Brexit : « Le Royaume-Uni est un contrepoids au déficit démocratique de l’UE »

Selon l'historien allemand Ronald G. Asch, le fossé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne peut s’expliquer par un complexe de supériorité par rapport au continent, et par le manque d’affinités entre la bureaucratie de Bruxelles et l’esprit démocratique britannique. Une interview réalisée par l'hebdomadaire économique allemand "WirtschaftsWoche", traduite et publiée par notre partenaire Euractiv.
La campagne pour et contre la sortie de l'Europe se déroule aussi sur la Tamise (à Londres, le 15 juin 2016).

Ronald G. Asch enseigne à l'université de Fribourg. Il est chercheur en histoire britannique du 16e et du 17e siècle.

WIRTSCHAFTSWOCHE - Si vous aviez demandé à un Britannique du 17e siècle si oui ou non, il se sentait Européen, qu'aurait-il répondu ?

RONALD G. ASCH - Dans l'Angleterre du 17e siècle, il existait déjà un sentiment de supériorité par rapport au reste du continent. Sir Edward Coke, un avocat très connu, citait le poète romain Virgile lors d'un débat parlementaire dans les années 1620, en affirmant : « Aucun autre État n'est comme celui-ci : nous sommes divisos ab orbe Britannos » - c'est-à-dire, nous sommes complètement isolés du reste du monde.

Par cela, il signifiait que le Royaume-Uni avait son propre système juridique de droit commun et que leurs - supposées - libertés dataient de l'époque prénormande. Ce complexe de supériorité est apparu à la fin du 15e siècle, après la fin de la guerre de Cent Ans, quand le royaume n'était plus présent politiquement sur le continent.

Les militants de la campagne pour le Brexit utilisent abondamment les mots « indépendance » et « liberté ». Leur manifeste s'appuie surtout sur le prétendu manque de démocratie à la Commission européenne.

La longue tradition des libertés civiles anglaises est en quelque sorte un mythe historique, mais il a été raconté si souvent qu'il est devenu réalité. L'Angleterre est le seul pays qui a eu une transition progressive d'une assemblée d'État à un parlement moderne. Dans tous les autres pays européens, il y a eu des interruptions. Bien entendu, le parlement du 18e siècle n'était pas démocratique. Le suffrage a commencé à changer dans les années 1880.

Aujourd'hui, le Parlement européen est composé d'une coalition de grands partis, ce qui permet d'éviter les conflits dans une certaine mesure. La Commission prend de plus en plus les pouvoirs d'un véritable gouvernement. N'ayant pas été élu démocratiquement, l'exécutif ne peut pas être supprimé. Au Conseil européen et au Conseil des ministres, la responsabilité du processus décisionnel est occultée par le caractère collectif du système. Les critiques de l'Angleterre concernant la nature anti-démocratique de l'UE sont, selon moi, largement justifiées.

D'un autre côté, on ne peut pas résoudre les conflits d'intérêts entre les nations par une décision à la majorité, car les petits pays finiraient toujours par tirer la paille la plus courte. Les problèmes ne peuvent donc être résolus que grâce à la négociation et au consensus. La démocratie britannique se fonde essentiellement sur le concept de gouvernement et d'opposition, le dernier pouvant pousser le premier à la démission. Cela ne marche pas au niveau européen.

     >Lire : Les citoyens européens de plus en plus opposés au Brexit

La distance entre les Britanniques et l'UE peut-elle s'expliquer par des événements historiques importants ?

La mémoire de la Seconde Guerre mondiale et la manière dont elle est interprétée sont importantes. Quand la CEE a été créée, c'était en quelque sorte une communauté de perdants. L'Allemagne, bien sûr, était la plus grande perdante et le paria. En France, où le territoire avait été envahi et occupé, la victoire n'en avait que le nom. Et l'Italie avait combattu aux côtés de l'Allemagne. L'histoire anglaise est différente, car ils ont repoussé les forces hitlériennes à eux seuls. Les différences d'interprétation de cette époque traumatisante vécue par l'Europe durant la Première et la Seconde Guerre mondiale sont plus nombreuses au Royaume-Uni que dans d'autres pays.

Tous les pays voient l'UE de manière différente. Nombreux sont les Allemands qui choisiraient l'identité européenne plutôt que l'identité allemande, par exemple.

Ce sentiment est très faible en Angleterre. Les Italiens aussi l'ont eu, avant même la crise de l'euro, car de nombreux citoyens étaient insatisfaits de leur pays. En Allemagne, ce sentiment est partagé. Certains espèrent que l'Europe deviendra une grande Allemagne. Nous faisons partie des rares États membres fédéralisés ayant une Cour constitutionnelle solide et équilibrée, qui pourrait servir de modèle à l'UE. Les Allemands voient l'UE comme une communauté juridique. Pour les Français et les autres, ce n'est pas pareil, comme l'ont montré la crise de l'euro et la négligence du traité de Maastricht.

