
C'est un nouveau coup de canif dans le modèle allemand. Après le scandale Volkswagen qui a jeté le doute sur la rigueur et le respect des règles des industriels d'outre-Rhin, voici que le grand ménage a commencé à la Deutsche Bank. Mercredi 8 octobre, la plus grande banque allemande a annoncé qu'elle passera pas moins de 7,6 milliards d'euros de dépréciations d'actifs. Le bilan est nettoyé des effets négatifs d'une politique aventureuse d'acquisition et de ses nombreux risques juridiques. Désormais, ce qui se murmurait sous cape depuis des années, la faiblesse du géant bancaire allemand semble apparaître en pleine lumière. Et, prévient le Handelsblatt, le quotidien des affaires, ce ne pourrait être qu'un début. Rappelons que le bilan de Deutsche Bank s'élève à 1.700 milliards d'euros, soit un peu plus que le PIB italien. Cette affaire n'est donc pas anecdotique. Surtout quand on se souvient que le bilan de Lehman Brothers était de 640 milliards de dollars...
Faut-il faire un lien entre ces deux événements ? Les difficultés de deux entreprises allemandes doivent-elles amener à s'interroger sur l'ensemble du modèle économique de la première puissance européenne ? Oui, sans doute, car ces deux faits représentent les maux qui résident aux deux extrémités du modèle allemand. En France, on présente souvent ce modèle comme un exemple de libéralisme réussi. C'est en réalité une forme contemporaine de mercantilisme qui a été renforcée par les « réformes » de Gerhard Schröder. Ces dernières, par une fiscalité bridant la consommation et un encouragement à la modération salariale et à la précarisation du travail, ont en effet comprimé la demande intérieure pour pouvoir renforcer la compétitivité externe.
L'Allemagne, une machine à produire des excédents à tout prix
L'Allemagne est alors devenue une machine à faire des excédents. La balance courante allemande est ainsi passée de l'équilibre en 2002 à un excédent de 7,9 % du PIB attendu cette année. Au cours des cinq dernières années, ce pays a affiché un excédent supérieur à 6 % du PIB, limite au-delà de laquelle la Commission européenne repère un « déséquilibre macroéconomique. » Ces excédents sont vues outre-Rhin et par de nombreux observateurs européens, comme le signe d'une « vertu » compétitive. C'est, en réalité, tout sauf une vertu et l'affaire Volkswagen est venu le rappeler avec force : cette soif de conquête des marchés externes, cette volonté d'exporter au prix fort, ce mépris du consommateur sont au cœur des malversations de la firme de Wolfsburg. Il n'y a là aucun hasard. D'autant que l'on se souvient de plusieurs précédents, notamment ceux qui avaient coûté leurs postes à des dirigeants de Siemens, englué dans des scandales de corruption à répétition en Grèce, notamment.
La crise européenne est aussi une crise des excédents
Mais ces déficits sont aussi un problème majeur pour la zone euro et, même pour sa survie. Dans un système de change flexible, ces excédents auraient conduit à une appréciation de la monnaie allemande qui, à son tour, aurait freiné l'excédent. En cas de non-fonctionnement du système, on pratiquait une réévaluation par les taux. Dans la zone euro, ce frein n'existe pas. L'euro « allemand » est donc fortement sous-évalué, tandis que le taux de change réel des pays de l'Union monétaire en déficit avec l'Allemagne est surévalué. Logiquement, il s'en est suivi, dans les années 2000 l'exacerbation des déséquilibres : par des bulles de crédit privé ou public. Or, ces bulles étaient précisément alimentées par les excédents allemands qui trouvaient d'alléchants rendements dans l'immobilier espagnol ou irlandais ou la dette des ménages grecs. La crise de la zone euro en 2010 est une crise des Etats périphériques, mais c'est aussi une crise des excédents allemands.
