« La Tech a été traitée comme un risque systémique » (Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française)

ENTRETIEN. Gardez son sang-froid : tel a été le message des autorités bancaires françaises face à la crise qui a secoué en dix jours tout le secteur aux Etats-Unis et en Europe. Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française, revient pour La Tribune sur les origines de cette crise et sur les enseignements qu'il est possible d'en tirer pour l'avenir.
Pour Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), le modèle bancaire français diversifié a fait la preuve de sa solidité.
Pour Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), le modèle bancaire français diversifié a fait la preuve de sa solidité. (Crédits : LT / Marthe Lemelle)

LA TRIBUNE- Les difficultés d'une banque californienne ont déclenché une tornade sur le secteur bancaire américain et européen, avec notamment une opération de sauvetage du Crédit Suisse par UBS ? Quels sont les enseignements que vous tirez de ces évènements ?

MAYA ATIG- Comme vous l'avez souligné, il y a eu un événement américain qui résulte du modèle d'affaires d'une banque centré sur un secteur, celui de la Tech. C'est donc une banque d'un écosystème bien particulier, avec des risques très concentrés, et qui bénéficiait d'une surveillance allégée, y compris par rapport à ses concurrentes sur le même territoire. Je tire donc à ce stade deux enseignements : la réglementation bancaire est bien utile mais le fait que les règles ne soient pas appliquées partout de la même manière pose problème. A y regarder de plus près, la banque californienne a peu de choses en commun avec une banque européenne, que ce soit sur les effets de seuil, le risque de taux ou la gestion actif/passif. Même concernant Credit Suisse, il existe des différences juridiques entre les titres suisses et ceux de l'Union européenne. Nous vivons toujours dans l'idée qu'il existe des règles internationales appliquées partout alors que finalement seule l'Europe les applique, et généralement, de façon plus stricte.

Il y a quand même quelque chose de choquant dans l'histoire de Silicon Valley Bank (SNB) : c'est le comportement des clients qui ont effectué des retraits massifs en quelques heures depuis leur téléphone mobile. Un tel scénario de « swipe krach » est-il possible en France ?

Cette affaire américaine montre surtout que la Tech a été traitée comme un risque systémique par les autorités. Le scénario aurait peut être été différent pour une banque spécialisée dans un autre secteur ou qui aurait une clientèle plus diversifiée, sans le même modèle d'affaires, ni le même mode de fonctionnement. Peu de sociétés ont en réalité l'équivalent de trois, quatre ou cinq années d'exercice sur leur compte en banque. Mais c'est un fait que la Tech fonctionne comme cela, en consommant beaucoup de capitaux pendant des années avant d'espérer atteindre un cash-flow positif, sinon une rentabilité. Perdre la trésorerie, c'est effectivement perdre la condition même de l'existence de nombre d'entreprises, startups comme de grands acteurs qui avaient déposé plusieurs milliards de dollars. C'est la concentration de ce modèle dans une même banque qui menaçait de s'effondrer et que les autorités américaines ont voulu couvrir avec une garantie des dépôts, une mesure exceptionnelle dans leurs règles de résolution.

Existe-il un risque de contagion, une menace pour la stabilité financière en Europe ?

C'est avant tout un sujet américain. Mais il doit aussi rappeler que la proportionnalité des règles ne doit pas permettre à certains acteurs de s'affranchir de règles de base de gestion, comme le risque de taux. Le sauvetage hors norme de la banque californienne doit susciter une réflexion sur la régulation au quotidien de ces banques. Il y a toujours la tentation de dire que l'on peut s'affranchir de certaines règles quand on est de taille modeste. Ce n'est pas notre vision en France et en Europe. La profession bancaire a toujours plaidé pour avoir des règles identiques pour tous car nous avons toujours estimé que l'actif essentiel d'une banque est la confiance. Mais si la réglementation est un élément qui sécurise, elle ne peut à elle seule garantir la confiance. Cette dernière repose aussi sur le modèle d'affaire de la banque, sur la relation qu'elle entretient avec chacun de ses clients. En ce sens, le modèle bancaire relationnel et diversifié est un gage de stabilité.

Finalement, aujourd'hui, les banques françaises se félicitent de l'application des règles prudentielles de Bâle 3 qu'elles ont pourtant longtemps critiquées....

