La crise politique en Irlande du Nord, un défi de plus pour Theresa May

L'Irlande du Nord n'a plus de gouvernement. Les nouvelles élections et la construction du futur gouvernement seront rendues plus complexes par la question du Brexit contre lequel la province a majoritairement voté le 23 juin.
L'irlande du Nord a nouveau divisée.

Après dix ans de cohabitation plus ou moins heureuse entre Nationalistes et Unionistes, l'Irlande du Nord est sur le point de rentrer dans une nouvelle crise politique qui pourrait, encore un peu davantage compliquer les négociations internes au Brexit. Lundi 9 janvier au soir, le vice-premier ministre de la province, Martin McGuinness, membre du principal parti nationaliste, le Sinn Féin, a en effet annoncé sa démission. Une décision qui ouvre la voie à de nouvelles élections.

Un statut institutionnel particulier

Selon les Accords du vendredi Saint de 1998, l'Irlande du Nord dispose en effet de règles particulières de dévolution des pouvoirs. L'exécutif de la province est en effet partagé nécessairement entre les deux principaux partis de l'Assemblée législative, le parlement régional. Ceci oblige de fait les représentants des deux principales communautés de la région à gouverner ensemble. Depuis dix ans, le Sinn Féin gouverne ainsi avec le principal parti unioniste le DUP. Les deux partis étaient pourtant les pires ennemis durant les « troubles », la guerre civile qui, en Ulster, a fait près de 4.000 morts, puisque chacun représentait l'aile la plus radicale de son camp.

Ces institutions ont donc prouvé une certaine résistance et efficacité. Mais elles sont extrêmement fragiles et reposent sur la bonne volonté des deux partis. Car, selon les statuts de l'Irlande du Nord, le vice-premier ministre et le premier ministre ont rang égal. Si un des deux démissionnent et que le parti du démissionnaire ne nomme pas un remplaçant, l'assemblée législative doit être dissoute. C'est ce scénario qui semble se dessiner, le Sinn Féin ayant annoncé qu'il se retirait du gouvernement et que Martin McGuinness ne sera pas remplacé.

Les raisons de la rupture

Que s'est-il passé ? Paradoxalement, ce n'est ni le processus de paix, ni le Brexit - l'autre sujet chaud du moment dans une région qui a largement rejeté la sortie de l'UE - qui a provoqué cette crise politique, mais un dispositif de subvention au chauffage au bois ! En novembre 2012, l'actuelle première ministre DUP de l'Irlande du Nord, Arlene Foster était ministre des Entreprises, du Commerce et de l'Investissement de la région. Elle a alors créé un dispositif destiné à favoriser l'abandon par les entreprises et les agriculteurs des énergies fossiles appelé « cash for ash » (des cendres contre du numéraire). Les utilisateurs de moyens de chauffage « verts » touchent de généreuses aides budgétaires : pour chaque livre dépensée, ils gagnent 1,60 livre de subventions.

Le dispositif est devenu très coûteux pour le budget régional, pas moins de 500 millions de livres pour un budget total de 9 milliards de livres. L'affaire n'a pas manqué de finir par faire scandale. On soupçonne Arlene Foster d'avoir servi des intérêts privés ou électoraux avec de l'argent public. L'opposition est montée au créneau et a déposé une motion de censure en décembre. La motion a obtenu une majorité des votants (39 voix contre 36), mais n'a pas été adoptée car elle doit obtenir une majorité dans chaque communauté, ce qui n'était pas le cas. Le Sinn Féin s'est néanmoins retrouvé sous la pression de l'opposition et a proposé qu'Arlene Foster démissionne « temporairement », le temps qu'une commission d'enquête parlementaire se penche sur le dispositif incriminé. Devant le refus d'Arlene Foster et du DUP, le Sinn Féin a fini par quitter la coalition pour ne pas être accusé de protéger la première ministre.

Le Brexit, nouvelle pomme de discorde

Et maintenant ? Le secrétaire britannique à l'Irlande du Nord n'aura sans doute pas d'autres choix que de dissoudre l'assemblée législative et de convoquer de nouvelles élections dans les 40 jours. Leurs résultats seront décisifs. La question principale sera de savoir si le Brexit a changé la donne en Irlande du Nord. Le 23 juin dernier, un mois après les dernières élections régionales, l'Irlande du Nord a voté à 55,8 % pour le maintien dans l'UE, alors que 51,8 % du Royaume-Uni décidait de voter pour le Brexit. Politiquement, seul le DUP avait appelé à voter pour le Brexit. Depuis cette date, la question du Brexit agite l'Irlande du Nord. En cas de sortie du Royaume-Uni du marché unique, la libre-circulation avec la République d'Irlande pourrait être remise en cause. Comment en effet maintenir les frontières ouvertes avec l'Irlande et fermer les frontières avec le reste du marché unique dont l'Irlande fait partie ? Ce casse-tête a conduit le Sinn Féin à réclamer un référendum sur la réunification de l'île qui a reçu un certain soutien au sud de la frontière. D'autres réfléchissent à un statut intermédiaire, mais si la frontière avec l'Irlande n'est pas réinstaurée, il faudra établir une frontière avec la Grande-Bretagne, ce que les Unionistes ne voudront pas.

