Le débat sur le pacte de stabilité et de croissance, ce mécanisme qui oblige les Etats membres de la zone euro à limiter leur déficit budgétaire à 3% du PIB et leur dette publique à 60% du PIB, est lancé ce mardi à Bruxelles, à l'occasion d'une réunion des ministres des Finances de la zone euro (Ecofin) présidée par Bruno Le Maire. Lundi, ce dernier a donné le ton dans un entretien aux Echos en affirmant que "les règles actuelles européennes sur la dette publique sont obsolètes" sans toutefois remettre en cause le pacte, un instrument qui est censé faire converger les économies de la monnaie unique.
"Il faudrait une modification des traités"
De son côté, son homologue allemand, le libéral Christian Lindner, ne pense pas "qu'on puisse de façon réaliste s'attendre à des changements fondamentaux sur les critères de dette et de déficit, pour lesquels il faudrait une modification des traités". Olaf Scholz, le chancelier allemand, en visite à Madrid, a précisé lors d'une conférence de presse tenue avec le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez que le pacte restait "la base" à partir de laquelle les Européens continuent "à marcher ensemble dans les années à venir" et constituait "le cadre dans lequel nous avons pu mettre en place, par exemple, le plan de relance européen" post-Covid, plan dont l'Espagne et l'Italie ont été les grands bénéficiaires à travers une aide constituée en partie de subventions.
L'opposition entre Paris et Berlin n'est pas aussi tranchée qu'elle en a l'air sur ces règles qui sont suspendues jusqu'à janvier 2023 en raison de la pandémie. Certes, la nouvelle coalition allemande après les 16 années de leadership d'Angela Merkel doit rassurer une opinion et des alliés (les pays du nord "frugaux") qui restent attachés à la rigueur budgétaire et refusent de partager le poids des dettes des pays "cigales" (les pays du sud de l'Europe).
Mais Paris, qui préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne, entend adapter un système rigide qui n'est pas l'outil optimal pour faire face aux turbulences économiques, comme on l'a vu dans la crise financière de 2008, celle de la dette européenne, notamment de la Grèce, et aujourd'hui celle de la pandémie. Sans compter que faire bouger les lignes constituerait un bon point sur l'Europe pour le futur candidat Macron à l'élection présidentielle.
Une politique budgétaire contracyclique
Car la pandémie a montré que mener une politique budgétaire (le fameux "quoi qu'il en coûte" d'Emmanuel Macron) contracyclique pour éviter une grave récession et l'écroulement des économies avait été une option positive. Lors de la crise financière de 2008 et celle de la dette européenne, notamment de la Grèce, les politiques d'austérité imposées en Europe sous la férule allemande et la passivité française n'ont pas eu les résultats positifs escomptés, notamment en termes de relance de la croissance, assainissement des finances publiques et des réformes structurelles. Autrement dit, la volonté de réduire rapidement les déficits publics avait bridé la reprise sur le Vieux continent, dont la vigueur est synonyme de recettes fiscales pour les budgets des Etats. Les présupposés idéologiques avaient pris le pas sur le pragmatisme, comme l'avait reconnu plus tard le FMI.
En réalité, c'est la Banque centrale européenne (BCE), sous la présidence de Mario Draghi, qui avait pallié ces erreurs d'appréciation en défendant l'euro, là aussi "quoi qu'il en coûte", face aux marchés financiers, et en assouplissant sa politique monétaire en baissant les taux d'intérêt jusqu'à passer en territoire négatif et en initiant un programme de rachats de dettes publiques.
Les leçons tirées de la crise précédente
Avec l'irruption de la pandémie, on a pu constater que les leçons des crises précédentes avaient été tirées. La BCE a de nouveau baisser ses taux et mis en place un programme de rachat d'actifs spécifique à cette période pour que les Etats puissent utiliser la dette pour soutenir notamment le secteur privé. Cette politique inédite (hors périodes de guerre) a eu un coût. Les pays de l'OCDE ont vu leurs ratios entre dette publique et PIB s'envoler en moyenne de 20 points de PIB. C'est dans ce contexte nouveau que s'ouvre la discussion sur les critères du pacte de stabilité.
"Le débat a durablement changé de nature. On n'est plus dans la crise grecque, où l'Europe avait rebranché dans la précipitation des règles désuètes. Ce qui était une erreur économique et politique. Il y a une convergence des différentes parties. On n'entend plus, non plus, beaucoup de voix dire qu'on n'a pas besoin de règles budgétaires, surtout à la lumière de la crise Covid. Maintenant, la stratégie économique pour les dix ans qui viennent est à construire", résumait dimanche Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes dans un entretien à Ouest-France.
En effet, la crise du Covid-19 a accéléré la prise de conscience du changement de paradigme imposé par la transition énergétique et la numérisation croissante des activités économiques pour lutter contre le réchauffement climatique. C'est le sens du plan de relance européen de 2020, "NextGenerationEU", sur lequel se sont accordés les membres de l'UE d'un montant de 750 milliards d'euros - 360 milliards sous forme de prêts et 390 milliards de subventions - qui met l'accent pour un tiers sur la décarbonation et la numérisation de l'économie. Et pour la première fois, ces montants seront levés directement sur les marchés financiers sous la forme d'un emprunt mutualisé de l'ensemble des Etats-membres. Une initiative politique qui montre le chemin parcouru depuis les précédentes crises.
Réunir les conditions de la croissance
Si donc le besoin de revenir à un assainissement des finances publiques, notamment par la réduction des aides consenties durant la pandémie, et la nécessité pour les Banques centrales de resserrer leurs politiques monétaires pour lutter contre l'inflation restent à l'ordre du jour, en revanche, les pays de la zone euro ont compris qu'il fallait réunir les conditions pour soutenir la croissance européenne devenue une priorité face à la Chine et aux Etats-Unis dans la compétition internationale.
"Il faut adapter les règles (...), en travaillant sur des adaptations avec un objectif : permettre plus d'investissements dans les années qui viennent en Europe", soulignait ainsi Clément Beaune. Sans remettre nécessairement en cause le cadre du pacte de stabilité, la réflexion des ministres des Finances pourrait porter sur la catégorisation des dépenses publiques. L'une des pistes serait d'assouplir les critères pour les dépenses participant du développement de la croissance verte et numérique, et de les conserver pour celles qui relèvent plutôt du fonctionnement de l'Etat.