Italie : le double jeu de Meloni

En tête des sondages pour les européennes, la Première ministre italienne tente de rassurer ses partenaires internationaux sans trahir son électorat d’extrême droite.
Giorgia Meloni à Rome, le 13 mai.
Giorgia Meloni à Rome, le 13 mai. (Crédits : © LTD / Cimaglia/Fotogramma/ROPI/RÉA)

Ces élections européennes, Giorgia Meloni en fait une affaire personnelle. Après un an et demi à diriger le gouvernement italien, elle sera tête de liste en juin. Son but ? « Confirmer le soutien reçu en 2022 », a répété, mardi dernier, celle qui tient à rester une « personne du peuple », demandant aux électeurs d'écrire seulement son prénom sur les bulletins de vote. La Première ministre le sait : sa victoire est assurée. Son parti d'extrême droite, Fratelli d'Italia, reste favori avec 27 % des intentions de vote (comme en 2022). Une première place facilitée par une opposition qui peine à s'imposer (à gauche, le Parti démocrate est deuxième avec 20 %). Et des alliés - Forza Italia, fondé par Silvio Berlusconi, et la Lega de Matteo Salvini - qui ont dégringolé sous la barre des 10 %.

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À l'étranger aussi la popularité de Giorgia Meloni a grimpé. Très vite, la cheffe du parti aux racines postfascistes a fait oublier les craintes suscitées lors de sa victoire. Une fois au pouvoir, la présidente du Conseil des ministres « a choisi d'être acceptée au niveau européen », observe Lorenzo Castellani, professeur d'histoire des institutions politiques à l'université Luiss Guido Carli de Rome. « Malgré son passé eurosceptique, poursuit-il, Giorgia Meloni n'a pas eu de problème avec la Commission européenne. »

Pour gagner en crédibilité, celle qui sait parler aux tripes des Italiens a changé de ton. Fini (ou presque) les discours enflammés contre les « technocrates et banquiers qui se régalent sur le dos des peuples » depuis Bruxelles, fini les critiques contre les sanctions infligées à Poutine et la propagande sur un blocus naval pour empêcher les migrants de traverser la Méditerranée. « En politique étrangère, elle s'est alignée sur les partis les plus modérés, avec un soutien à l'Ukraine ou encore la rupture de l'accord avec la Chine », continue Lorenzo Castellani. Ce protocole signé en 2019 n'était pas du goût de Washington et de Bruxelles.

Elle a appris à jongler avec les amitiés embarrassantes, se présentant « comme une médiatrice » entre Viktor Orban et le reste de l'UE

Sur le plan économique aussi la Première ministre se modère. Elle joue « la bonne élève » et « s'inscrit dans la continuité de [son prédécesseur] Mario Draghi », souligne Giorgia Serughetti, chercheuse en philosophie politique à l'université Milan-Bicocca. Résultat : Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen affichent une bonne entente, multipliant les rencontres et les voyages communs. Si bien que, le 29 avril, la présidente de la Commission européenne n'a pas exclu une alliance entre le Parti populaire européen (PPE, droite) et le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE, droite et extrême droite), rassemblant le PiS polonais, les Espagnols de Vox et Reconquête.

En France, les relations se sont adoucies, après un départ tendu autour de la question migratoire. En juin 2023, Emmanuel Macron a accueilli Giorgia Meloni à l'Élysée, où ils ont discuté du traité franco-italien du Quirinal, signé deux ans plus tôt. Même outre-Atlantique, le président démocrate américain Joe Biden la qualifie de « bonne amie ». Et peu importe si, encore en 2020, elle érigeait Donald Trump en modèle. D'ailleurs, à l'approche des élections américaines, elle ne dit pas un mot sur le candidat républicain.

Manifestation étudiante contre les violences policières et la réforme de l’éducation, à Turin le 22 mars.

Manifestation étudiante contre les violences policières et la réforme de l'éducation, à Turin le 22 mars. (Crédits : © LTD / MARCO BERTORELLO/AFP)

Depuis que Giorgia Meloni est au pouvoir, elle apprend à jongler avec ses amitiés embarrassantes. C'est ainsi qu'elle tourne ses relations avec le Hongrois Viktor Orbán à son avantage, se présentant « comme une sorte de médiatrice » entre le Premier ministre ultraconservateur et le reste de l'Union européenne, explique Lorenzo Castellani. Comme lors des négociations sur l'aide à l'Ukraine, en février dernier.

