Eurocorps : en pleine guerre en Ukraine, les soupçons d'espionnage d'un général polonais sèment le doute sur la défense européenne

Est-ce une affaire d'espionnage ou un règlement de comptes politique ? Le renvoi du général polonais Jaroslaw Gromadzinski, commandant de l'Eurocorps, soulève d'inquiétantes questions sur la défense des pays de l'Otan face à la Russie.
Des soldats ukrainiens tirent un obusier Caesar vers des positions russes, près de la ville d'Avdiivka.
Des soldats ukrainiens tirent un obusier Caesar vers des positions russes, près de la ville d'Avdiivka. (Crédits : VIACHESLAV RATYNSKYI)

Au départ, ce n'était qu'une procédure de contrôle menée par le service de contre-espionnage militaire polonais. Un exercice de routine appelé « habilitation de sécurité » auquel les personnels des états majors sont rodés dans les armées nationales européennes. La conclusion livrée le 27 mars par le ministère polonais de la Défense a fait l'effet d'une bombe : « En raison de l'acquisition de nouvelles informations sur l'officier, (...) il a été décidé de démettre le général de corps d'armée Gromadzinski de ses fonctions de commandant de l'Eurocorps et de le renvoyer immédiatement dans son pays ».

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Jaroslaw Gromadzinski, 53 ans, exerçait depuis juillet 2023 le commandement du Corps européen (Eurocorps) à Strasbourg. Symbole depuis sa création en 1992 de l'intégration européenne et de la coopération multinationale, cet état major au service de l'Otan a été déployé à une demi-douzaine de reprises en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Afghanistan ou au Mali. En pleine guerre en Ukraine, son commandant se voit soupçonné d'espionnage. Pour assurer la continuité du commandement de l'Eurocorps, Varsovie a nommé un autre officier au poste occupé par Jaroslaw Gromadzinski, avec effet immédiat.

Mais cette crise de management soulève de sérieuses questions sur la défense européenne. Confié tous les deux ans à l'une de ses nations cadres (France, Allemagne, Belgique, Espagne, Luxembourg, Pologne), le commandement de l'Eurocorps venait d'être attribué pour la première fois à la Pologne.

Formation de l'armée ukrainienne

« L'Eurocorps est la force de réaction rapide de l'Otan. Son commandant est impliqué directement, à haut niveau, dans les décisions d'aide à l'Ukraine et les formations à l'armée ukrainienne, notamment sur les systèmes d'armes Patriot et Caesar », détaille le Français Olivier de Bavinchove, général (2S) ancien commandant de l'Eurocorps entre 2011 et 2013. « Jaroslaw Gromadzinski avait accès à des informations extrêmement confidentielles, couvertes par le secret, sur la situation précise en Ukraine, les besoins militaires et les financements mis à disposition au sein des groupes de travail pilotés à Ramstein par l'Otan », explique-t-il.

Depuis le commencement de l'invasion russe en Ukraine, en février 2022, l'Otan a déployé sur sa base à Ramstein, en Allemagne, ses opérations logistiques et de formation de soldats ukrainiens. L'implication à Ramstein atteste de la montée en puissance de l'Eurocorps au sein de l'Otan.

Au commandement de l'Eurocorps en 2012, Olivier de Bavinchove avait coordonné l'action de la Force internationale d'assistance à la sécurité (Fias) en Afghanistan. Soit 150.000 soldats internationaux, dont 100.000 américains. L'Eurocorps est actuellement en cours de certification interarmées par l'Otan. Cette qualification lui permettra de commander des opérations terre-air-mer.

Les soupçons d'espionnage qui pèsent sur l'ancien commandant polonais de l'Eurocorps pourraient ralentir cette dynamique. « S'agit-il d'un règlement de compte politique interne à la Pologne ? Il était assez engagé politiquement, à titre personnel. Il ne faut pas trop spéculer », tempère Olivier de Bavinchove. La carrière militaire de l'officier polonais a connu une accélération lorsque le parti national conservateur Droit et justice (PiS) a exercé le pouvoir dans son pays, jusqu'à la fin de l'année 2023.

« L'histoire abonde de sujets d'espions et de personnels retournés. C'est arrivé sous Richelieu, sous Mazarin, et il n'y a pas de raison que cela n'arrive pas au vingt-et-unième siècle. Je serais sidéré si on apportait les preuves d'un espionnage, et surpris que les Russes aient réussi à retourner un officier de ce niveau », observe Olivier de Bavinchove.

« Lorsque j'ai occupé des postes d'état-major et de commandement, dans mon pays et à l'étranger, ainsi qu'en travaillant avec les alliés de l'Otan, j'ai toujours représenté l'uniforme du soldat polonais avec dignité », s'est défendu Jaroslaw Gromadzinski dans un message posté sur les réseaux sociaux. « Je tiens à vous assurer que je n'ai rien à me reprocher. Je pense que la procédure engagée se terminera positivement pour moi », a prévenu le général polonais.

Commentaires 2
à écrit le 02/04/2024 à 10:02
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La « défense européenne » est un fantôme. Une défense européenne réelle et efficace nécessite un État européen commun. Mais cet État européen commun n’existera pas. Son échec sera dû à l’égoïsme national, aux rivalités nationales et au manque de conf...

à écrit le 01/04/2024 à 5:58
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Quelle défense européenne ???? Il faudrait avoir des armes pour cela et une véritable armée….

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