Il faut parfois emprunter le quai 9 ¾ des sorciers d'Harry Potter pour prendre le train de Bâle 4 (ou finalisation de Bâle 3 dans le jargon des régulateurs). Esotérique pour les profanes, la réforme de Bâle 3, ce paquet de règles prudentielles qui régit les banques internationales pour renforcer le système financier, se poursuit dans les méandres de sa transposition européenne.
Selon nos informations, la Commission européenne devrait rendre sa proposition législative de transposition -avant son examen par le Parlement européen-en octobre prochain. Initialement, elle devait le faire en juin dernier avant de reporter l'échéance. Un retard justifié par la crise sanitaire alors que le temps presse. En principe, les nouvelles règles complétant Bâle 3 doivent être mises en œuvre au 1er janvier 2023 (au lieu du 1er janvier 2022 prévu initialement), pour une application complète en 2028. Mais, malgré le report d'un an obtenu au nom de la crise sanitaire, beaucoup de parties prenantes estiment aujourd'hui qu'il sera très difficile, voire impossible, de tenir le calendrier.
20% de fonds propres additionnels
L'enjeu est pourtant crucial pour les banques, notamment françaises. Selon les toutes dernières estimations, la dernière mouture de l'accord du Comité de Bâle de décembre 2017, pourrait contraindre les banques françaises à augmenter de plus 20 % leurs fonds propres. C'est donc près de 70 milliards d'euros de fonds propres supplémentaires qui devront être mobilisées en moins de deux ans. Pour l'ensemble des banques européennes, la facture s'élève à 350 milliards d'euros de fonds propres durs (CET1) supplémentaires.
Le dernier stress test de la BCE, fin juillet, sur un scénario encore plus catastrophique que celui de 2008, a en effet montré que toutes les banques françaises sont suffisamment capitalisées pour affronter la pire crise et préserver leur ratio CET1 au-dessus du seuil des 10% (Société générale exceptée). Il faut dire que les banques ont quasiment doublé leurs fonds propres « durs » depuis la crise financière de 2008, qui s'élèvent, à la fin 2020, à 372 milliards d'euros, selon l'ACPR.
Pourtant, le mandat confié en 2016 par le G20 au Comité de Bâle, qui réunit les superviseurs bancaires de 27 pays, repose sur l'idée d'une réforme sans augmenter « significativement » le niveau des fonds propres exigé. Personne n'a cru bon de préciser le « significativement » mais un consensus s'accorde à le fixer à 10%.
La fin du même risque, même pondération
Cette réforme visait, après tout, une refonte méthodologique, pour notamment réduire l'écart qui pouvait exister, sur le calcul des ratios, entre les modèles « standard » et les modèles internes des grandes banques (pourtant encouragés par le Comité de Bâle depuis 2004).
Mais, comme le diable se trouve toujours dans les détails, ce souci d'homogénéisation et de transparence a accouché de mécanismes complexes, qui s'écartent du principe de base de la réglementation « même risque, même pondération pour tous » et qui s'avèrent fortement pénalisants pour les activités de banque de détail. C'est le cas notamment du fameux « mécanisme de plancher » (output floor) qui représente, à lui seul, près de la moitié de l'impact négatif sur les fonds propres des banques françaises.
Ce mécanisme impose aux modèles internes des banques « une taxe » en capital pour compenser leur supposé bénéfice excessif tiré des modèles internes, même si ces modèles sont validés chaque année par le superviseur et font l'objet de surcroit d'un examen approfondi de deux ans par la BCE dans un exercice appelé TRIM.
Haro sur le crédit immobilier
Le problème est que cette surcharge en capital n'est pas appliquée de façon uniforme sur toutes les activités, ni dans tous les pays, notamment les Etats-Unis. Au final, certaines activités peu risquées voient leur facture en capital s'alourdir deux à trois fois, alors que d'autres activités plus risquées, seront moins sujettes à une surcharge.
Ainsi, par exemple, la pondération moyenne d'un crédit immobilier en France, selon un modèle interne, est de l'ordre de 10% % contre 25% pour un modèle standard, ce qui donne une hausse de 250% du ratio moyen qui devra être désormais appliqué.
En revanche, sur les grandes entreprises, la pondération moyenne, selon un modèle interne, est de 48% contre 61 % pour le modèle standard, soit une augmentation de 28%.
Résultat inverse à l'objectif recherché
Le mix d'activité de la banque devient un déterminant particulièrement important, tout comme le mix des méthodes de mesure (standard et modèle interne). En gros, plus les activités sous un modèle standard sont importantes, et moins l'impact de l'output floor sera élevé. Ce qui paradoxalement se traduit par une majoration atténuée des activités de marché ou de crédit, mesurées réglementairement en méthode standard.
Au total, ce mécanisme induit de fortes différences entre les types de banques et les zones géographiques. Globalement, une banque de gros sera moins pénalisée qu'une banque de détail. Ce qui est, a priori, contre intuitif et montre sans doute, qu'à tout le moins, les mesures standards sur la banque de détail devraient être diminuées.