Assis sur un tas d'or dont on ne sait que faire
Et c'est ici que le cas de la Deutsche Bank survient. Si l'Allemagne utilisait ses succès à l'export pour développer son marché intérieur ou pour investir massivement dans ses infrastructures ou ses structures productives, l'excédent se réduirait et la première économie européenne jouerait son rôle de « locomotive. » Mais le vrai problème est que les industriels allemands ne savent que faire de ce tas d'or conquis aux quatre coins du monde. Ils le confient à leurs banques qui promettent des rendements merveilleux. C'est ainsi que l'on a vu les banques allemandes investir dans les produits les plus douteux et les plus alléchants.
Les banques en bout de chaîne
Ce système a fait du système bancaire allemand un des plus fragiles d'Europe et il a fallu toute la puissance de l'Etat fédéral pour empêcher son explosion. Les Landesbanken ont été renflouées par les Länder ou, comme WestLB, mises en faillite via une structure de défaisance immense payée par le contribuable. Commerzbank a été nationalisée partiellement en 2009 pour lui permettre d'avaler une Dresdner Bank au bord de la faillite. Hypo Real Estate a été nationalisée entièrement en 2009, une première depuis la crise de 1931. On se souvient qu'en 2010, la santé des banques allemandes avaient été un des motifs des « plans de sauvetage » grecs et irlandais. Restait Deutsche Bank qui avait subi de lourdes pertes en 2008 et 2009, mais avait pu éviter l'aide publique. Mais, en réalité, cette banque n'a pas échappé aux investissements douteux et illégaux. Elle subit aujourd'hui un aggiornamento douloureux, mais qui pourrait ne pas être définitif : la Deutsche Bank est un colosse au pied d'argile dont le bilan est rempli plus que bien d'autres banques de produits sophistiqués.
La situation s'aggrave
En réalité, ces deux exemples, Volkswagen et Deutsche Bank, prouvent une nouvelle fois que le modèle économique de l'Allemagne fondé sur les excédents est un danger pour l'économie européenne. Elle entretient le risque bancaire, encourage l'hubris des industriels et maintient les déséquilibres au sein de la zone euro. Il serait urgent que les Européens s'attèlent à en finir avec ces excédents monstrueux. Or, la voie qui a été choisie en 2010 a été précisément l'inverse. Les politiques d'austérité dans les pays de la zone euro n'ont pas réduit ces excédents, elles en ont créé d'autres. Car, parallèlement, l'Allemagne n'a pas inversé sa politique fiscale, ni investit massivement. Bien au contraire, elle a dégagé des excédents budgétaires. On a pensé que l'on réduirait les déséquilibres en se contentant de réduire les déficits. On les a en réalité creusé en gonflant l'excédent allemand, passé de 6 % en 2010 à près de 8 % en 2015.
La zone euro immobile
Quant à la Commission européenne, elle se contente d'admonester gentiment l'Allemagne dans le cadre de la procédure de déséquilibre macro-économique, sans demander à ce pays de corriger. L'écart avec son action lors des déficits, notamment budgétaires, est frappant. Il dénote en réalité un biais dans l'analyse économique des instances européennes. Un biais qui se retrouve même dans les projets futurs pour la zone euro. Ainsi, dans le rapport des 5 présidents qui pourrait servir de vademecum pour la future réforme de l'Union monétaire, on peut lire que la « zone euro doit continuer de cibler la correction des déficits » alors qu'elle « devrait également promouvoir des réformes appropriées pour les pays qui accumulent durablement des excédents élevés. » La différence de modalité verbale entre les deux phrases prouve ce refus de traiter cette urgence des excédents.