Ce que nous avons beaucoup critiqué est l'écart avec les Etats-Unis. Les règles de Bâle ont été calibrées sur le modèle bancaire américain, qui est fondamentalement différent de celui des banques européennes, et généralement, avec un profil de risque plus élevé. Du coup, ces règles nous font évaluer certains risques, comme le crédit immobilier, de manière inappropriée. Mais nous constatons que ces règles d'inspiration anglo-saxonne ne sont même pas appliquées par toutes les banques américaines ! Mais ce sentiment parfois manifesté de « surréglementation », il y a aussi ce sentiment qu'elle génère trop de décisions de gestion de façon mécanique, quitte à réduire la capacité de jugement d'une banque. Il faut continuer la discussion car ce n'est pas tant le niveau de réglementation qui pose problème que la manière dont le dialogue se noue avec le superviseur.

Les marchés se sont calmés ces derniers jours, notamment sur le secteur bancaire. La crise est-elle terminée ?

Que les marchés se stabilisent après une période de très forte volatilité, c'est finalement assez classique. Rappelez-vous les remous générés par le Brexit qui ont finalement duré trois jours alors que les marchés anticipaient une crise au long cours. De même, lors de l'élection de Donald Trump, les turbulences ont duré une journée. Une fois que les informations sont réellement digérées par le marché, il y a des effets stabilisateurs qui jouent avec le retour d'une certaine rationalité. Peut-être aussi que certains ont agi dans la panique par un manque d'habitude par rapport aux crises. A la grande différence de 2007, nous vivons dans un monde où il y a toujours beaucoup de liquidités, bien distribuées dans les banques centrales, les gestionnaires d'actifs et les entreprises. Tous ces acteurs ont la capacité de garder la tête froide et de ne pas prendre de décisions inattendues pour les investisseurs. Et c'est parce qu'il y a beaucoup de liquidités que certains investisseurs regardent ces turbulences comme des opportunités.

Les banques centrales devront-elles choisir entre la stabilité financière ou la lutte contre l'inflation et continuer à monter les taux ?

Les banques centrales ont l'habitude d'articuler plusieurs objectifs à la fois, qui ne sont d'ailleurs pas toujours les mêmes d'une zone à l'autre. Ensuite, elles réfléchissent aux effets que ça peut avoir, avec une inconnue qui est toujours la réaction des marchés. La BCE a pris une décision sur la hausse des taux qui est certainement la décision qu'elle aurait prise il y a quinze jours. Elle donne ainsi le signal que la lutte contre l'inflation reste une priorité mais aussi qu'elle estime le secteur bancaire suffisamment sain pour poursuivre sa politique. Nous sommes dans une phase où les banques centrales mais aussi les autorités macroprudentielles cherchent à freiner le crédit. Les banques centrales sont soucieuses de la stabilité des décisions qu'elles prennent, pour éviter de se contredire elles-mêmes. Mais elles sont aussi capables, et c'est très important, d'agir vite et de manière coordonnée quand il y a un événement imprévu.

Redoutez-vous une chute de la production de crédit ?

Notre intention est de continuer à financer sainement l'économie. Je note d'ailleurs que la demande de crédits des entreprises reste forte, ce qui est plutôt positif. Face aux enjeux de transition des prochaines années, l'investissement peut être un soutien à la croissance. Les besoins de financement sont colossaux et c'est important de garder ce cap à l'esprit. En revanche, sur les ménages, la demande de crédit immobilier s'effrite. Nous sommes actuellement sur une production de l'ordre de 15 milliards d'euros par mois, ce qui est nettement moins que l'an dernier, supérieur à 20 milliards par mois, mais qui reste à un niveau relativement élevé, que l'on connaissait en 2018 par exemple. C'est normal que les ménages manifestent un certain attentisme sur leurs projets. Les règles d'octroi des banques n'ont pas changé mais elles appliquent en plus un filtre imposé par les autorités macroprudentielles, qui change la donne pour certains ménages. Certes, le niveau de production reste soutenu mais la dynamique du marché immobilier a profondément changé. Ce que ne mesurent pas les chiffres, ce sont les changements de projets que les ménages ont dû faire, soit en réduisant la surface, soit en s'éloignant de plusieurs kilomètres.

Comment voyez-vous la suite de tous ces évènements ?

L'essentiel, ce sont tous les messages des autorités sur la qualité et la stabilité du secteur bancaire en Europe, le fait qu'ils soient bien surveillés, transparents... Je pense que cela permet de dégager l'horizon. Les analyses financières vont sans doute davantage se pencher sur des sujets qui ont toujours existé, comme le risque de taux ou le ratio de liquidité, mais surtout la diversité des modèles bancaires. Nous avons en France un modèle très solide, car très diversifié dans la banque de détail, la banque d'investissement, la gestion d'actifs, et très diversifié aussi dans ses sources de liquidités. C'est le vieux proverbe selon lequel on ne met pas tous ses œufs dans le même panier. A un moment donné, la rationalité revient et les fondamentaux reprennent leur place.

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