Le Portugal attend fébrilement le verdict d'une petite agence de notation

Si l'agence canadienne DBRS dégrade vendredi 21 octobre le Portugal, le pays perdra son accès au programme de rachat de la BCE. Un désastre pour le pays... et pour la BCE.
Le Portugal est menacé par une petite agence de notation canadienne.
Le Portugal est menacé par une petite agence de notation canadienne. (Crédits : Rafael Marchante/Reuters)

Dans une des conférences de presse les plus ennuyeuses depuis longtemps, Mario Draghi a cependant donné une information qui aura sans doute soulagé le premier ministre portugais Antonio Costa. Ce dernier, qui vient en effet de présenter un projet de budget prévoyant un retour du déficit public à 1,6% du PIB en 2017 attend en effet avec inquiétude la décision prévue ce vendredi 21 octobre de la petite agence de notation canadienne DBRS concernant la dette portugaise. Une décision cruciale pour le pays.

Que se passera-t-il en cas de dégradation ?

Car DBRS est la dernière agence reconnue par la BCE à maintenir la note portugaise en catégorie « investissement ». Une situation qui lui permet de faire partie du programme de rachats de la BCE, appelé QE. Si la note vient à être abaissée, le Portugal sera noté en catégorie « à haut risque » par les quatre agences reconnues par la BCE. Dès lors, cette dernière ne pourra plus, selon ses règles, acheter de dette portugaise dans le cadre du QE. Il faudra accorder une dérogation. Or, pour obtenir cette dérogation, il faudra sans doute aussi en passer par un « plan d'ajustement », sans doute sous le contrôle du Mécanisme européen de Stabilité (MES). C'est du moins ce qu'on peut penser puisque c'est la condition, par exemple, affichée par la BCE pour avoir recours en théorie au programme OMT de rachat de titres, jamais utilisé.

Que fera la BCE ?

Néanmoins, les règles sont souples et discrétionnaires. La BCE est entièrement souveraine dans ce domaine, elle doit simplement gérer ses tensions internes. Ainsi, la Grèce fait l'objet d'un programme du MES depuis août dernier et met en place les « réformes » voulues, mais n'a pas été intégrée au QE comme l'avait été Chypre lorsqu'elle était sous ce même programme. De ce point de vue, ce jeudi 20 octobre, Mario Draghi s'est plutôt montré rassurant. Tout en reconnaissant que s'il était dégradé, le pays sortirait du QE, il a affirmé que le pays « avait fait du bon travail jusqu'ici » et que s'il avait encore besoin de réformes, ces dernières concernaient principalement « la gestion des créances douteuses ». Ceci peut signifier que la BCE semble déterminée à ne pas abandonner totalement le pays. Les conditions d'attribution de la dérogation pourraient donc être relativement souples et concentrées sur les problèmes bancaires. Peut-être même sans passer par la case MES qui donnerait alors la main à l'Eurogroupe et au redoutable Wolfgang Schäuble qui a déjà fait part de son désaccord avec Lisbonne.

Le Portugal ne peut se payer le luxe d'une dégradation

Le gouvernement de Lisbonne ne peut pas, en tout cas, se payer le luxe d'une crise de la dette souveraine et qui aura tout fait pour l'éviter. Malgré une amélioration de ses comptes publics, le gouvernement d'Antonio Costa, gouvernement socialiste minoritaire dépendant de l'appui de deux groupes de gauche, le Bloc de Gauche et la Coalition démocratique unie (regroupant Verts et Communistes), a clairement mauvaise presse sur les marchés. La campagne de la Commission pour sanctionner le pays de ses déviations passées, au temps du gouvernement conservateur, a contribué à cette prudence. Le taux à 10 ans portugais se situe actuellement à 3,22 %, soit 2 points de plus que le 10 ans espagnol, par exemple. Si le Portugal perdait ce « filet de sécurité » du QE, les taux de refinancement du pays grimperait sans doute en flèche et il sera difficile pour Lisbonne de conserver un accès au marché, tandis que l'économie, déjà fragile, serait étranglée par cette hausse des taux. Ce serait, de plus, politiquement, sans doute, la fin du gouvernement d'Antonio Costa.

Les efforts du gouvernement Costa

Antonio Costa a clairement fait part, dans la préparation du budget 2017, de sa volonté de satisfaire Bruxelles qui le menace encore de couper les très importants fonds structurels. Le budget prévoit une augmentation des taxes indirectes sur les boissons sucrées et sur les plus importants patrimoines immobiliers, ainsi que la poursuite de la maîtrise des dépenses sociales. Mais pour satisfaire ses alliés sur sa gauche, le gouvernement a annoncé une revalorisation des retraites les plus modestes et la suppression d'une surtaxe de l'impôt sur le revenu, incarnation de la politique d'austérité du gouvernement précédent. Un numéro d'équilibriste qu'a plutôt bien réussi Antonio Costa dont, pour le moment, la majorité ne semble pas menacée et qui progresse dans les sondages.

La BCE n'a pas intérêt à un bras de fer avec Lisbonne

Le Portugal est paralysé par un surendettement public et privé. « L'aide » de 78 milliards d'euros accordée en 2011 associé à l'austérité a fait bondir l'endettement public à 129 % du PIB. Mais le secteur privé est endetté pour plus de 200 % du PIB, ce qui affaiblit le secteur bancaire et empêche toute reprise. De plus, la politique de compétitivité externe menée jusqu'ici a enfermé le pays dans une course à la compétitivité prix qui empêche toute montée en gamme et toute croissance de l'investissement. La croissance est donc désespérément faible (1,2 % attendu cette année après 1,6 % en 2015) au regard des efforts fournis.

Une sortie du QE ne pourrait que nuire encore davantage à la croissance portugaise. Elle alimenterait sans doute aussi un sentiment eurosceptique déjà très répandu dans les deux partis de gauche qui représentent 18 % de l'électorat. La participation à la zone euro devait précisément protéger le pays des attaques du marché, ce qui est le cas dans le QE, mais ce qui ne sera plus le cas sans le QE. Il sera aussi aisé de montrer comment la BCE a placé l'avenir du pays sous la dépendance d'une petite agence canadienne sans aucun contrôle démocratique et alors que le gouvernement avait tout fait pour rassurer.

Au reste, un nouveau round d'austérité ne réglera rien au Portugal qui a besoin d'une restructuration de la dette et d'investissements massifs. Avec de nouvelles « réformes », le Portugal s'enfoncera à nouveau dans la pauvreté et s'enfermera dans une logique morbide de producteur à bas coût. Quoi qu'il arrive, si DBRS décide de dégrader le Portugal vendredi, ce pays doit s'attendre à de fortes secousses. Mais la BCE, qui, par ailleurs, n'a sans doute pas intérêt à voir une nouvelle crise s'ouvrir à Lisbonne, pourrait donc tenter de calmer le jeu en réduisant ses exigences pour accorder une dérogation et maintenir le pays sous la protection du QE.

Commentaires 2
à écrit le 21/10/2016 à 19:25
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Super article. Quand on sait qu'aucune agence de notation reconnue par la BCE n'est européenne, on se demande qui a bien ou inventer ces règles au sein de la zone euro. C'est un peu comme si la dette souveraine américaine dépendait du bon vouloir de ...

à écrit le 21/10/2016 à 9:39
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L'Europe devait nous offrir plein de solutions économiques, elle ne nous propose que des impasses nous ayons livré pieds et poings liés aux marchés financiers.

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