Pourquoi l'Irlande du Nord rejette le Brexit

Avec Londres, c'est la région où le vote contre le Brexit sera le plus élevé. Le fruit d'une situation locale fragile où l'on redoute que la sortie de l'UE n'embrase à nouveau la situation.
Belfast est encore divisée par des murs. L'Irlande du Nord devrait rejeter le Brexit.

En dehors du Grand Londres, la région du Royaume-Uni qui devrait le plus voter ce jeudi 23 juin en faveur du maintien dans l'Union européenne sera l'Irlande du Nord. Selon les dernières estimations régionales des instituts de sondages, le vote « Remain » devrait être compris entre 60 % et 62 % en Ulster. Un attachement à l'Union européenne qui peut peser si le résultat est serré, comme c'est possible. Les électeurs nord-irlandais n'étaient cependant en mai 2015 lors des élections générales que 1,2 million, soit 2,6 % du total.

Les Unionistes divisés

Pourquoi un tel attachement ? Sur le plan politique, l'Irlande du Nord dispose de son propre système. Les partis « britanniques » n'ont pas d'attaches réelles dans la région où la division politique fondamentale est structurée autour de l'opposition entre Unionistes et Républicains. Sur la question du Brexit, le seul grand parti à défendre le Brexit est le DUP, Democratic Unionist Party (DUP), le principal parti unioniste qui a recueilli 25,7 % des voix de la région en mai 2015 et occupe avec sa dirigeante Arlene Foster le poste de premier ministre d'Irlande du Nord. Le DUP, fondé en 1971 par le révérend Ian Paisley, est à l'origine un parti protestant extrémiste. Il a beaucoup évolué, notamment en acceptant de gouverner la région avec le premier parti républicain, le Sinn Féin, à partir de 2006 et en s'ouvrant à certains catholiques. Mais c'est un parti fondamentalement nationaliste britannique, proche du UKIP (même si ce dernier est présent dans la province et a obtenu 2,6 % des voix en 2015) et qui rejette ainsi l'UE. Ce n'est pas le cas de son rival unioniste, l'UUP (Unionist Ulster Party), plus proche des Conservateurs qui, après un débat interne, a soutenu le vote « Remain » sur une ligne proche de celle de David Cameron. En 2015, l'UUP a obtenu 16 % des voix.

Soutien à l'UE côté catholique

Du côté républicain, le soutien au Remain est complet. Le principal parti de ce camp, le Sinn Féin, parti de gauche radicale nationaliste, s'est beaucoup engagé dans le vote en faveur de l'UE. Sa position peut surprendre, car, en Irlande, le Sinn Féin a beaucoup critiqué la politique européenne d'austérité. Mais, au sud comme au nord de la frontière, le parti n'a jamais remis en cause l'intégration européenne. Surtout, il voit dans le Brexit un risque de rematérialisation de la frontière avec l'Irlande. Pour le Sinn Féin, l'UE agit comme une garantie contre les nationalistes britanniques qui pourraient prendre le pouvoir à Londres et encourager à nouveau une politique communautaire unioniste à Belfast. De plus, comme l'autre parti « catholique », le SDLP, Social Democratic and Labour Party, le Sinn Féin craint que le minimum garanti par l'UE en matière de protection des salariés soit remis en cause.

Situation économique difficile

Globalement, le score de près de 40 % en faveur du Brexit en Irlande du Nord semble donc un « bon » score si l'on regarde le paysage politique de la région. Mais la divergence entre les appels au vote et le vote semble néanmoins moins marquée que dans le reste du Royaume-Uni. Pourtant, économiquement, l'Irlande du Nord ne va pas bien. C'est une région assez pauvre, un peu moins cependant que le Pays de Galles, mais beaucoup plus que l'Ecosse ou le Grand Londres. Le revenu disponible est le plus faible des quatre « nations » du Royaume-Uni avec 13.966 livres par personne, contre 20.509 à Londres, par exemple. Seul le Nord-est de l'Angleterre a un niveau plus faible. la croissance y est également plus faible que dans le reste du pays : 1,4 % en 2015 contre 2,2 % pour l'ensemble du Royaume-Uni. La région aurait donc des raisons de protester, mais il est vrai que les investissements européens y sont très présents.

Le risque de déstabilisation

Mais l'Irlande du Nord n'est pas une région comme les autres, elle est marquée par les « troubles » qui ont déchiré le pays pendant près de trente ans et qui ne se sont apaisés que progressivement depuis les accords du Vendredi Saint de 1998, validés par les Nord-Irlandais par référendum à 71 % par la suite. La paix est revenue, mais elle est fragile. Et les habitants de l'Irlande du Nord craignent qu'un Brexit ne déstabilise la situation en donnant plus de poids aux nationalistes britanniques et en donnant aux catholiques le sentiment qu'ils sont à nouveau « piégés » dans les frontières du Royaume-Uni.

Certes, comme l'a souligné Arlene Foster, l'accord de 1998 ne tombera pas en cas de Brexit, car elle n'impliquait pas l'UE, mais un Brexit pourrait déstabiliser l'équilibre interne entre les communautés. Déjà, le Sinn Féin a prévenu qu'il demanderait un référendum d'autodétermination de la région si le Royaume-Uni sortait de l'UE. Les Républicains ne veulent pas se retrouver à l'étroit au sein d'un Royaume dont ils ne reconnaissent pas la souveraineté. Beaucoup en Irlande du Nord craignent que le Brexit soit un prétexte aux groupes paramilitaires, qui existent encore, de reprendre les armes.

