Les trois certitudes et les trois inconnues du Brexit

[ANALYSE] Les Européens ont répondu à l'improvisation britannique en posant un cadre procédural et un calendrier les plus clairs possibles, sans rien cacher des périls de la négociation ouverte le 29 mars. S'ils arrivent à sortir par le haut de la négociation, cela pourrait améliorer leurs relations avec d'autres pays tiers.

« Ce sera une négociation très dure, mais ce ne sera pas la guerre », a expliqué le Premier ministre maltais Joseph Muscat qui présentait le 31 mars depuis La Valette les neuf pages de « lignes directrices » aux côtés du président du Conseil Donald Tusk. Le ton est donné. « Brexit veut dire Brexit. Et le Brexit aura des conséquences. Les choses changeront. Il y aura des perturbations. Il y aura des barrières... Notre tâche vise à les réduire au maximum... Cette négociation a pour objet de limiter les dégâts », déclarait pendant ce temps à Bruxelles un haut fonctionnaire. Voici les trois certitudes et les trois inconnues de la négociation, la plus périlleuse qu'ait jamais eu à mener l'Union européenne.

Trois certitudes

. Le couperet tombera en 2019

A partir du 29 mars, il n'y aura plus de députés européens britanniques siégeant au Parlement, plus de ministre de sa Majesté dans les réunions du Conseil, plus de juge britannique à la Cour de Luxembourg. L'Union continuera à travailler dans une langue, l'anglais, qui n'est celle que de 1% de ses habitants. Les relations entre l'Union européenne et du Royaume-Uni seront celles de deux « tiers », elles se joueront sur le registre de la diplomatie, comme avec les Etats-Unis, la Russie ou le Japon.

. Chacun des Vingt-Sept disposera de facto d'un droit de veto

Juridiquement, seules les « lignes directrices » qui viennent d'être proposées doivent être adoptées à l'unanimité. L'accord de sortie, comme le futur partenariat, s'il en est un, ne requièrent qu'une majorité qualifiée des Vingt-Sept. Mais la nécessité de faire ratifier ces futurs accords par chaque parlement national leur donne de facto un droit de veto tout au long des discussions puisque les ministres des affaires étrangères devront valider régulièrement les progrès réalisés par l'équipe de Michel Barnier.
D'autres sujets "classiques" pourraient ainsi s'inviter dans les discussions, qu'il s'agisse d'accords commerciaux en cours de discussion, comme avec la Chine ou le Japon, de réforme de la zone euro, de politique industrielle ou encore du prochain "cadre budgétaire" pour la période 2021-2028 dont la négociation commencera l'année prochaine.

L'Espagne s'est en outre déjà vu accorder un droit de veto. « Aucun accord entre l'UE et le Royaume-Uni ne pourra s'appliquer au territoire de Gibraltar sans un accord entre le Royaume d'Espagne et le Royaume-Uni », peut-on lire dans le projet de lignes directrices qui doit être approuvé le 29 avril par les chefs d'Etat.

. Une négociation parallèle sur la sécurité et la défense

« Il n'est dans l'intérêt de personne d'utiliser la coopération en matière de sécurité comme un argument de négociation », a expliqué le président du Conseil Donald Tusk en réponse à la Première ministre britannique qui n'avait pas manqué de rappeler aux Européens qu'ils étaient en partie dépendant de son pays pour assurer leur défense et lutter contre le terrorisme. Si un haut fonctionnaire a jugé irresponsable de vouloir « troquer » de la sécurité contre un accès au marché, le Royaume-Uni n'en retrouvera pas moins en 2019 la capacité de réapprécier le prix de sa précieuse coopération.

Trois inconnues

. La date de début des discussions sur le futur partenariat

Pas une feuille de papier à cigarette ne sépare le négociateur Michel Barnier du président du Conseil Donald Tusk sur le fait qu'il faudra, avant d'engager toute discussion sur un partenariat futur, s'entendre sur les « principes » régissant trois sujets clés : les droits futurs des Britanniques vivant ou ayant vécu sur le Continent et des citoyens européens vivant ou ayant vécu au Royaume-Uni, la gestion de la frontière entre la République d'Irlande et l'Ulster, les engagements financiers restant du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Union après mars 2019.

