésion de la Chine et lui accorder ou non le statut d'économie de marché.

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Cécile Barbière, Euractiv.fr

(Article publié le 19 mai 2016)

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Commentaires 3
à écrit le 23/05/2016 à 12:12
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Pourquoi nos ferrions causse commune avec les allemands dans cette histoire, ce souvenir que les aciéries en France on été vendu a un riche homme d'affaire en Indre avec l'aide des acier KRUM ( allemands ) ... Alors il y a sûrement d'autre combat a ...

à écrit le 20/05/2016 à 19:52
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L'Europe n'est déjà pas capable de se mettre d'accord sur le sujet de l'acier envers la Chine. On ne sait pas parler d'une même voix. C va être rogolo aussi qd on parlera du TAFTA avec les Etats-Unis.

à écrit le 20/05/2016 à 13:59
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Rappelez vous, les grands "spécialistes" il y a quelques années nous disaient que la Chine était un gros marché, résultat ils nous en ont mis plein la gueule avec et sa continue. Moral, quand un "spécialiste" parle, c'est qu'il n'en connaissent pas ...

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