Faux placements sur Internet : un fléau d'au moins 1 milliard d'euros

De plus en plus d'épargnants se font plumer sur le Web, par mail ou par téléphone par des sociétés proposant des investissements à rendements mirifiques. Les pouvoirs publics appellent à la vigilance.
Delphine Cuny
(Crédits : Fotolia)

« Tout semblait parfaitement fonctionner, il y avait une ambiance de salle de marché, un secrétariat, une comptabilité... », confie Alain, retraité de 68 ans, qui se décrit comme « un peu joueur. Par le passé, j'ai boursicoté, j'ai fait de l'immobilier, je prenais déjà des risques avec la Bourse. » Pas étonnant dès lors qu'il ait « mis les pieds dans les cryptomonnaies ». Du moins, c'est ce qu'il pensait. Il effectue un premier virement et teste la réaction de la société en demandant un remboursement : « Dans les six jours, je recouvrais mes 3 000 euros », raconte-t-il. Mis en confiance, il effectue jusqu'à huit virements. Mais lorsqu'il demande un remboursement beaucoup plus important, 30000 euros, il n'a plus personne au téléphone : « C'était le black-out pendant quelques jours. » Puis l'affaire prend une autre tournure : il est contacté par une personne se disant de l'administration fiscale britannique, qui lui réclame « 35300 euros pour recouvrer tous mes achats et tous les bénéfices ! » Puis la note descend à 10000 euros, puis à 5 000 euros. « Là, j'ai compris que c'était une bande organisée », témoigne le retraité.

Des sites à l'aspect professionnel

L'Autorité des marchés financiers (AMF) lui a confirmé que la société n'existait pas. La mésaventure d'Alain ressemble beaucoup à celle de Myriam, « arnaquée au bitcoin ». Cette retraitée vivant en région parisienne avait aussi « l'habitude d'investir dans des placements financiers, y compris risqués. Je sais que si je veux avoir un minimum de rendement, il faut accepter une dose de risque. Mon objectif c'était de conserver mon épargne », alors que sa retraite n'évolue pas et que les prix augmentent. Les cours des cryptomonnaies aussi augmentent, beaucoup. Elle est tentée. « Ce qui m'a donné confiance dans cette société c'est qu'ils étaient très professionnels : leur site, leurs documents, leur façon de parler », observe-t-elle. Elle a la même prudence qu'Alain : elle demande un remboursement, qu'elle obtient tout de suite. « Je n'ai pas compris à ce moment-là qu'ils me rendaient l'argent pour que j'en investisse beaucoup plus » analyse-t-elle avec le recul. Elle ne flaire l'arnaque qu'en voyant le nom de la société figurer sur une liste de sites frauduleux. Quand elle a demandé à récupérer son argent, « je n'ai plus eu du tout de nouvelles. Je savais que c'était terminé. » Elle a porté plainte et contacté un avocat.

Ces escroqueries aux faux placements sur Internet sont en plein essor et s'industrialisent, dans un contexte de taux bas où les placements classiques offrent de faibles rendements. « C'est un fléau qui engendre des pertes considérables pour les épargnants », s'est ému le président de l'AMF, Robert Ophèle, lors d'un appel à la mobilisation sur le sujet, le 17 septembre. Ce sont au moins 1 milliard d'euros de pertes financières subies par les épargnants français entre le 1er juillet 2017 et le 30 juin 2019, selon l'estimation du gendarme des marchés, d'après les flux constatés vers des comptes suspects identifiés dans le cadre d'enquêtes.

Lire aussi : Les arnaques financières deviennent un phénomène industriel

Les cryptomonnaies ne sont qu'un exemple parmi d'autres. Concentrées sur le Forex, le trading sur le marché des changes non régulé, ces arnaques ont « surfé sur les tendances du moment » comme les diamants, les forêts, les terres rares, les vins, et même les cheptels ! Des sites proposent en effet d'« investir dans les vaches laitières avec un rendement de 6 % à 12 % garanti sous contrat », sur fond de bovins paissant paisiblement. Il n'y a en réalité ni vache, ni veau, mais que du vent. Les pertes peuvent être « faibles, moyennes ou très importantes : nous avons eu le cas d'une victime qui a perdu 48 200 euros », a précisé le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz. Un octogénaire que les escrocs ont tourmenté pendant presque un an, pour rafler toutes ses économies, en faisant de la « retape », lui réclamant des impôts, des cautions, des timbres fiscaux, se faisant passer pour le fisc, l'autorité européenne des marchés, la Banque de France, etc.

