
Beaucoup d'efforts pour pas grand-chose. Le projet de directive de la Commission européenne de révision de la réglementation bancaire, dite Bâle 3 (ou Bâle 4 selon les banquiers), qui est dévoilé ce mercredi, n'apporte finalement pas de grandes modifications par rapport au texte arrêté par les régulateurs européens en décembre 2017. Et ce, au grand dam de la profession bancaire.
« C'est une première étape, moins pire que prévu », se rassure néanmoins un banquier, pour qui cette nouvelle réglementation prudentielle consiste toujours à « transformer une Jaguar en Twingo pour franchir la montagne ».
La principale surprise du texte tient finalement dans son calendrier d'application. La Commission retarde de deux ans son entrée en vigueur, à partir du 1er janvier 2025, au lieu du 1er janvier 2023 (déjà décalé d'un an pour cause de Covid). Mais les régulateurs européens restent très réservés sur ce nouveau délai. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, avait d'ailleurs manifesté plusieurs fois son impatience en public.
« Le calendrier prévu était de toute façon impossible à tenir alors que les négociations doivent commencer au Parlement européen, puis au Conseil européen, d'autant que le texte de la Commission intègre tout un volet ESG (environnement, sociétal et gouvernance) qui promet d'être savoureux », commente une source bancaire auprès de La Tribune.
Sur les grandes lignes de cette directive, dont une mouture quasi-définitive circule depuis une semaine, rien ne bouge sur les principaux points de crispation.
Trois points de crispation
Un, les banques devront désormais gérer deux systèmes de modèles, un système interne pour les risques et un système « standard » pour le calcul des ratios de solvabilité. Une sorte de retour en arrière, avant la mise en place de Bâle 2 qui prônait les modèles internes des banques.
Deux, « le mécanisme de plancher » (output floor), censé compenser les avantages supposés des modèles internes (pourtant soumis chaque année à l'audit des régulateurs), et dont les banques américaines seront en pratique exemptées, reste la règle. Pour mémoire, ce mécanisme représente, à lui seul, près de la moitié de l'effort financier supplémentaire demandé aux banques. Trois, l'impact de la réforme reste toujours aussi pénalisant pour les activités de banque de détail, en particulier pour le crédit à l'habitat.
Au total, la facture sera toujours aussi salée pour les banques européennes, même si la Commission européenne soutient que l'impact (à la hausse) sur les emplois pondérés (et donc sur les fonds propres supplémentaires exigés à périmètre constant) sera limité entre 6,4% et 8%. Soit un niveau inférieur aux 10% souhaités (de façon informelle) par le G20 de 2016 qui a lancé l'idée de cette réforme.
Un impact plus proche de 20%
Cette fourchette estimative de l'impact en fonds propres est vivement contestée par les banques. Tout d'abord parce que la Commission estime qu'il n'y pas d'impact sur les banques qui affichent déjà des fonds propres excédentaires par rapport au minimum exigé après la mise en œuvre de la réforme. Et ensuite parce que la Commission raisonne en moyenne du secteur alors que ce sont les grandes banques européennes qui seront le plus touchées par la nouvelle directive.
Des études menées par la profession bancaire sur les plus grandes banques (banques systémiques) tablent sur une hausse de 20 à 25% des emplois pondérés, qu'il faudra bien compenser soit par une réduction des crédits, soit par une augmentation des fonds propres (augmentation de capital ou émission de titres subordonnés), soit par une baisse des dividendes. Au pire aussi, par une baisse généralisée des ratios de solvabilité, après quinze ans d'efforts pour les maintenir à des niveaux élevés en Europe. Selon une estimation du Trésor, cet impact négatif serait de plus de 20% pour les seules grandes banques françaises. Soit une facture de 70 milliards d'euros. Et 350 milliards d'euros pour l'ensemble des banques européennes.
Et selon un chiffrage effectué en septembre 2021 par le régulateur européen (EBA), sur un échantillon de 84 banques et sur la base méthodologique de décembre 2020, les résultats montrent un impact de 14,5% en décembre 2020, mais de 22% pour les banques systémiques.
De timides avancées
Certaines mesures ont cependant été prises par la Commission européenne pour corriger les excès de la mouture de la réforme. Il s'agit pour l'essentiel de l'application du mécanisme de plancher au niveau du groupe consolidé en permettant cependant à certaines filiales logées dans d'autres pays européens, comme le Luxembourg, de l'appliquer également. C'est un plus pour les groupes mutualistes en France, par nature décentralisés.
Autre avancée qui devrait également soulager les banques françaises : l'impact sur le crédit immobilier devrait être sensiblement réduit car la Commission européenne a accepté le principe d'une moindre pondération en prenant acte de la pratique du double recours sur le crédit (à la fois sur le bien et sur la personne en cas d'impayé). « Le nouveau texte risquait de doubler la charge en capital du crédit immobilier et finalement, cette surcharge pourrait être limitée à 40 ou 50% », estime un banquier, dans une première analyse du texte.
Les banques françaises ne désespèrent pas d'ailleurs d'alléger encore la facture en mettant en avant le très faible coût du risque d'un crédit immobilier en France (moins de 0,1%). Enfin, la Commission européenne renvoie la question des financements structurés, lourdement pénalisés, à la sagesse de l'EBA qui pourrait éventuellement assouplir les règles.
Pour les banques, le dernier espoir de modifier encore les lignes du texte reposera sans doute au niveau du Conseil européen, plus que sans doute au Parlement. La bataille de Bâle 3 n'est donc pas terminée.
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