Mais à quel degré de détail ? La question n'est évidemment pas tranchée. Et elle ne pourra l'être que les gouvernements des Vingt-Sept. « Le verrou est qu'il y ait des progrès suffisants, la clé est dans les mains du Conseil », a insisté un haut fonctionnaire. Michel Barnier aimerait que la porte s'ouvre dès l'automne. Mais de nombreux observateurs estiment irréaliste un tel délai, du fait notamment de la pression que pourraient exercer certaines capitales pour garantir les droits de leurs ressortissants.

. Une période de transition de 2, 5, 10 ans ?

A fortiori si l'on tarde à commencer à parler de l' « après-2019 », il faudra de nombreuses années avant que les relations entre le Continent et les îles britanniques s'inscrivent dans un cadre stable. Ce cadre prendra vraisemblablement la forme d'un « accord mixte » que devront approuver plusieurs dizaines de parlements en Europe, à l'image de celui avec le Canada. « L'expérience montre que la ratification prend au moins deux ans », note une source officielle. Une fois les conditions du divorce arrêtées, deux négociations parallèles s'engageront sur la transition, d'une part, et le partenariat futur, de l'autre, avec l'ambition de conclure la première pour le 29 mars 2019. La seconde se prolongera certainement bien après. L'accord CETA avec le Canada, signé en 2016 et encore loin d'être ratifié, a commencé à être négocié en... 2004.

. Le futur cadre de résolution des conflits

C'est probablement l'un des sujets les plus épineux. L'autorité suprême de la Cour de Luxembourg reste le véritable ciment entre les membres de l'Union européenne. C'est là que se résolvent de façon définitive et incontestable les disputes les plus ardues entre les institutions européennes, les entreprises, les citoyens ou même les gouvernements nationaux de l'Union. En votant pour sortir de l'Union, les Britanniques ont voulu avant tout se soustraire à cet arbitre suprême.

Dès lors, devant qui les citoyens pourront-ils faire valoir leurs droits à la retraite accumulés pendant leurs « années britanniques » pour les Européens ou européennes pour les Britanniques ? Qui aura le dernier mot sur l'équivalence - si elle est reconnue - entre la réglementation financière de la City et celle prévalant à Francfort ou Paris ? Bruxelles pourra-t-elle contester des tarifs douaniers excessifs et Londres des subventions européennes fatales à ses propres entreprises ?

Pour éviter le chaos au lendemain du 29 mars 2019, une fois que les jugements de la Cour de Luxembourg ne feront plus autorité sur le territoire britannique, il faudra répondre rapidement à ces questions cruciales. Or, si l'on met de côté les pays tiers qui, comme la Norvège, ont fait le choix de reconnaître l'autorité de Luxembourg en adhérant à l'Espace économique européen de libre échange, la résolution des conflits reste une épine dans le pied de toute relation avec des pays tiers.

Avec la Suisse, Bruxelles a créé le pis-aller des « comités mixtes » sensés arbitrer les conflits, mais sans recours unique, chacun n'ayant ensuite d'autre recours que devant son propre ordre juridictionnel. Pour les aides d'Etat ou les tarifs douaniers, l'Organisation mondiale du commerce serait la solution naturelle, mais les procédures y durent plusieurs années comme le montrent les contentieux avec les Etats-Unis. Les tribunaux arbitraux, eux, sont très impopulaires comme l'a montré l'opposition au CETA. Ils peuvent mettre en péril la ratification d'un accord et surtout ne couvrent que les investissements.

Bref ! Faire du Brexit un succès exigera de résoudre des problèmes irrésolus depuis des décennies. Mais si les solutions étaient satisfaisantes, elles pourraient être mises à profit dans les relations avec d'autres partenaires que ce soit la Suisse, les Etats-Unis, la Turquie ou la Russie. Le coup de canon britannique aurait alors rendu un grand service à l'Union.

Commentaires 34
à écrit le 04/04/2017 à 0:03
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Attention, piège : perdre deux ans à ferrailler avec les Anglais. Laisser l'UE se faire endormir, anesthésier. La sortie du Royaume-Uni ne doit en aucun cas paralyser l'Europe. Au contraire. Elle doit continuer sa route. En snobant les snobeurs.

à écrit le 03/04/2017 à 20:08
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Je pense que le réveil va être difficile à la fin des négos... L' Anglois ayant tout à perdre son économie étant surtout basée sur la banque / assurance., ces derniers préparant les transferts vers le continent , des jours tristes à venir pour les p...

le 04/04/2017 à 13:08
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@roro: il s'agit d'un choix de société entre les libertés individuelles et le collectivisme dont le socialisme n'est qu'une branche. On peut préférer le collectivisme qui se traduit par plus de réglements et plus de taxes et impôts pour maintenir le ...

