Pour de nombreux Polonais, c'était « l'élection la plus importante depuis 1989 », année où le pays a organisé son premier scrutin législatif libre, après plusieurs décennies sous le joug d'un parti communiste omnipotent, à la botte de l'ex-URSS.
Ce dimanche, le parti eurosceptique Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, a perdu ses élections législatives, perdant sa majorité au sein de l'Hémicycle polonais. Devant celui-ci cette fois-ci, une coalition pro-européenne réunissant les trois partis d'opposition centriste du pays : la Coalition civique de Donald Tusk (ancien Premier ministre de Pologne et ancien président du Conseil européen), les chrétiens-démocrates de la Troisième voie et la Gauche polonaise. Ils ont remporté 248 sièges sur 460 au Parlement, arrachant ainsi une majorité relative.
« Cette coalition a remporté ces élections pour deux raisons : Donald Tusk, son chef de file possède une crédibilité solide auprès des Polonais. Il a dirigé son gouvernement entre 2014 et 2019 et a été président du Conseil européen. Il est donc connu dans le paysage politique du pays », explique Lukáš Macek, chercheur spécialiste de l'Europe centrale à l'Institut Jacques Delors. Il poursuit : « Ces trois partis, bien qu'adversaires durant la campagne, ont montré qu'ils pouvaient s'allier pour gouverner ensemble ».
Une cohabitation politique compliquée
Passé l'euphorie de la victoire, plusieurs questions restent cependant en suspens pour la suite. La première : la cohabitation avec le président de la République polonaise Andrzej Duda, membre éminent du parti de droite PiS, qui malgré son passage dans l'opposition, constitue à lui seul la première force politique du pays.
« La prochaine élection présidentielle aura lieu en 2025. Même si la Pologne a l'habitude de gouverner dans un esprit de coalition, dans ce cas-là, avec deux blocs politiques aussi opposés, deux années peuvent s'avérer très longues et compliquées », prévient l'analyste politique.
Dans les jours à venir, deux solutions s'offrent au président polonais : tenter de nommer un premier Ministre issu de sa base, ou accepter la réalité politique du scrutin en nommant un chef de gouvernement de la coalition gagnante. « Un déni de cette nouvelle donne lui ferait perdre son capital politique. Pas sûr qu'il prenne ce risque », précise le chercheur.
Dégel à venir avec l'Union européenne
Passé cette phase, si les choses se passent comme prévu, dans un mois maximum, la Pologne aura donc un gouvernement pro-européen à sa tête. Et avec lui, une nouvelle politique à mener. « Le premier changement sera évidemment au niveau de sa relation avec les instances européennes. Il y aura un vrai réengagement au niveau global. Mais la vraie nouveauté sera sans doute le réchauffement des relations bilatérales avec l'Allemagne, très difficiles depuis que le PiS dirige le gouvernement. La France va aussi bénéficier de ce réchauffement », énonce en premier Lukáš Macek.
Quid du volet militaire ? Selon le chercheur, peu de changements sont attendus sur cet aspect car c'est un sujet de consensus politique en Pologne : l'Ukraine continuera d'être soutenue militairement, Moscou plus que jamais tenu à distance et le partenariat stratégique avec les Etats-Unis, qui possède de nombreuses bases dans le pays, sera consolidé. Le prochain gouvernement devrait aussi renforcer la place de la Pologne comme une puissance régionale stratégique au sein de l'Union européenne.
Quelle politique économique ?
Si les plans diplomatique, sociétal et militaire semblent ne pas faire débat au sein de la prochaine coalition au pouvoir, le sujet économique pourrait crisper. « Des divergences vont se poser surtout si l'économie polonaise connaît un ralentissement, voire une récession. Il ne faut pas oublier que la coalition va du centre-droit à la gauche avec des approches assez différentes », prévient Lukáš Macek, de l'Institut Jacques Delors.
L'un des premiers défis auquel le nouveau gouvernement sera confronté sera de maintenir ou non le même niveau de dépenses sociales pour les Polonais, pierre angulaire de la politique menée par le PiS. Sur ce plan, la pression des marchés, déjà nerveux, mais aussi celle des agences de notation, monte. Pour ces derniers, il serait difficile d'augmenter de nouveau les dépenses sociales, sans fragiliser les finances publiques.
Selon les calculs de JPMorgan, cette année les investisseurs étrangers ont déjà retiré 2,3 milliards de dollars d'obligations d'État polonaises. Ils détenaient en juillet 2023 moins de 15% des obligations en circulation, soit le niveau le plus bas depuis plus de dix ans et en dessous de la moyenne historique de 20%.
La question des céréales ukrainiennes sera aussi au menu économique du prochain exécutif : le gouvernement mené par le PiS a récemment pris la décision d'arrêter les importations de céréales ukrainiennes pour protéger les agriculteurs polonais. Une décision qui a irrité Kiev et qu'il va falloir traiter rapidement.