La condamnation d’un courtier décrédibilise un peu plus le marché du carbone

Le fondateur du principal broker de CO2 polonais, qui apparaît dans les Panama Leaks, est sous les verrous en France pour une fraude à la TVA que la Pologne conteste. La Commission ne se sent pas concernée par ce nouveau problème de crédibilité pour le marché du carbone.
L'hebdomadaire togolais Actu Express a souligné le 6 avril dernier que l'État reprochait à l'homme d'affaires Jaroslaw Klapucki, condamné à 7 ans de prison en France, des faux et usages de faux

Gros consommateur de charbon, la Pologne continue de poser problème à la politique climatique de l'UE. Le pays bataille notamment pour obtenir des compensations financières importantes en l'échange d'un objectif ambitieux de réduction d'émission de CO2 pour 2030. Et tente en parallèle d'éviter que le marché du carbone ne devienne trop contraignant, en sabotant sa réforme. Mais ce n'est pas tout.

La justice française vient d'estimer que le broker polonais Consus avait joué un rôle important dans l'affaire de fraude à la TVA sur le marché du CO2, qui avait subtilisé 1,6 milliard d'euros des caisses de l'État français, et entre 10 et 20 milliards d'euros en Europe, entre 2008 et 2010. Un épisode qui a fortement décrédibilisé le marché du carbone.

« La fraude n'aurait pas été possible sans la complicité d'un broker » a assuré le 7 juillet le juge Peimane Ghaleh-Marzban, qui a condamné le dirigeant de Consus, Jaroslaw Klapucki, à 7 ans de prison, pour complicité de fraude à la TVA et blanchiment. « Le tribunal constate la caractérisation de la bande organisée, qui se manifeste par la particulière sophistication des montages, le caractère international des outils et des flux bancaires ainsi que l'organisation structurée entre les intervenants », précise le jugement.

Blanc comme neige

Le dirigeant polonais, emprisonné en France pour l'instant même s'il devrait sortir rapidement puisque son avocat a fait appel de la condamnation, a aussi écopé d'une amende d'1 million d'euros, d'une interdiction de gestion de 5 ans, et doit rembourser avec les autres membres de ce que le tribunal appelle une bande organisée, en tant que dommages et intérêt, 283 millions d'euros.

Lire : Deux Français et un Polonais suspects de fraude sur le CO2 encourent de lourdes peines

Malgré cette condamnation, la société Consus Joint Stock Company, une nouvelle structure qui a aussi eu une amende de 3,75 millions lors de ce jugement, continue d'intervenir sur le marché du carbone notamment en Pologne. Où la fraude n'est théoriquement plus possible : le pays a modifié le régime de TVA sur le CO2, comme la plupart des grands pays, mais la fraude reste possible par endroits.

Étrangement, du point de vue de la Pologne, Consus n'a rien fait d'illégal. « Consus S.A. a eu deux contrôles fiscaux en Pologne, en relation avec les opérations en France, sans qu'aucun problème ne soit soulevé », assure la société Consus. De fait, le service du contrôle fiscal de Bydgoszcz, s'est penché en 2012 sur les comptes de Consus SA, la société polonaise, et comme l'atteste un document du fisc daté de mai 2016, n'a rien trouvé à redire ni sur le paiement de l'impôt sur le revenu, ni sur la gestion de la TVA entre août 2008 et juin 2009. C'est exactement la période sur laquelle la société a joué les intermédiaires pour un trio, Samy Souied, Arnaud Mimran et Marco Mouly qui aurait organisé la fraude selon la justice. Le premier a été assassiné, le deuxième est sous les verrous, et le troisième est en cavale.

Redressement fiscal de 1,22 milliard d'euros

Pour la défense de Consus, « le jugement part d'une conviction, qui est celui de la bande organisée. C'est un raisonnement à rebours : il analyse puis attribue des rôles à chacun, et il lui faut trois personnes, donc mon client est condamné », reproche le pénaliste Jean-Marc Fedida à la 32e chambre du tribunal de grande instance.

Mais l'administration française semble univoque sur le sujet. La condamnation au pénal vient s'ajouter à un redressement fiscal titanesque et sans précédent pour une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou EURL. Le fisc a adressé en 2012 à la société Consus France un redressement de 800 millions d'euros concernant les droits de TVA éludés, soit pas moins de la moitié du total de la fraude. Et y a ajouté 400 millions d'euros de pénalités, pour un total de 1.228.026.380 euros, soit 1,22 milliard.

« Le fisc reproche à Consus de ne pas avoir rencontré ses clients, et au pénal on lui reproche justement d'avoir été trop proche de ses clients ! », s'insurge Thierry Pons, avocat de Consus sur son contentieux fiscal, en rappelant que l'administration n'a pas identifié la fraude malgré de nombreux indices, dont les demandes de remboursements de TVA, et qu'un broker n'était pas mieux placé pour la repérer. En tant que spécialiste de la TVA, il s'interroge sur le développement des procédures à l'encontre des sociétés travaillant avec des fraudeurs carrouselistes, qui suppose que toutes les entreprises portent le risque de fraude à la TVA de leurs fournisseurs. « Cela crée une insécurité juridique, qui risque d'inciter les entreprises à ne pas travailler avec des petites structures », prévient-il.

