« Une inflation non maîtrisée briserait la confiance en l'euro » Philippe Herlin

Alors que le coût de l'énergie a fait grimper cette semaine l'inflation à son seuil maximal fixé par la Banque centrale européenne, l'économiste au Cnam Philippe Herlin estime que cette hausse n'est pas seulement liée à la remontée conjoncturelle du prix du pétrole, mais bien aux coûts de la transition énergétique qui alourdissement la facture des citoyens. Ce spécialiste du pouvoir d'achat s'inquiète également de la pression des investisseurs sur les matières premières qui se réfugient dans les actifs réels comme le blé face à l'incertitude générée par la création monétaire massive de ces derniers mois.
(Crédits : Lawrence Bryant)

LA TRIBUNE - L'inflation en zone euro, qui a atteint 2% sur un an, est poussée par la flambée des prix de l'énergie (+13%). Comment l'expliquez-vous ?

PHILIPPE HERLIN - Ces hausses s'inscrivent dans un contexte de remontée des prix des matières premières, à commencer par celui du pétrole. Début juin 2021, le prix du baril est à environ 70 dollars, contre 35 dollars un an auparavant. Mais cette progression est à remettre dans une perspective plus longue et plus structurelle. Elle s'explique notamment par la transition énergétique menée à marche forcée. Le basculement des sources d'énergies fossiles (pétrole, gaz) vers les sources dites vertes est sans doute le facteur le plus profond et déterminant à cette flambée. En dépit des subventions et des investissements importants, les coûts de production de l'énergie à partir des sources solaire ou éolienne restent très élevés et moins compétitifs que ceux des fossiles. Le coût de ce changement de modèle d'approvisionnement énergétique se retrouve dans la facture d'électricité. Celle des Européens (Allemands et Français en tête) ne cesse de progresser, participant donc à l'inflation. Entre 2010 et 2020 en France, un ménage moyen chauffé à l'électricité au tarif réglementé de vente a vu sa facture annuelle passer de 1.019 euros à 1.522 euros.

L'ONU a annoncé jeudi un bond de 40% sur un an des prix alimentaires mondiaux, un plus haut depuis 10 ans. Quelles sont les conséquences attendues ?

Au regard des plans massifs de soutien et de relance, aux États-Unis et en Europe, les investisseurs, peu friands de l'emballement autour de la création monétaire, se réfugient sur les actifs réels, comme les céréales. Ces matières premières sont des actifs concrets face à l'incertitude que pourrait engendrer le fonctionnement sans précédent de la machine à billets. Il faut aussi noter que la Chine a acheté de nombreux produits afin de renforcer ses stocks. Enfin, le redémarrage de l'économie mondiale a créé un goulet d'étranglement. Il fallait des matières premières pour relancer les usines. Cette demande simultanée, aux quatre coins du monde, a conduit à une pression à la hausse sur les prix, sans oublier que le transport maritime, face à la demande croissante de flux, a lui aussi augmenté ses prix.

Pour les ménages français et européens, cette progression des prix alimentaires ne sera pas un problème majeur dans la mesure où ce poste de dépense reste faible dans leur budget, contrairement au logement. C'est toutefois un élément supplémentaire qui se rajoute aux diverses augmentations des prix, comme celui de l'énergie. L'inquiétude est au contraire réelle dans les pays émergents. Rappelons que la hausse des prix, particulièrement ceux de l'alimentation, ont déclenché le Printemps arabe en Tunisie fin 2010.

Dans ce contexte, la Banque centrale européenne (BCE) dit vouloir maintenir sa politique monétaire volontariste. Que vous inspire cette prise de position ?

Les banquiers centraux assurent que cette situation est temporaire. Ils estiment avoir les outils pour maîtriser l'inflation. Mais attention : la hausse des prix n'est pas seulement une question de chiffres, c'est surtout une problématique de confiance en la monnaie. Certes, cette confiance ne sera pas détériorée si l'inflation se stabilise autour de 5%. Mais que se passera-t-il si elle s'emballe et que les mécanismes de la BCE ne sont pas efficaces pour la juguler ? La situation actuelle est dangereuse. Le financement actuel des États sur les marchés - achat des dettes souveraines par les investisseurs privés qui les revendent ensuite à la BCE - ne me semble pas être une menace à court terme. Mais, à un moment, il faudra bien que l'institution centrale trouve des acheteurs à toutes ses créances. Or, si la confiance en l'euro est entamée avec une inflation galopante, qui voudra acquérir ces actifs ?

Commentaires 4
à écrit le 06/06/2021 à 23:32
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Pas besoin de boule de cristal ...allez France en 2025 augmentation de l'électricité de 20 % / 2021...invoquant la construction de nouvelles centrales nucléaires à construire , d'autres à démanteler jamais mises dans le budget de l'état et roule jeun...

à écrit le 05/06/2021 à 9:20
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La confiance des marchés financiers du monde entier hein et pas la confiance des citoyens européens qui eux ne l'ont plus depuis belle lurette confiance envers l'Euro ce truc qui nous aura tant fait de mal.

à écrit le 04/06/2021 à 23:16
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Une inflation de 100% sur quelques années serait une bonne chose. Ça permettrait au contraire de faire baisser l’endettement non maîtrisé de la zone euro et de redistribuer les richesses. Les revenus du travail reviendraient à des niveaux plus confor...

à écrit le 04/06/2021 à 21:56
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Coquille "mais bien aux coûts de la transition énergétique qui alourdissement la facture des citoyens." alourdissent

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