Le symbole de la « border » inter-irlandaise

L'autre question décisive est celle de la frontière. La frontière entre l'Irlande du Nord et la république d'Irlande est aujourd'hui quasiment inexistante depuis janvier 1993. On cherche en vain un signe matérialisant le passage d'un pays à l'autre. Des deux côtés, seuls les prix majoritairement en livres ou la couleur des boîtes aux lettres peuvent donner un indice au voyageur. C'est un élément important pour le commerce et le tourisme nord-irlandais. Les habitants de la région peuvent venir travailler dans la très prospère Irlande et Belfast est une destination touristique intégrée dans l'offre irlandaise. On peut, du reste, arriver à Dublin et prendre le train ou le bus pour Belfast sans difficulté, ce qui a favorisé la croissance des revenus du tourisme en Irlande du Nord. Symboliquement, l'effacement de cette frontière est aussi important pour les Catholiques qui y voient un élément de rapprochement avec leurs « frères » du sud et un premier pas vers l'unification de l'île.

Frontière fermée ?

Cette frontière, la seule frontière terrestre du Royaume-Uni avec celle de Gibraltar, est-elle menacée de fermeture en cas de Brexit ?  L'Irlande et le Royaume-Uni sont tous deux hors de la zone Schengen, mais ont passé un accord bilatéral de libre-circulation. Ceci fait dire à Arlene Foster que l'UE n'a donc rien à voir dans cette affaire et que la frontière ne sera pas fermée en cas de Brexit. A l'inverse, le premier ministre britannique David Cameron et son homologue irlandais Enda Kenny ont clairement menacé de rétablir les contrôles. Tout dépendra des choix réalisé après le Brexit. En cas de volonté britannique de contrôler la migration en provenance de l'UE, il y aura des contrôles puisque l'Irlande demeurera dans l'UE. A moins que les contrôles restent abolis pour l'Irlande, mais établi entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, ce qui posera de nouveaux problèmes économiques, commerciaux et politiques, car les Unionistes ne voudront pas être « exclus » du Royaume-Uni et contraints à des contrôles à leur entrée dans « leur » pays...

Conséquences commerciales

Sur le plan commercial, tout dépendra si Londres conservera un accès ou non au marché unique. Si le statut futur du Royaume-Uni est proche de celui de la Norvège, rien ne sera changé. Mais s'il est proche de celui du Canada ou du Japon, il faudra établir des contrôles de marchandises aux frontières, notamment entre les deux Irlande. Une décision qui risque de perturber une économie fragile. En 2014, les exportations vers l'UE se sont élevées à 5,8 milliards de livres, soit un quart du total, dont 3,6 milliards de livres vers la seule Irlande. A noter que la Grande-Bretagne reste largement le premier partenaire de la région, cependant, étant la destination de 56,4 % de ses exportations.

Eviter l'embrasement

En Irlande du Nord, on semble, largement ne pas vouloir prendre le moindre risque. La communauté catholique et les électeurs de gauche et des partis « pacifistes » devraient constituer l'essentiel de l'électorat pour l'UE. Reste qu'en cas de Brexit, Londres et Dublin devront, UE ou pas, réfléchir ensemble aux moyens d'éviter une nouvelle déstabilisation et un nouvel embrasement dans la province. Là encore, comme sur d'autres sujets, la question centrale sera celle de la politique menée par le gouvernement britannique. C'est une donnée que le seul référendum ne saurait régler.

Commentaires 7
à écrit le 23/06/2016 à 21:36
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Si on regarde de près, ni l'Irlande du Mord, ni l'Ecosse, ni le pays de Galles, ni Londres ne veulent majoritairement du Brexit... s'il devait sortir vainqueur de ce référendum on peut pronostiquer sans grand risque l'explosion du Royaume-Uni.

le 24/06/2016 à 7:55
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@Bruno_bd: et si tu regardes d'encore un peu plus près, tu vas t'apercevoir que les régions citées sont celles qui bénéficient d'importants fonds européens. La Grèce non plus ne veut pas sortir de l'UE, mais les contribuables se sentent suffisamment ...

le 27/06/2016 à 15:05
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@Patrickb Londres ? Vous croyez ?

à écrit le 23/06/2016 à 20:33
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C'est sûr qu'après plus de 800 ans de domination britannique plus ou moins dure selon les époques, la solution de l'union irlandaise est un vrai casse-tête. Mais, c'est pourtant, à mon humble avis, la seule solution :-)

à écrit le 23/06/2016 à 17:22
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Les pro €uro savent-ils que leurs assurances vies seront ""retenues "temporairement"en cas de graves difficultés "" comme cela a été voté en allemagne et en france ???

le 23/06/2016 à 18:07
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Une assurance vie n'est qu'une ligne de compte dans une banque... Rien de plus. Debancarisez si vous avez peur.

le 24/06/2016 à 8:55
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savez-vous que l'argent que vous déposez sur votre compte ne vous appartient plus ? Vous donnez mandat au banquier pour "accueillir" votre fortune (d'où des frais facturés)... Peut-être pour ça que certains utilisaient leur bas de laine ou leur matel...

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