Discours manipulatoires

Charolaise, diamant ou saint-émilion grand cru, le mode opératoire est toujours le même : « Le démarchage se fait par Internet, par mail, par téléphone, de manière insistante, depuis un numéro apparemment français, sans aucune rencontre physique. Ce sont des organisations très élaborées, opérées depuis l'étranger, avec de vrais call centers et des personnes formées aux discours manipulatoires », a décrit Rémy Heitz. « Le salarié du centre d'appels sera votre seul interlocuteur, une relation de confiance s'établira naturellement. Vous verserez d'abord des sommes modestes, entre 1000 et 5000 euros, vous pourrez même faire des retraits. Vous serez doublement en confiance », explique le commandant Florian Manet, chef de section de recherches de la gendarmerie en Bretagne, qui a multiplié depuis un an et demi les investigations judiciaires sur ce type d'escroqueries. « Quand vous allez essayer de récupérer votre patrimoine, on va vous opposer des raisons administratives, douanières, des problèmes spéculatifs. »

Vérifier les listes noires de l'AMF

Parfois, une nouvelle arnaque se met en place, sous la forme de menace (faux policier, magistrat ou banquier) ou de proposition d'aide pour récupérer les fonds (faux avocat ou agent de change). L'argent est envoyé vers des comptes en Europe avant d'être transféré rapidement vers des pays beaucoup moins coopératifs. « Quand l'argent est parti à l'étranger, il y a très peu d'espoir de le recouvrer un jour », admet le procureur de la République de Paris.

Les autorités recommandent donc la plus grande vigilance et appellent à avoir « le bon réflexe » : vérifier les listes noires et les blanches, les plus sûres, de l'AMF avant d'investir, en parler à des associations d'épargnants, à son conseiller bancaire ou financier. Que font les banques justement, quand les virements s'accélèrent et que la spirale se met en place ? Les autorités relèvent que les conseillers doivent naviguer entre le principe de non-immixtion dans les affaires, le respect de l'ordre donné et le devoir de vigilance, notamment en matière de lutte contre le blanchiment. Il y a également une certaine défiance des clients, alimentée par des discours affirmant que « les banques vous mentent et veulent garder votre argent », a observé le président de l'AMF. « La défiance est installée par les escrocs », selon le procureur de Paris. Qui sont ces escrocs ? « Ce ne sont pas forcément des personnes connues de la justice. Ces personnes parlent notre langue, il y a des binationaux », indique le parquet. Les enquêtes avancent mais « nous avons encore beaucoup de mal à mettre au jour ces réseaux » a convenu Rémy Heitz. Les numéros de téléphone sont volatils, les adresses Internet disparaissent, les escrocs utilisent des comptes bancaires « jetables » et s'échangent les fichiers, car « le nerf de la guerre c'est le fichier clients, ça s'achète ou ça se vole avec des hackeurs. » Sa recommandation : ne pas donner ses coordonnées téléphoniques et bancaires à tout-va.

Infographie H303 faux placements sur Internet

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Delphine Cuny

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Commentaires 4
à écrit le 08/10/2019 à 10:59
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La confiance se gagne quel qu'en soit la méthode tant que l'on possède une mémoire!

à écrit le 08/10/2019 à 10:53
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Il faut être fou ou très aventureux pour s'engager avec des interlocuteurs inconnus et virtuels, personnellement mes placements sont fait avec ma banque et des conseillers que je connais depuis presque l'enfance. Le reste aucune confiance, 99% de ch...

à écrit le 08/10/2019 à 10:23
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Les naifs, il y en a des palanquees. Faire des affaires sur le web est assurement fait pour les imbeciles.

à écrit le 08/10/2019 à 9:15
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"Les pouvoirs publics appellent à la vigilance." Autant dire que les "pouvoirs publics" sont complètement inexistants, à comparer avec leur incapacité à empêcher les démarches marchandes à la limite de l’escroquerie totale des call centers et j'e...

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