En adoptant une approche plus consensuelle à l'étranger, Giorgia Meloni rassure ses partenaires internationaux mais aussi « la bourgeoise modérée et l'élite économique du pays », précise Giorgia Serughetti. Sans pour autant trahir les ambitions d'un changement culturel et le virage à droite promis à son électorat.

La question migratoire

Si aujourd'hui l'Italie n'a pas subi de radicalisation, les mesures répressives à l'égard de certaines populations se multiplient. Le 31 octobre 2022, le gouvernement, tout juste formé, donne le ton avec un premier décret-loi sanctionnant les organisateurs de rave party d'amendes et de peines de prison. Quelques mois plus tard, les militants écologistes sont en ligne de mire. Les sanctions s'alourdissent pour ceux qui aspergent de peinture (lavable) les monuments et les œuvres d'art : jusqu'à 60 000 euros d'amende, en plus des cinq ans de prison déjà prévus, Et jusqu'à 1 000 euros d'amende s'ils s'en prennent aux vitrines. « Nous faisons un acte symbolique, nous n'endommageons pas l'œuvre, déplore Giacomo Baggio, 33 ans, membre du collectif Ultima Generazione. En mettant la vitrine sur le même plan que les œuvres d'art, ça montre bien que c'est notre mouvement qui est directement visé, et que la protection des œuvres d'art n'est pas le problème. »

Mais c'est sur la question migratoire - cheval de bataille de l'extrême droite - que Giorgia Meloni a été le plus active. « Elle a arrêté la propagande et appliqué une politique très dure », constate Giorgia Serughetti. L'action en mer des ONG, accusées par le gouvernement de créer un « appel d'air », est entravée depuis janvier 2023. Et depuis quinze jours, les humanitaires ne peuvent même plus survoler les eaux italiennes pour repérer les bateaux en détresse. Giorgia Meloni mise aussi sur des accords internationaux controversés. Tunis augmente ainsi les interceptions de ceux qui tentent la traversée. Et l'Albanie a accepté d'accueillir sur son territoire deux centres pour migrants sauvés en mer par les autorités italiennes. « Même si ça ne résoudra pas le problème, car on parle de quelques milliers de personnes, ça véhicule au sein de son électorat l'idée qu'elle a réussi à faire quelque chose », analyse Lorenzo Castellani.

L'exécutif « persécute ceux qui sont différents, que ce soit le migrant ou l'homosexuel », déplore Anna Girelli, une pharmacienne de 38 ans. Il y a un an, le parquet de Padoue a voulu retirer le statut de mère à sa compagne - ainsi qu'aux mères lesbiennes d'une trentaine d'enfants nés depuis 2017 -, estimant qu'elle devait passer par l'adoption. La loi ne dit rien sur ce sujet. Après un verdict en faveur des deux femmes, le ministère de l'Intérieur a fait appel. L'audience est prévue en juin. Pour Anna Girelli, le gouvernement veut « punir les lesbiennes qui ont voulu un enfant », en s'attaquant « aux familles déjà intégrées ». L'affaire peut paraître anecdotique, mais elle n'est pas « à prendre à la légère », affirme Giorgia Serughetti, pour qui « l'idée est [de conquérir] l'hégémonie culturelle en remettant au goût du jour l'idée de patrie, en exaltant la famille traditionnelle, les racines chrétiennes de l'Europe contre les étrangers : c'est un agenda ».

La Première ministre place ses hommes à la tête de l'audiovisuel public, la Rai. Le contrôle devient « asphyxiant »

Pour y parvenir, la Première ministre place ses hommes à la tête de l'audiovisuel public, la Rai. Si l'influence des partis politiques sur cette entreprise est une vieille pratique, aujourd'hui le contrôle devient « asphyxiant », dénonce Daniele Macheda, secrétaire d'Usigrai, un syndicat de journalistes interne. Il évoque des tentatives de bloquer la diffusion de certaines informations aux JT, ou encore l'attaque de Giorgia Meloni contre une émission d'enquête de la Rai lors d'un meeting fin avril. Le cas le plus emblématique est l'annulation par la direction d'un monologue antifasciste d'Antonio Scurati. L'auteur de la trilogie M, sur Benito Mussolini, devait participer à une émission le 25 avril, jour de la fête de la libération du pays de l'occupation nazie et de la fin du régime fasciste.