L'Allemagne doit se réformer
On peut comprendre la prudence de la Commission, si prompte à fondre sur la Grèce ou le Portugal en cas d'écart. Le gouvernement allemand et en particulier son ministre des Finances Wolfgang Schäuble ne saurait accepter une remontrance de Bruxelles pour un « excès de vertu. » Même Mario Draghi, qui a pourtant imposé son assouplissement quantitatif malgré l'opposition de la Bundesbank, n'a pas pu convaincre l'Allemagne d'abandonner son fétichisme budgétaire. Mais, Angela Merkel, si prompte à s'indigner avec raison du chômage élevé en zone euro, doit finir par comprendre que les excédents gigantesques de l'Allemagne contribuent à exporter le chômage vers les autres pays de la zone euro. Elle doit comprendre que ces excédents ne permettent guère de préparer la République fédérale au défi du vieillissement de la population. L'Allemagne, qui ne cesse de demander des réformes à ses voisins, doit désormais s'engager à son tour dans une réforme profonde de son modèle économique. Avec plus d'investissement ou une réforme fiscale d'envergure. C'est le message qu'elle doit retenir des affaires Volkswagen et Deutsche Bank. Et c'est la responsabilité de ses partenaires européens de l'exiger de Berlin.
un point c'est tout.
Tout à fait d'accord avec votre réponse à Onze (9/10 12:03). Il est impensable de concevoir l'Europe sans la France. Pour s'en convaincre, il suffit de visionner l'accueil très bienveillant de la réponse de notre Président à madame Marine le Pen au Parlement Européen, "écorchant" au passage le leader de l'UKIP.
Cordialement
A mon humble avis, l'affaire du constructeur de voiture est bien plus grave car c'est une faute délibérée et le coût sera très onéreux et beaucoup plus élevé que la provision de
E 6.5 Mlds et cela donne une image déplorable au modèle "qualité Allemande".
En ce qui concerne le "german bashing", il faudrait qu'on fasse une introspection: la comparaison est loin d'être en notre faveur.
Cordialement
Même pas en rêve, hélas.
Il faut ajouter que les réformes Schroeder ont non seulement modifié le cap économique de l'Allemagne, en matière de fiscalité, de flexibilité et de précarité, générant la course aux bas salaires.
Il faut souligner la grave responsabilité de Schroeder dans la crise du système bancaire, en cassant l'actionnariat banque industrie, en favorisant la financiarisation et la spéculation boursière, il a affaibli le système bancaire, mais aussi le souci du long terme qui caractérisait les banques et l'industrie.
En affaiblissant ce souci du long terme, il a détourné l'état de sa mission de guide du long terme, pour en faire un état obsédé par le court terme, l'équilibre puis les surplus budgétaires, sans les lier à une vision long terme génératrice d'investissements.
Et ça depuis 70 ans.
Ça aide n'est-ce pas ?
Ceci étant, on n'est pas un peu c... de ne pas le dire haut et fort.
2- Chine : 216
3- Russie : 84,5 (74 prévus + 10 pour les frais en Crimée et dans le Donbass)
4- Arabie Saoudite : 80,8
5- France : 62,3
6- UK : 57.3
7- Inde :
8- Allemagne : 46,5
9- Japon : 45,8
10- Corée du Sud : 37
Les status de la Bundeswehr, c est exclusivement la défense du territoire ou l intervention exterieure quand c est décidé dansd le cadre de l ONU.
Le Parlement allemand ne plaisante pas sur ce sujet !
La Bundesrepublik ne va gaspiller don argent pour aller faire du rodéo comme cela a ete le cas en Lybie. On voit d ailleurs le resultat aujourd hui.
cet afflux de population pourrait relancer l'investissement et la consommation.
et un renouvellement de la population pourrait gommer une volonté de revanche de l'Allemagne par la domination/guerre économique.
c'est un boulet quand même ce pays (dont on a effacé la dette il y a 60 ans).
Toujours surpris de voir des analyses réalistes sur un site à vocation économique, et en une, pas dans les "opinions".
Bravo pour votre travail.
On souhaiterait vous voir alterner avac D. Seux sur France Inter, question de pluralisme (pluralisme qui, certes devraient offrir plus que deux analyses, mais actuellement, il y a un monopole...)
Je crois que les allemands n'ont pas besoin des conseils
vous souhaitez écrire des articles sur les déséquilibres financier et monétaire de la zone euro, c'est très bien... Vos articles durant la crise grecque étaient très intéressants. Peut-être sa conclusion (jusqu'à sa prochaine résurgence...) vous a laissé un gout d'inachevé; mais de la à prendre des situations sans le moindre rapport pour nous expliquer que c'est encore et toujours la faute de la balance commerciale allemande, c'est un peu fort.
