La devise européenne est à nouveau passée en dessous du dollar, lundi. Elle a reculé de 0,25% à 0,9929 dollar vers 15h30 après avoir chuté jusqu'à 0,9878 dollar, son plus bas depuis décembre 2002, année de sa mise en circulation. Une parité qui n'avait pas bougé ce mardi après-midi. Pour rappel, en juillet dernier, l'euro avait déjà créé l'émoi en tombant à 0,9998 dollar. Depuis, les aller-retours en dessous du billet vert se multiplient avec, à chaque fois, un nouveau record si bien que la monnaie européenne signe actuellemennt sa plus mauvaise performance annuelle depuis son lancement avec une baisse de 13% depuis le début de 2022.
L'euro peut-il donc encore tomber plus bas ? S'il est toujours difficile de faire des projections, pour Christian de Boissieu, professeur à l'université Paris 1 et vice-président du Cercle des économistes, l'heure n'est pas encore à la panique, rappelant qu'en octobre 2000, la devise européenne avait atteint 0,8230 dollar, niveau jamais égalé pour l'instant. « Nous n'y sommes pas encore », tempère-t-il. Selon lui, l'euro pourrait encore voir sa valeur baisser « un peu », tant que la crise énergétique continuera de menacer l'Europe. « L'un des trois facteurs de la baisse de l'euro par rapport au dollar est la dépendance énergétique des Vingt-Sept quand les Etats-Unis parviennent à être indépendants à tel point qu'ils exportent de l'énergie. Ce qui rassure les marchés par ailleurs inquiets de la situation en Europe et fait monter la devise américaine quand celle européenne en pâtit », analyse-t-il. C'est d'ailleurs l'annonce vendredi de l'arrêt complet du gazoduc Nord Stream 1 par le russe Gazprom qui a provoqué cette nouvelle chute de l'euro.
Pas de risque d'effondrement
Christian de Boissieu ne croit pas pour autant à un scénario comme en 2000 : « le rapport de force entre les Etats-Unis et la zone euro n'est pas le même. L'Europe, à l'époque, était plus fragile. Et malgré l'enjeu énergétique, elle a quand même des atouts ». Un point de vue partagé par Alexandre Laporte, directeur salle de marchés chez IbanFirst qui rejette toute idée d'un effondrement de l'euro voire même d'un retour à son plus bas en 2000. « Nous sommes partis de 1,20 dollar à la fin de 2020 pour atteindre environ 1 dollar actuellement. Pour perdre 0,20 centime il a fallu la guerre en Ukraine. Il faudrait donc un événement d'une même ampleur pour atteindre 0,80 dollar de nouveau », fait-il valoir. Selon lui, l'une des hypothèses la plus probable est celle d'un euro à 0,96 dollar à la fin de l'année 2022. « Cela aura un impact pour certains secteurs plus que d'autres mais les entreprises s'adapteront. C'est surtout cette période actuelle de volatilité qui est préjudiciable », analyse-t-il, témoignant de la forte inquiétude de certaines entreprises de voir l'euro chuter de nouveau.
Effet limité de la BCE
D'autant qu'un euro faible augmente le prix des importations et renforce donc l'inflation qui atteignait 9,1% en août sur un an dans la zone euro. Or la stratégie de la BCE pour tenter de lutter contre la hausse des prix risque d'avoir un effet limité. Depuis le mois de juillet, l'institution monétaire a, en effet, opéré un resserrement de sa politique monétaire destiné à lutter contre l'inflation galopante. Un premier relèvement des taux de 50 points de base a été mis en œuvre en juillet dernier et la BCE devrait se prononcer dans les prochains jours sur un second relèvement qui pourrait atteindre 75 points de base. Mais cette politique a peu de poids sur la flambée du prix des matières premières, tant de l'énergie que des céréales ou encore des métaux, provoquée par la guerre en Ukraine.
La remontée des taux européens reste, en outre, bien inférieure à celle de la Banque centrale américaine (Fed). En juillet, elle avait acté un relèvement de ses taux directeurs de trois quarts de point de pourcentage, comme lors de sa précédente réunion, tenue à la mi-juin. Il s'agissait alors de la plus forte hausse des taux aux Etats-Unis depuis 1994. « Même si la BCE augmente ses taux de 75 points de base, la Fed a pris plus d'avance, ce qui attire les capitaux. Cela joue depuis quelques mois et cela va continuer à avoir une incidence », prédit Christian de Boissieu. Néanmoins, rattraper la Fed aurait un impact très dommageable pour l'économie de la zone euro. Un durcissement trop fort de la politique monétaire entraînerait une récession.
Ce risque plane également sur les Etats-Unis dont les taux directeurs se situent désormais entre 2,25% et 2,50%. Un tel scénario pourrait renverser la tendance et affaiblir le dollar, réduisant l'écart avec la devise européenne. D'autant qu'un dollar surévalué peut devenir un poids pour le pays, car il rend les produits américains moins compétitifs puisque devenus plus chers. A titre d'exemple, la chute de l'euro par rapport au billet vert en 2000 avait entraîné une réaction conjointe des banques centrales du G7, motivée par la Fed. Elles avaient ainsi vendu massivement des dollars et acheté des euros pour faire baisser la valeur de l'un et remonter celle de l'autre. Elles sont toutefois encore bien loin d'envisager une telle opération.