     >Lire : Le Brexit pénaliserait la Belgique, l'Allemagne et la France

Le vice-chancelier Sigmar Gabriel ainsi que d'autres personnalités dans l'UE ont mis en garde contre un Brexit. Cela aura-t-il un effet sur les citoyens britanniques ?

Si un ministre allemand dit quelque chose, ça peut se retourner contre lui, car il sera accusé de servir ses propres intérêts. J'ai l'impression que l'image de l'Allemagne dans la presse conservatrice pro-Brexit, comme le Daily Telegraph, sort tout droit des années 1915. Pour eux, l'Allemagne sera toujours le barbare qui veut dominer l'Europe. Les commentaires d'Obama sur le Brexit avaient une autre portée, car il ne représentait pas ses propres intérêts, mais on les lui a quand même reprochés.

En quoi le Royaume-Uni est-il particulièrement utile à l'UE ?

Le Royaume-Uni est un contrepoids important au concept que l'Europe veut établir, qui consiste à dire que l'État contrôle l'économie et que le reste est centralisé. Même si la Grande-Bretagne n'a pas fait grand-chose ses 30 dernières années à Bruxelles, elle répète à l'envi que nous devons notre liberté à la démocratie parlementaire qui ne peut pas être remplacée par des mécanismes décisionnels à Bruxelles.

Le Royaume-Uni sert de contrepoids aux appels à une Union toujours plus étroite. Et pour l'Allemagne, la Grande-Bretagne est une alliée potentielle contre les pays d'Europe du Sud et les Français.

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Propos recueillis par Ferdinand Knauß, WirtschaftsWoche (traduit par Marion Candau, Euractiv.fr)

(Article publié le 7 juin 2016 sur Euractiv.fr)

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Commentaires 12
à écrit le 18/06/2016 à 21:40
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Il est claire qu'il y a déficit démocratique Dans l'Union européenne..... si de grands référendum auraient lieu le jours de la fête de la musique par exemple.....l'Union européenne fonctionnaires mieux et plus vite.... des question simple, avec unes...

à écrit le 17/06/2016 à 11:04
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Donc l'Allemagne cherche un contrepoids contre la France ET contre une union toujours plus étroite? Auparavant, c'était exactement la position de la France apres de Gaulle: contrer l'Allemagne et son fédéralisme. Décidement, l'évolution de Merkel ver...

à écrit le 16/06/2016 à 21:58
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Le déficit démocratique vient du fait que c'est encore l'Europe des Nations et que sa construction n'a de ce fait pas encore été terminée. On notera également que seulement une minorité de gens votent aux élections européennes ce qui est contradictoi...

le 18/06/2016 à 21:49
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Enfin pour le grands référendum sur la construction européenne une grande majorité des française se sont déplacés..( plus que pour une présidentielles).. ensuite si cette constitution à été rejetée s'est quelle ete non fonctionnel.... il aurai été so...

le 18/06/2016 à 21:49
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Enfin pour le grands référendum sur la construction européenne une grande majorité des française se sont déplacés..( plus que pour une présidentielles).. ensuite si cette constitution à été rejetée s'est quelle ete non fonctionnel.... il aurai été so...

à écrit le 16/06/2016 à 17:45
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Les Allemands voient l'Europe comme une grande Allemagne (le 4e Reich). Ce n'est pas nouveau. Pour ceux qui l'aurait oublié ou qui ne le saurait, ils nous ont envahi 3 fois en 150 ans, et à chaque fois nous avons perdu beaucoup plus de plumes qu'eux....

le 16/06/2016 à 19:26
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Bof grace aux allemands on a des taux d'emprunts très très bas et on en profite très bien, il ne faut pas tout jeter a la mer quand un pays es capable de se réformer et d’accueillir 1 million d'immigrants ! Ou alors vous avez une revenche personnel a...

le 17/06/2016 à 14:34
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Dites Patrickb, savez vous combien de fois la France a envahi l Allemagne depuis Louis XIV ? Les 3 dernières invasions allemandes ont suivi les déclarations de guerre par la France et non le contraire. Ce sont des faits historiques, même s il...

à écrit le 16/06/2016 à 14:22
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L'Europe a un parlement élu comme en Angleterre, il suffirait de lui donner les pouvoirs ou de créer un parlement confédérale de la zone €uros !

le 16/06/2016 à 16:24
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+1 pour parlement fédéral et un gouvernement démocratique pour la zone Euro, qui pourrait enfin devenir une puissance qui compte dans le monde. Le départ des anglais pourrait être l'occasion d'un sursaut démocratique européen, celui qu'on attend d...

le 17/06/2016 à 14:40
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Tant que les gouvernements nationalistes signent des traités pour ignorer les obligations aussitôt après quand ils n en plus envie et tant qu il n existe aucun moyen de les rapeller à l ordre ou de les sanctionner, l Europe restera un dinosaure san...

le 17/06/2016 à 14:40
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Tant que les gouvernements nationalistes signent des traités pour ignorer les obligations aussitôt après quand ils n en plus envie et tant qu il n existe aucun moyen de les rapeller à l ordre ou de les sanctionner, l Europe restera un dinosaure san...

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