Face aux Etats-Unis, le risque de déclassement de l'Europe inquiète les économistes

Le décrochage économique de l'Europe face aux Etats-Unis s'accentue dans les technologies et la recherche et développement, alerte l'OFCE. Face au risque de déclassement, les économistes appellent à un sursaut d'investissements dans l'innovation sur le Vieux continent.
Grégoire Normand
Il faudrait 630 milliards d'investissements supplémentaires en Europe pour rattraper le retard face aux Etats-Unis.
Il faudrait 630 milliards d'investissements supplémentaires en Europe pour rattraper le retard face aux Etats-Unis. (Crédits : Reuters)

Le fossé entre l'Europe et les Etats-Unis ne cesse de se creuser. Au début des années 2000, le PIB par habitant en zone euro était de 33.500 euros contre 43.700 euros aux Etats-Unis. Vingt ans plus tard, le revenu par habitant sur le Vieux continent atteint à peine 39.600 euros contre 54.800 euros de l'autre côté de l'Atlantique. Comment expliquer un tel décrochage ? La plus faible croissance économique en zone euro peut certes expliquer une partie du différentiel avec la première puissance économique mondiale.

Mais cet indicateur ne prend pas en compte les effets dévastateurs à plus long terme des différents chocs des deux dernières décennies sur l'économie. Ce que les économistes appellent « les effets d'hystérèse ». La crise financière de 2008, la crise des dettes souveraines de 2012, la pandémie et le choc énergétique ont laissé de profondes traces sur le tissu productif en zone euro. Aux Etats-Unis, ces différentes crises ont également laissé des stigmates sur l'économie. Mais les politiques budgétaires et monétaires menées outre-Atlantique ont permis aux différents moteurs de l'économie de repartir plus vite.

En Europe, l'inquiétante chute des gains de productivité

Outre ces facteurs, les moindres gains de productivité en zone euro pourraient contribuer amplement à creuser l'écart avec les Etats-Unis, selon une note très détaillée de l'OFCE dévoilée ce 16 mai. De l'autre côté de l'Atlantique, la croissance de la productivité a augmenté de 1,5% par an contre 0,8% seulement en zone euro entre 2000 et 2019.

« Pour combler ce retard, il est nécessaire pour les pays de la zone euro de stimuler leurs gains de productivité horaire en adoptant une politique plus ambitieuse d'innovation, de concurrence, de flexisécurité et de formation professionnelle. Ces politiques sont d'autant plus cruciales qu'elles sont nécessaires pour réussir la transition technologique (automatisation, numérisation, IA) et écologique de nos économies », explique à La Tribune, Sébastien Bock, économiste à l'OFCE.

Lire aussiLa productivité est en chute libre en France, les économistes s'alarment

Europe : un déficit d'investissements criant

En Europe, le décrochage de la productivité peut s'expliquer par un déficit d'investissements criant dans la recherche et développement, les logiciels et les technologies de l'information et de la communication (TIC). Sur les TIC par exemple, l'économie américaine fait deux fois plus d'efforts en pourcentage de la valeur ajoutée que la zone euro dans les équipements informatiques et de communication.

Dans leur note, les économistes ont calculé que la somme investie par emploi dans les TIC était de 500 à 700 euros par an en zone euro contre 2.500 euros aux Etats-Unis. Sur la question des TIC, les économistes sont particulièrement inquiets. « À l'heure où tous les observateurs et experts voient la croissance économique future reposer sur l'utilisation accrue des technologies digitales, notamment par le développement de l'intelligence artificielle et de l'ordinateur quantique, on doit se poser la question de savoir si le retard européen n'atteint pas des niveaux très handicapants pour la croissance future », expliquent les chercheurs.

Concernant la recherche et développement, il faut dire que les mastodontes de la Tech aux Etats-Unis investissent des sommes colossales. En 2022, Alphabet a investi autant (25 milliards de dollars) que l'ensemble des entreprises du privé en France. Sur le Vieux continent, l'absence d'entreprise leader dans le domaine des services numériques limite les investissements en R&D et en équipements numériques, pointent les économistes.

Un déficit de 630 milliards d'euros d'investissements privés en zone euro

Combler le retard avec les Etats-Unis représentent un défi colossal pour les Etats de la zone euro. D'après les calculs des économistes, il faudrait que l'Europe investisse une enveloppe de 630 milliards d'euros (soit 5% du PIB) chaque année dans les TIC, la recherche et développement et les logiciels pour rattraper son retard.

S'agissant de la France, cela signifie que le secteur privé devrait investir 61 milliards d'euros supplémentaires. Quant à l'Allemagne, les entreprises devraient injecter 57 milliards d'euros par an. Face au risque de « déclassement technologique », la zone euro va devoir muscler ses efforts, alertent les économistes.

Dans l'Hexagone, les débats sur l'efficacité des leviers budgétaires censés doper l'innovation ressurgissent régulièrement. « Il est essentiel d'accroître l'efficacité des dépenses en ciblant mieux les dispositifs d'incitation à l'innovation », préconise Sébastien Bock.

« Par exemple, la France a mis en place le crédit d'impôt recherche (CIR), un des dispositifs de soutien à l'innovation les plus généreux de l'OCDE. Cependant, son efficacité est limitée car ses critères d'accès ne tiennent pas compte de la taille des entreprises, favorisant ainsi les grandes entreprises qui auraient investi même sans ce dispositif ».

Reste à savoir si le gouvernement tricolore va oser s'attaquer à ce totem lors des prochains débats budgétaires à l'automne.