Lire : Escroquerie à la taxe carbone, récit d'une faillite européenne

Contactée par EurActiv, la société polonaise Consus réfute en bloc tout acte délictuel. À l'ambassade de Pologne, on souligne un « accident de parcours » ne concernant sans doute qu'une personne, tout en évoquant un problème dans la procédure juridique française. «La société Consus Joint Stock Company n'a pas été convoquée au procès, ce qui pose problème », assure l'ambassade, où l'on insiste sur l'importance de distinguer le dirigeant de Consus France, sous les verrous, de la société polonaise.

Consus, des coques de noix togolaises aux Panama Leaks

Jaroslaw Klapucki, fondateur de la société, semble pourtant toujours l'animateur principal, comme en témoignent ses activités en Afrique. Sa société dont il détient 50 % de la maison mère installée à Chypre, et sa myriade de filiales sont plutôt prospères, y compris dans le secteur des implants dentaires. Car Consus n'est plus seulement broker de CO2. La société importe aussi des tankers entiers de biomasse, dont des coques de noix de palmier, en Afrique, qu'elle revend en Pologne aux centrales thermiques à charbon. Leur bilan carbone en est ainsi allégé. Mais les conditions dans lesquelles les opérations sont menées laissent des interrogations aux journalistes togolais.

L'hebdomadaire togolais Actu Express a souligné le 6 avril dernier que l'État reprochait à l'homme d'affaires des faux et usages de faux. Il s'agissait de minorer la taille des cargaisons de biomasse chargées pour payer moins de taxes notamment portuaires. Les journalistes reprochaient aussi au même Jaroslaw Klapucki de s'être fait passer pour le consul de Pologne.

Au Sénégal, la société Consus a établi un partenariat avec le club de foot de Iyane Thiam, signé en mars dernier par Jaroslaw Klapucki. Les photos les représentant au Sénégal avec les sportifs ont depuis été retirées, seul le lien demeurant sur le site internet du club.

La Commission européenne reste de marbre

Enfin la société Consus Offshore Ltd détient aussi des comptes au Panama chez le désormais célèbre cabinet d'avocats Mossack Fonseca, comme l'a démontré l'affaire des Panama Leaks.

La condamnation du premier broker polonais sur le marché du CO2 laisse de marbre la Commission européenne, qui rappelle que la gestion de la TVA dépend des Etats membres, tout comme l'agrément donnée aux acteurs de marché. L'exécutif européen n'a pas souhaité répondre à la question de savoir si la Pologne respectait les règles du jeu dans ce dossier.

L'analyse différente de la France et de la Pologne sur le sujet crée un soupçon de plus sur le marché européen du carbone toujours mal en point, à moins de 5 euros la tonne. Avec le départ du Royaume-Uni et la démission du rapporteur britannique travaillant sur la réforme du marché, le projet de refonte est encore dans les limbes, et il est question de nommer un rapporteur polonais.

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CONTEXTE

La fraude à la TVA sur le marché du carbone a délesté les Etats européens de quelques 10 à 20 milliards d'euros entre 2008 et 2010. En France, une cinquantaine de personnes sont poursuivies dans une quinzaines de dossiers. Beaucoup d'entre elles sont réfugiées en Israel.

Le dossier dans lequel Consus vient d'être condamnée est un des plus importants jamais jugés en Europe, puisque au total 283 millions d'euros ont été éludés par quelques personnes.

Le jugement précise que : les sociétés ELLEASE, ECOFREE, FIRSTRADE ENERGY, CETOSE, SEPI et EXPRESSION ont acheté Hors Taxes 117 793 500 tonnes de CO2 à des fournisseurs inscrits sur des registres étrangers, transactions n'ayant fait l'objet d'aucune imputation sur leur déclaration CA3, quand celle-ci était par ailleurs déposée. Elles ont ensuite revendu 117 467 900 quotas par l'intermédiaire de CONSUS, VOLTALIA et ORBEO pour un montant TTC total de 1 730 021 068,43 euros.

Elles sont donc défaillantes à la TVA pour un montant total estimé à 283 515 158 euros.

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Par Aline Robert d'Euractiv.fr

(Article publié le 18 juillet 2016)

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Commentaires 3
à écrit le 19/07/2016 à 8:55
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les fonctionnaires ayant pensé le credit carbone ont-ils été virés? pourquoi ce courtier a t'il eu un agrément? alors qu'il est manifestement sous capitalisé (par rapport à la cdc en F) pourquoi les credits carbone étaient -il soumis à la tva? ...

le 25/07/2016 à 10:29
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Arrêtez les obsessions votre commentaire est tellement subjectif qu'il n'a aucun intérêt on devine de suite pour qui vous roulez.

à écrit le 18/07/2016 à 17:27
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Merci pour cet article. Le néolibéralisme montre que nous sommes ouvertement au sein d'une économie de margoulins, sous les acclamations des politiciens et des médias, il est donc logique que l'on préfère ce genre de système permettant les intermédia...

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