Toutefois, le professeur d'histoire des institutions politiques Lorenzo Castellani tempère : la liberté de la presse n'est pas en danger. Et les médias d'opposition peuvent encore s'exprimer. Certes, l'Italie n'est pas la Hongrie de Viktor Orbán, « le seul prédateur de la liberté de la presse dans l'Union européenne » dans la liste de Reporters sans frontières, rappelle Pavol Szalai, responsable du bureau UE-Balkans. Mais des signaux inquiètent, juge-t-il après que le pays a perdu cinq places dans le classement de l'ONG. « L'une des caractéristiques de cet exécutif est sa difficulté à gérer l'opposition », constate Giorgia Serughetti. En témoignent les rares conférences de presse de Giorgia Meloni ; les attaques judiciaires contre des intellectuels, comme l'historien communiste Luciano Canfora ; le recours fréquent aux décrets-lois affaiblissant le débat parlementaire ; ou encore l'absence de dialogue avec les syndicats. En 2023, l'Italie a supprimé le revenu de citoyenneté (l'équivalent du RSA) sans « aucune confrontation », déplore la secrétaire du syndicat CGIL, Daniela Barbaresi.

Aujourd'hui, s'il n'y a pas eu d'« orbanisation » de l'Italie, c'est grâce aux pouvoirs encore bien divisés, observe Giorgia Serughetti. Mais la réforme constitutionnelle voulue par Giorgia Meloni pourrait rebattre les cartes en renforçant le rôle du Premier ministre. « Je pense que le plus dur arrive », conclut la chercheuse.

Commentaires 7
à écrit le 21/05/2024 à 7:36
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Asselineau l'a assez répété : dans son programme, meloni jurait allégeance à l'UE, l'€ et l'OTAN, donc il ne se passerait rien côté immigration. Non seulement il avait raison, parce que c'est l'UE qui "dikte" sa politique migratoire à la France, mais...

à écrit le 20/05/2024 à 9:48
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La sphère médiatique annonçait un effondrement économique de l'Italie en cas d'élection de Meloni. Les journalistes du système annonçaient la même chose pour Trump. Leur crédibilité en prend un coup et ouvre la voie à une normalisation du RN.

à écrit le 20/05/2024 à 8:04
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Bravo aux italiens peut-être ont ils trouvé l'équilibre impossible au sein d'un néolibéralisme dégénéré et ses larbins demeurés et une profonde volonté des mégas riches européens d'imposer les néo-fascistes. Une Mélonie pour notre pays je veux bien, ...

à écrit le 19/05/2024 à 16:15
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Chère Caroline si vous êtes pas bien en Italie vous avez le droit de partir je pense que personne vous retiendra... Insulter alors qu’on est pas du pays il faut être journaliste pour oser Si vous voulez des sujets à traiter en France j ’ai une list...

le 19/05/2024 à 20:17
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Corsica, On pourrait vous répondre que si vous n'aimez pas les articles, ne les lisez pas. Et contentez-vous du "tu l'aimes ou tu la quittes". Vous êtes de ces gens qui ne devraient lire d'autre journaux que ceux qui partagent vos opinions. Carol...

le 20/05/2024 à 8:56
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"si vous (n')êtes pas bien en Italie" ça vous en donne la sensation ? L'analyse vous déplait ? Est-ce du 'wokisme' comme quoi seul un(e) italien(ne) peut analyser ce qui se passe dans son pays [comme les 'woke' pensent que seul un grec est habilité à...

le 20/05/2024 à 9:12
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@ Photo 73: je me suis fait censurer deux commentaires (certainement trois donc maintenant les hypocrites...) qui disait du bien de façon mesurée de Mélonie. Je conseille fortement le silence à l'hypocrisie. Pensez aux GES tous, merci.

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