Ainsi, en France, BNP Paribas et Société générale, qui ont davantage de revenus diversifiés, notamment dans les activités de marchés, seront moins pénalisés par la réforme que le Crédit agricole ou le Crédit mutuel, plus focalisés sur les activités de détail, comme le crédit immobilier.
Quant aux banques américaines, elles ne seront pas concernées par l'output floor car elles ne conservent pas traditionnellement les encours de crédit immobilier dans leur bilan. Une fois de plus, dans la régulation financière, l'objectif initial de la réforme se perd dans les feuilles de calculs pour aboutir à l'inverse du résultat recherché.
Réduire la facture
Toute la question aujourd'hui est de savoir comment réduire la facture, et être finalement dans les clous de l'engagement du G20. Pour calmer les esprits, l'Autorité bancaire européenne (EBA) auprès de l'Union européenne (UE) a rappelé qu'il y avait deux façons d'appréhender la réforme : la « dure », soit une transposition stricte des recommandations du comité de Bâle ou, « la douce » qui permet de prendre en compte les spécificités européennes déjà présentes dans Bâle 3, comme par exemple, l'application d'une décote sur certains actifs pondérés, le crédit aux PME ou certains dérivés de crédit pour le compte des entreprises. Ce sont les « déviations européennes connues » par rapport à la ligne droite fixée par l'EBA.
« Cela nous fait gagner trois ou quatre points de pourcentage, tout au plus ! », se désespère un banquier français. « Nous ne sommes pas contre la réforme mais nous souhaitons simplement corriger ses points les plus contestables », poursuit-il.
L'un des leviers de négociations possibles dans cette dernière ligne droite concerne justement le mécanisme de plancher, l'objet de tous les maux. « Il suffirait de changer les pourcentages ou d'en limiter son impact maximum (par un cap par exemple), sans remettre en cause l'accord de décembre 2017 et le mécanisme plancher », résume un expert.
Ajustement du dispositif
Si les banques européennes se sont résolues à ne pas remettre en cause le fond de la réforme, elles plaident toujours pour des ajustements. Cela peut passer par le chiffre magique de 72,5%, après deux années de négociation, une décote appliquée aux résultats des modèles standard sur certaines activités de marché ou de crédit (les européens réclamaient 50% et les américains aucune décote). Ce taux de compromis pourrait être ainsi diminué, au moins dans un premier temps, pour limiter l'impact de la réforme.
Mais cela peut passer également par la communication de deux ratios de solvabilité : le premier après impact de l'output floor pour vérifier le respect de l'exigence minimale de fonds propres et le second, tel qu'il est publié actuellement.
Et c'est sur la base de ce dernier que sera évalué la gestion des banques, et notamment leur capacité à distribuer des dividendes. De fait, juridiquement, rien n'oblige une banque à mobiliser plus de fonds propres que les exigences réglementaires. Mais c'est une autre affaire pour les marchés et les agences de notation.
Des régulateurs inflexibles
En tout cas, les banquiers ne peuvent plus espérer un geste de la part des régulateurs européens. Ces derniers se montrent en effet inflexibles. En novembre dernier, la BCE a fermement campé sur ses positions en exigeant que la réforme soit mise en place « complètement », pour « longtemps » et selon le calendrier prévu.
Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a rappelé, en mai dernier, devant la commission, des finances de l'Assemblée nationale, sur un ton ferme qui a surpris les banquiers eux-mêmes, que les accords de Bâle devaient être mis en œuvre et que ces « nouvelles règles ne remettront pas en cause le financement de l'économie ». Fermer le ban.
En substance, le message pour les banques est clair : la finalisation de Bâle 3, c'est déjà du passé, il est temps de passer à autre chose.
Cap sur le trilogue
Les banques misent donc désormais sur le Parlement européen pour atténuer l'impact de la réforme. Avec un argument massue : plus de fonds propres, c'est moins de crédits pour financer la reprise économique. Sans compter l'effort demandé au système bancaire en matière de financement de la transition énergétique.
De plus, les effets de la crise ne sont pas encore manifestés sur les bilans bancaires mais une montée des risques est attendue à partir de 2023, lorsque toutes les mesures de soutien à l'économie auront été débranchées.
Alors que ces nouvelles règles sont en discussion depuis 2015, leur finalisation est loin encore d'être aboutie. La version de la Commission européenne devra donc être examinée par le Parlement européen mais aussi par le Conseil européen qui ont chacun la capacité d'amender le texte.
Car, après cette phase de trilogue, la Commission, le Parlement et le Conseil devront se mettre au tour d'une table pour trouver un texte de compromis, sachant que, in fine, c'est bien le Parlement qui tranchera sur ce dossier sensible.
Cela promet de longs débats car les intérêts des banques européennes ne sont pas forcément convergents et le secteur bancaire peut être un sujet à polémiques. « Nous sommes plutôt au début d'un processus qu'à la fin », avance cependant un banquier. En espérant, sans doute, que les politiques soient plus à l'écoute que les régulateurs.
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