à écrit le 03/04/2017 à 19:58
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Le jour où la France est mourue ... Elle me séduit par l'immédiateté de la proposition, par son indépendance financière, par la représentation de son président François Asselineau, sa spécialisation, son désintéressement, sa sagesse, la fédé...

à écrit le 03/04/2017 à 16:14
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Si je dois choisir entre l'Allemand ou l'Anglais comme langue principale de l'union, je vote l 'Anglais. La grammaire est similaire à la notre et 30% environ de leur vocabulaire c'est du Français, ou plutôt un patois français. Alors à tout prendre.....

à écrit le 03/04/2017 à 10:19
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Garder l'Anglais comme langue de référence, c'est laisser aux anglo-saxons un pied dans l'UE. S'il y a une mesure immédiate à prendre, c'est d'officialiser le multi-linguisme européen qui définit la multi-culture des peuples européens face à la "sous...

le 04/04/2017 à 9:24
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Pourquoi s'exciter ainsi contre l'anglais ? Il y a tellement de petits et grands jobards bien de chez nous qui nous soulent tous les jours de leurs logorrhées franglaises que les supports médiatiques qu'ils soient d'information ou de publicité ont dé...

à écrit le 03/04/2017 à 10:19
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L’accès au marché sera déterminé simplement par la demande intérieure de cet UE de Bruxelles et non pas par l'offre de la G.B. qui lui est adaptable! Et ce n'est pas cette zone administrative qui interdira quoi que ce soit!

le 03/04/2017 à 17:03
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La zone administrative qu'est l'UE n'est effectivement pas une dictature et n'interdit rien. Elle met juste des barrières douanières et tarifaires, comme tous les grands ensembles économiques intégrés. Et quoi qu'en dise les idolatres du Brexit, UK s...

le 04/04/2017 à 10:20
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@Brice: Oui comme la France après son "Frexit" et tout les États qui sont souverain.

le 04/04/2017 à 16:05
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@OuiMais Quand il y a une barrière, il faut déterminer qui est du bon côté de la barrière. La vache qui hurle dans son pré en meuglant "c'était mieux avant" ou le paysan qui s'associe avec ses collègues pour agrandir, consolider et moderniser sa fe...

à écrit le 03/04/2017 à 6:33
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" .... s'ils (les européens ) arrivent a sortir par le haut ... " ?!? Ce serait quand mème assez incroyable d'une nation , qui a passé son temps a tricher , arrive a imposer ses dictats a une union qui ,méme délabrée , represente une populatio...

à écrit le 02/04/2017 à 22:50
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>L'Union continuera à travailler dans une langue, l'anglais, qui n'est celle que de 1% de ses habitants. C'est une plaisanterie ! En effet, lorsque le retrait du Royaume-Uni de l'UE sera effectif en 2019, plus aucun pays n'utilisera l'anglais,...

le 02/04/2017 à 23:59
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Quelle langue parlent les Irlandais ? Et sont-ils membres de l'union européenne ? Je trouve l'anglais plus acceptable que la langue allemande ou française, afin de ne pas glisser vers une domination culturelle d'un pays plus peuplé que les autres...

le 03/04/2017 à 1:08
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Il faudrait s'inspirer de la Bulle d'or de 1356 dans la version promulguée par la diète de Metz et demander que les décideurs de l'union apprennent les 3 langues les plus parlées pour assurer l'égalité de tous ses membres, plus une lingua franca.

le 03/04/2017 à 9:31
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@Michel078: le français est une langue que même les bac +2 ne parlent, ni n'écrivent, correctement. D'autre part, qui apprend le français de nos jours ? Même les pays de l'Est préfèrent aujourd'hui l'anglais. La nostalgie est une chose, la réalité en...

le 03/04/2017 à 9:35
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Regardez quelle est la langue la plus parlée en Europe continentale et vous constaterez que c´est de loin l Allemand. Pas seilement par ceux dont c est la langue maternelle mais tous les limitrophes surtout à l Est ( Luxembourg et Belgique compri...