Quelles campagnes pour les nouvelles élections ?

Dans la campagne, cette question du Brexit viendra s'ajouter à la division communautaire habituelle et au scandale lié au dispositif « cash for ash ». Le Sinn Féin tentera de défendre son idée d'Irlande unifiée pour répondre au Brexit, tandis que le DUP soutiendra le Brexit et la position (encore floue, mais qui devrait se préciser) du gouvernement de Londres. Le DUP sera-t-il sanctionné pour son soutien au Brexit ? Rien n'est moins sûr. En mai dernier, il avait obtenu 29% des voix alors que le Brexit a obtenu 44,2% des voix : signe que des électeurs de l'autre parti unioniste, proche des Conservateurs britanniques, l'UUP (13% des voix en mai 2016), ont aussi voté pour le Brexit ainsi sans doute que des abstentionnistes. Du reste, il sera très difficile à l'UUP de faire campagne contre le Brexit. Il est plus vraisemblable qu'il défendra aussi une position proche de celle de Londres. En fait, c'est la partie la plus modérée de la population « protestante », qui a voté contre le Brexit. Mais cette partie de l'électorat est peu susceptible de faire changer les lignes en votant pour le Sinn Féin et sa position de réunification de l'île qui reste très minoritaire dans la population.

Une province sans gouvernement ?

Construire un gouvernement sera donc complexe après le scrutin, d'autant que les règles institutionnelles obligent à une cohabitation dont plus personne ne veut. Le Sinn Féin a prévenu qu'il « n'y aura pas de retour au statu quo ante » et semble lassé de la collaboration avec le DUP. Ce dernier, dans la foulée du Brexit, tend à nouveau à se recentrer sur son électorat traditionnel protestant et pro-britannique. Le vote du 23 juin conduit immanquablement à la réouverture de la question communautaire puisque le Sinn Féin voit dans le Brexit un risque de coupure avec les frères du sud et le DUP y voit une façon de se rapprocher de la Grande-Bretagne.

S'il n'y a pas de gouvernement possible, Londres devra gérer en direct la province avec un risque de tensions. D'autant que, dans ce cas, le statut à venir de l'Irlande du Nord dans le Brexit risque d'être imposé depuis la capitale britannique, ce qui ne manquera pas de déclencher un mécontentement certain dans la communauté nationaliste irlandaise. La question nord-irlandaise qui se rouvre sur un détail pourrait bien devenir une aiguille de plus dans le pied de Theresa May.

Commentaires 9
à écrit le 11/01/2017 à 9:37
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Pas de gouvernement ? La place est libre c'est donc le moment pour le peuple irlandais de récupérer le pouvoir.

le 11/01/2017 à 13:13
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Pas de gouvernement provincial, certes, mais le gouvernement anglais est toujours en place et à ma connaissance il n'a pas prévu de s'auto-dissoudre prochainement !

à écrit le 11/01/2017 à 1:11
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C'est un des aspects du Brexit le plus ennuyeux pour l'Angleterre de mon point de vue, bien plus que les quelques milliards de livre à économiser qui ont motivé une partie de l'électorat anglais à voter pour quitter l'union, et plus également que l'i...

le 11/01/2017 à 7:44
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L'idée selon laquelle le brexit peut faire économiser quo que ce soit est déjà loufoque : il n'y a quen cas de hard brexit que le Royaume-Uni ne versera plus de contribution au budget de l'UE (la Norvège et la Suisse qui accèdent au marché européen v...

à écrit le 10/01/2017 à 23:41
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une occasion pareille ne se reverra pas avant des siècles ! il faut crever la bête angloise tant qu'elle est à terre ! tally ho , Montjoie et d'estoc !

le 11/01/2017 à 7:46
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la bête angloise s'est malheureusement crevée toute seule.

à écrit le 10/01/2017 à 22:26
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Il n'y a que des coups à prendre dans la gestion du brexit : il ne sera jamais assez complet et assez rapide pour les pro-brexit et totalement insensé et désastreux pour les anti. Tout le monde se réconciliera pour tirer à vue sur le gouvernement May...

à écrit le 10/01/2017 à 22:03
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Avec le Brexit, les anglais ont ouvert la boite de Pandore ! Les écossais, les irlandais... la moitié du Royaume-Uni envisage de quitter l'autr moitié

à écrit le 10/01/2017 à 18:46
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Si MaGuinness is no longer good for me, je prendrais une Caffrey's ou une Harp bien fraîche :-)

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