L'Allemagne était un moteur. Elle est devenue un frein. La première économie de la zone euro, et la troisième mondiale, n'en finit plus de ralentir, entraînant à sa suite le reste de l'Europe, France comprise. Après une année 2023 déjà atone, marquée par une chute de la croissance de -0,3 %, soit la pire performance des dix premières économies de la planète, les perspectives pour 2024 s'assombrissent encore.
Le ministre de l'Économie et vice-chancelier, Robert Habeck, n'a pas mâcher ses mots le 14 février : « L'économie allemande va dramatiquement mal. » À tel point que le numéro deux du gouvernement de coalition (sociaux-démocrates, Verts et libéraux), dirigé par Olaf Scholz, a dû réviser à la baisse ses prévisions de l'activité, de 1,3 % à seulement 0,2 % pour l'année en cours. Et à 1 % en 2025, au lieu de 1,5 % initialement annoncé.
Le retournement du champion des exportations ne date pas d'hier. Le PIB allemand n'a augmenté que de 0,7 % depuis 2019, au lieu de 4 % pour l'Union européenne et de 7,5 % aux États-Unis. La panne outre-Rhin se répercute sur l'UE et la zone euro. La Commission européenne vient de rectifier ses estimations de croissance pour 2024, à 0,9 % dans l'UE et à 0,8 % dans la zone euro en 2024, contre 1,3 % et 1,2 %. « Je suis étonné que l'état de l'économie allemande ne soit pas davantage commenté en France, remarque Gilles Moëc, chef économiste du groupe Axa. Car c'est une mauvaise nouvelle. L'Allemagne représente un quart du PIB de la zone euro. Elle est aussi la première destination des exportations françaises, avec 14 % du total. Les effets de diffusion de son ralentissement sont importants. »
« Un modèle obsolète »
Parmi les causes, plusieurs éléments structurels. « Le modèle allemand est obsolète. La dépendance au commerce mondial, avec des exportations à 50 % du PIB - 34 % en France -, souffre de la diminution de la croissance chinoise, premier partenaire de Berlin », note Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management. À lui seul, le secteur automobile d'outre-Rhin tire 40 % de ses revenus de la Chine, devenue un concurrent redoutable. Autre faille, la faiblesse de la demande intérieure : la population, âgée, épargne de plus en plus et dépense de moins en moins.
La hausse des coûts énergétiques causée par la guerre en Ukraine aggrave la situation. Le pari sur le gaz russe, les résultats décevants des investissements dans les renouvelables et la fermeture des dernières centrales nucléaires en 2023 ont fait exploser la facture. Chimie et sidérurgie, deux des principaux piliers, sont très touchées. BASF, l'un des géants nationaux, peine à maintenir son site de Ludwigshafen (200 usines et 39 000 salariés). Ses ventes ont plongé de 21,1 % l'an dernier, d'où un plan de réduction de coûts de 1 milliard d'euros. Et de nouveaux licenciements, après 2 600 emplois supprimés depuis 2022.
De nombreuses entreprises délocalisent, comme Miele, le fabricant d'électroménager emblème de la « qualité allemande », en Pologne. Ou le suisse Meyer Burger, premier producteur européen de panneaux solaires, qui ferme son site de Freiberg pour s'installer... aux États-Unis. Une perte catastrophique pour l'UE, au bénéfice de fabricants chinois mais aux dépens de sa souveraineté face aux enjeux climatiques. « Le risque est réel de voir d'autres groupes partir outre-Atlantique, alerte Gilles Moëc. Une énergie bien meilleur marché et des subventions massives avec le plan anti-inflation sont deux arguments de poids. » « Le plan "Inflation Reduction Act" [loi sur la réduction de l'inflation de 2022] aiguise la concurrence entre une production en Allemagne plus chère et une implantation aux États-Unis favorisée par des aides, renchérit Stéphane Colliac, économiste senior chez BNP Paribas. Si les émissions de CO 2 outre-Rhin diminuent grâce à des délocalisations hors d'Europe, l'Allemagne y perd. »
En outre, le « frein à l'endettement », cette règle budgétaire inscrite dans la Constitution en 2009, qui limite le déficit à 0,35 % du PIB, a été renforcée en novembre par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. « Il empêchera des investissements dans les secteurs d'avenir, y compris ceux indispensables pour la transition climatique », redoute Philippe Waechter. Après une suppression des aides à l'achat de véhicules électriques, Berlin a fait volte-face à Bruxelles sur le vote d'une loi concernant les chaînes d'approvisionnement. Un texte qui responsabilise les grandes entreprises vis-à-vis du travail des enfants ou du travail forcé en dehors de l'UE. Et leur impose une stratégie compatible avec l'accord de Paris sur le climat. « Leurs entreprises vont mal, mais la lutte contre le changement climatique en subit les conséquences », regrette un expert de la Commission européenne.