à écrit le 02/04/2017 à 22:01
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La géopolitique demeurait exclue du débat, et avec elle, le FREXIT. Le peuple infantilisé, n'avait pas à s'en mêler. Fallait-il autoriser le port du voile, monter ou baisser telle ou telle taxe? François Asselineau faisait de courtes apparitions sur ...

le 03/04/2017 à 17:04
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Et si les marsiens envahissaient la terre ?

à écrit le 02/04/2017 à 20:58
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LE * CETA pas tres bon pour l élevage en FRANCE

à écrit le 02/04/2017 à 20:41
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La bonne remarque s'est que avant que la GB soit dans notre union, nous fessons du commerce avec, et que lorsqu'ils avez un pieds dans notre union nous fession du commerce avec, donc demain nous ferons toujours du commerce avec çe pays proche voisin....

à écrit le 02/04/2017 à 19:40
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Les anglais vont nous laisser l écosse et sortir l Angleterre .... du coup comme on imagine pas une vrai frontière entre l ange terre et l écosse il vont nous la faire à l envers et sortir tout en restant dedans ... ils sont bons. Par ailleurs il f...

à écrit le 02/04/2017 à 18:48
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"Le coup de canon britannique aurait alors rendu un grand service à l'Union.e C'est pour dire dans quel cas désespéré l'UE se trouve, elle est tellement incompétente que nous sommes obligés d'attendre un espoir d'une réussite britannique de son b...

le 02/04/2017 à 20:01
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Quand l'article parle de faire réussir le Brexit, il ne s'agit en aucun cas de faire réussir le Brexit pour la Grande-Bretagne ...

le 03/04/2017 à 8:36
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Vous n'avez pas compris l'article mais c'est normal la pensée binaire n'aide pas en la compréhension d'un phénomène action-réaction. L'article part du principe qu'une bonne sortie de l'angleterre permettrait à l'UE, en réaction de régler ses défa...

le 03/04/2017 à 10:24
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L'UE incompétente ? Et bien déjà réussir à mettre sur une même ligne 27 pays dans une négociation, c'est la marque d'une compétence remarquable. En face, nos cousins britanniques sont entrain de se déchirer, entre des provinces qui ne veulent pas ...

le 03/04/2017 à 13:49
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ah le prêtre néolibéral de service, vous n'aviez pas à vous déranger pour si peu mon père vous savez. "Et bien déjà réussir à mettre sur une même ligne 27 pays dans une négociation, c'est la marque d'une compétence remarquable." IL est éviden...

le 03/04/2017 à 14:09
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Ne cherchez pas, selon @Citoyen blasé, le RU doit ne plus avoir la moindre contrainte mais continuer de bénéficier de tous les avantages, sinon ça serait une "injuste punition haineuse de la méchante UE". Je lui avais d'ailleurs suggéré d'appeler so...

le 03/04/2017 à 15:11
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@alatar: droite/gauche sont des mots qui ne veulent rien dire dans le contexte du Brexit. La droite et la gauche en France, c’est ce que certains appellent l’UMPS. Pour les Anglo-saxons en général, il s'agit du combat de la liberté individuelle face ...

le 03/04/2017 à 16:33
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"droite/gauche sont des mots qui ne veulent rien dire dans le contexte du Brexit." Dans le contexte du Brexit non, mais dans le contexte post-brexit beaucoup plus. "La droite et la gauche en France, c’est ce que certains appellent l’UMPS. " La n...

le 04/04/2017 à 10:19
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Bon ben puisque 'on m'impose votre trollage il faut que je perde du temps avec ça... "Ne cherchez pas, selon @Citoyen blasé, le RU doit ne plus avoir la moindre contrainte mais continuer de bénéficier de tous les avantages, sinon ça serait une "i...

le 04/04/2017 à 21:52
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@brice danus: ah bon, les 27 sont alignés, première nouvelle :-)

à écrit le 02/04/2017 à 18:41
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il ressort de tout ça que la procédure de retrait du royaume uni de l'UE sera excessivement complexe et ce n'est pas un scoop. Par ailleurs il n'est pas certain que les anglais sortent globalement gagnant au terme de ce processus. C'est l'éternelle h...

à écrit le 02/04/2017 à 18:35
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Article intéressant. Merci. Mais qui me conforte dans mon idée que les Britishs voudront, comme d'hab., le beurre, l'argent du beurre, et.. AVONS-NOUS BESOIN D'UN PAYS QUI N'A JAMAIS FAIT PARTI DE L'EU..?? (au pire : à la marge.). Le pire est que je ...

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