En zone euro, une croissance trois fois moins rapide qu'aux US en 2024

Bruxelles table sur une hausse du PIB de 0,8% cette année puis 1,4% l'an prochain dans la zone euro dans ses dernières prévisions dévoilées cette semaine. La Commission attend pour l'ensemble de l'UE une croissance de 1% en 2024 puis 1,6% en 2025, globalement en ligne avec ses anticipations antérieures. Mais l'Allemagne continue de tirer l'Europe vers le bas. Sa croissance serait encore quasi nulle cette année (+0,1%) alors que Bruxelles tablait en février sur 0,3%.

Elle enregistrerait un rebond l'an prochain avec une progression du PIB attendue à 1%, mais là aussi moins que le chiffre de 1,2% prévu jusqu'ici. La France s'en sort mieux mais sa croissance serait également moins forte que prévu à 0,7% en 2024, comme en 2023, au lieu de 0,9% annoncé en février, et 1,3% (chiffre inchangé) en 2025. Aux Etats-Unis, la croissance du PIB devrait accélérer à 2,4%, selon la Commission européenne, soit un rythme trois fois plus rapide qu'en zone euro.

Grégoire Normand
Commentaires 19
à écrit le 19/05/2024 à 14:14
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C'est pas nouveau quand ils inventaient internet on inventait le minitel !

à écrit le 19/05/2024 à 4:50
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Pourquoi publier une telle histoire aujourd'hui ? Les États-Unis ont dépassé le vieux continent à l'aube du XXe siècle. Quelle est la prochaine étape pour LaTribune ? Va-t-on publier une enquête révolutionnaire sur l'issue de la guerre franco-prussie...

à écrit le 18/05/2024 à 22:59
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L'Europe était pourtant censée nous rendre plus forts, on nous l'avait vendue.

à écrit le 18/05/2024 à 13:34
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La crise de 2008, c'est un peu l'histoire des banques européennes qui ont épongés les dettes subprimes américaines (plus de 100 milliards d'amende payés par les banques européennes au profit des USA sachant que les européens n'ont infligé que des ame...

à écrit le 18/05/2024 à 12:32
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et le roi est pauvre, vive le roi, même les gilets bleu blanc rouge sont contents.

à écrit le 18/05/2024 à 9:06
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"...le risque de déclassement de l'Europe inquiète les économistes" Cet état montre que la gouvernance de l'europe dans sa configuration actuelle est un échec. Il ne faut pas jeter l'Europe c'est une belle idée mais il faut repenser sa gouvernance et...

à écrit le 18/05/2024 à 8:46
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En quoi cela inquiterait il les USA, puisque cela est dans les cartons depuis le début de "leur" construction dite européenne ! ;-)

le 18/05/2024 à 13:35
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dans les cartons americain depuis la phrase je suis berlinois tout est mis en place pour neutraliser la construction de l'europe voir la saborde et ce n'est pas les aboyeurs actuel qui sont plus dependant des usa.que jamais. quand ont vois que mem...

à écrit le 18/05/2024 à 7:28
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Soit on leur interdit les paradis fiscaux soit c'est mort ! C'est mord donc. C'était l'UERSS, empire prévu pour durer mille ans. ^^

à écrit le 17/05/2024 à 22:47
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Si les Etats de l'EU faisaient autant tourner la planche à billet et la dette (10% de déficit public aux USA), on aurait aussi une croissance forte. La croissance américaine est même décevante au regard de ces montagnes d'argent public et de dette.

à écrit le 17/05/2024 à 22:37
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Comme le chante M, on a le complexe du corn flakes, .... toujours moins bien que les ricains. Et nos retraités lecteurs du figaro et autres publications grassement subventionnées de traiter les jeunes de feignasses assistées ce qui ne manque pas de ...

à écrit le 17/05/2024 à 21:06
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Avec 54 000 € aux US un niveau de protection sociale et médicale proche de Zéro, un coût des soins exhorbitants, des frais de scolarité qui atteignent des sommets surtout pour les étudiants un coût de l' immobilier bien trop élevé pour des maison...

à écrit le 17/05/2024 à 20:35
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Publication peu crédible basée notamment sur des indicateurs très abstraits / obscurs comme productivité ou PIB. Quelques données concrètes : - L'Europe est mieux placée que USA et Chine dans le Clarivate Top 100 Global Innovators 2024 (avec 5 pays...

le 17/05/2024 à 21:10
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@ Effix - Les chiffres cachent souvent une réalité bien plus triviale que vous décrivez parfaitement. Vivre aux US pour un américain pauvre, moyen n'est pas une sinecure !

le 29/05/2024 à 11:26
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@Effix .Votre publication donne du baume au cœur. Vous devriez être invité sur les plateaux de télé ou tout est négatif. Mais alors pourquoi sommes nous dans un tel "sentiment" de merdier ? Cela est il du à une classe dirigeante, si effectivement nou...

à écrit le 17/05/2024 à 20:27
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on envie toujours le pognon des autres, bcp plus rarement les sacrifices consentis!!!!! l'europe de l'ouest a fait des choix, particulierement marques en france.........le choix de la glandouille, du nivellement par le bas, et la mise dehors avec le ...

à écrit le 17/05/2024 à 18:54
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Comme l'a très bien souligné le secrétaire au Trésor, John Connally, dans les années 70, "le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème". Autant dire qu'au sein d'une Zone Monétaire NON Optimale à l'instar de l'UE, les politiques monétaires ...

à écrit le 17/05/2024 à 18:46
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Ce déclassement est normal, l'Europe a moins de ressources naturelles que les Etats-Unis, il faut l'accepter

à écrit le 17/05/2024 à 18:27
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On peut pas tout avoir. Chez nous on investit dans l assistanat et les retraités ont un niveau de vie superieur aux actifs (50% des depenses sont pompees par les vieux). alors forcement il reste plus grand chose pour investir dans la technologie... e...

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