Non, le scandale Volkswagen n'a rien à voir avec le dogme allemand du surplus commerciale. Toute entreprise au monde veut réduire ses couts, augmenter ses parts de marché, ses bénéfices. Tout comme les très bonnes performances de Toyota à l'international depuis plus de 10 ans ne sont pas dus au fameux dogme japonais du surplus commerciale!
Quant à Deutsche Bank, de même il manque quelques étapes pour passer de:
mauvais bilan de Deutsche Bank + surplus commerciale allemand -> mauvais bilan de Deutsche Bank dû au surplus commerciale allemand.
Article baclé.
Elle vit comme un petit pays neutre (cf Suisse) sur le plan de l'engagement direct à l'international sauf à dire qu'étant dans l'Union Européenne elle fait entendre sa voix.
C'est un peu facile de se cacher derrière son passé déjà lointain , sa contribution aux opérations militaires approuvées par l'Europe devrait en être d'autant plus importante dans leurs financements.
Sa réforme doit aussi être sur ce plan.
Je partage le même sentiment que vous, Markus.
Moi-même, franco-allemand, ça commence à devenir exaspérant à force!
Bien sûr que la France et les français ne savent que critiquer : mais quand on réussit on est voué à être critiqué par les uns et les autres...
Je suis bien déçu par cette attitude! Nous n'avons pas de leçon à donner à la France, car nous aussi avons nos défauts et tout n'est pas rose en Allemagne. Il faut bien rester lucide tout de même!
Mais pourquoi les français passent-ils leur temps à râler, jalouser et pleurnicher sur les autres? La France a ses qualités, mais sa population les voient-elle [encore]? Je suis fonctionnaire en France et il faut le dire, la fonction publique française n'a rien à envier à l'allemande, par exemple!
Quand je lis comment les gens attaquent VW et disent "haha le made in Germany", qu'ils attendent de voir si les mensonges de tricherie se découvrent chez les cosntructeurs français ou anglais ...
La seule lecon que peut vraiment nous donner Romaric, c'est effectivement comment depenser un tas d'or. Pour depenser l'argent des autres, il est competent et toujours partant.
Laissons Romaric divaguer, il ne fait guere de mal
Allons au bout du raisonnement, c'est l'€ qui n'est pas viable ...
Une population qui épargne parce qu'elle vieillit aura naturellement tendance à renforcer sa monnaie, d'autant plus quand on peut exporter de qualité qui sont demandés dans le monde entier.
Un pays qui produit des excédents (commerciaux ou budgétaires) a des marges de manoeuvre et des alternatives de politiques économiques, un pays qui accumule les déficits n'en a aucune...
@@bruno : la triche de VW est inexcusable, reste que VW sait quand même transformer le plomb en or ; exemple Seat, qui n'était dans les années 80 qu'un assembleur de Fiat sous licence et en très grande difficulté et que VW a transformé en une véritable marque offrant une gamme très séduisante, idem pour Skoda qui n'avait en 1990 qu'une gamme réduite à un seul modèle complètement obsolète et qui est devenu un constructeur ayant une vaste gamme superbe, très bien placée en prix-performance et qui remporte un grand succès (et dégage un plantureux bénéfice), alors que Renault avait seulement proposé au début des années 90 à Skoda de devenir simple assembleur de la Renault 19 Chamade... Renault s'est bien gardé de reproduire la même erreur pour reprendre Dacia avec le succès que l'on sait.
Faites déjà de l'ordre en France et après on va voir, c'est juste une question de crédibilité.
Voilà un article très intéressant qu'aucun média français a trouvé nécessaire à transmettre au lecteur:
http://www.handelsblatt.com/unternehmen/handel-konsumgueter/neuer-personalchef-der-pruegelknabe-von-air-france-wird-abgeloest/12420244.html