Audacieux : depuis le début de l'année, les grands groupes français se sont distingués en partant à l'assaut de concurrents à coups de milliards, montrant un appétit plutôt inhabituel en matière de fusions et acquisitions (M&A), dans presque tous les secteurs. Après Essilor et son mariage à 46 milliards d'euros avec l'italien Luxottica début janvier, puis le rachat de Zodiac par Safran pour 8,3 milliards dans la foulée, PSA a surpris avec celui d'Opel pour 2,2 milliards tandis que Suez a annoncé mercredi soir la reprise de GE Water pour 3,2 milliards d'euros.
[Les principales opérations de fusions et acquisitions annoncées par des acquéreurs français depuis janvier, selon Dealogic]
Selon le cabinet spécialisé Dealogic, c'est un démarrage record. Les « deals » engagés par des acquéreurs français depuis le début de l'année 2017 se situent à un niveau jamais vu depuis 2000, à plus de 49 milliards d'euros en date du 9 mars, l'acquisition de Luxottica comptant pour la moitié, soit 24 milliards. C'est 2,5 fois plus que l'an dernier à la même période et cela place les Français au troisième rang mondial, derrière les Américains et les Chinois, les acquéreurs les plus actifs.
[Les acquisitions menées par des acteurs français hors des frontières sont à leur plus haut niveau depuis 2000 en ce début d'année, selon le cabinet Dealogic]
Fenêtre politique avant les élections
Les acquisitions de cibles françaises sont en hausse moins marquée (+6% en valeur à 4,8 milliards) et les opérations franco-françaises en repli (-15% en valeur) à un niveau cependant élevé (15,3 milliards d'euros), avec, outre Zodiac, le rapprochement des deux foncières de la galaxie Carrefour, Carmila et Cardety.
Cette suractivité des groupes français s'explique à la fois par leur santé financière, des bilans nettoyés et des marges restaurées, par le contexte de taux encore bas qui rend l'argent peu cher et les valorisations boursières encore incitatives, et par la fenêtre de tir politique risquant de se refermer après les élections, qui pourraient s'accompagner de flottements ou même de turbulences sur les marchés.
« Certains groupes veulent absolument passer avant les élections », confie un banquier d'affaires.
Ce regain d'activité a surpris les professionnels.
« On aurait pu s'attendre à plus d'attentisme, un mois et demi avant l'élection présidentielle. Chaque opération répond à un "rationnel" différent, il n'y a pas de facteur unique d'accélération, mais de vrais besoins stratégiques de transformation », analyse Vincent Batlle, associé chez Deloitte, responsable du pôle transactions.
Chimie et pharma en tête
Les ténors du CAC 40 ne sont pas les seuls à l'offensive, les Américains sont aussi très actifs et le marché des M&A est en ébullition depuis le début de l'année. Les transactions de fusions et acquisitions ont atteint 559 milliards de dollars dans le monde (au 9 mars), en hausse de 9% par rapport à l'an dernier, selon Dealogic, alors qu'elles sont en chute libre en Asie. Aux Etats-Unis, les deals sur des cibles américaines ont bondi de 25%, ceux initiés par Corporate America à l'étranger de 40% en valeur, pour un total de 238 milliards d'euros.
Chaque jour ou presque, une nouvelle opération. Ce jeudi, dans le secteur de la chimie industrielle, le néerlandais Akzo Nobel a rejeté l'offre à 21 milliards d'euros de l'américain PPG Industries. Lundi, en même temps que PSA-Opel, les deux sociétés écossaises de gestion d'actifs Standard Life et Aberdeen ont annoncé des négociations en vue d'une fusion à 12,7 milliards d'euros.
[Les principales opérations de M&A en Europe annoncées cette année. Crédit : Dealogic]
Dans l'ensemble, en Europe, les volumes sont en léger repli, mais par rapport à un début 2016 particulièrement actif, renouant avec les niveaux d'avant la crise financière. En Allemagne, les opérations visant des cibles allemandes sont au plus haut depuis 2009, à plus de 20 milliards de dollars : il y a notamment l'offre du fonds Cinven sur le fabricant de médicaments génériques Stada Arzneimittel pour 3,5 milliards d'euros, concurrencée par celle d'Advent. C'est d'ailleurs dans la pharmacie que l'on trouve le plus gros "deal" annoncé depuis le début de l'année, l'OPA à 28,2 milliards d'euros de l'américain Johnson & Johnson sur le suisse Actelion qui court jusqu'au 30 mars. Et ce n'est peut-être pas fini.
« Nous allons voir des groupes européens se ré-intéresser aux Etats-Unis car c'est là que se trouve la croissance, et ensuite aux émergents, dans les pays en voie de stabilisation comme le Brésil », prédisait Kyril Courboin, le président de J.P. Morgan France, en début de semaine, juste avant l'annonce de Suez.
Du mouvement, il risque d'y en avoir dans au moins deux secteurs dans les mois qui viennent : la pharmacie, toujours, et l'énergie. « Sanofi doit faire quelque chose, après ses deux échecs sur Actelion et Medivation. Total aussi, dans un marché de l'énergie qui bouge », parie un spécialiste des M&A.
Du papier et de la technologie
Une des particularités de cette fringale d'acquisitions est que « les opérations se font beaucoup en papier [en actions, Ndlr], à l'image de Standard Life et Aberdeen, car les valorisations boursières sont élevées », analyse un banquier d'affaires.
Derrière ces opérations à coups de milliards, à la réussite souvent incertaine, il est aussi de petits rachats moins spectaculaires mais peut-être tout aussi stratégiques à long terme, les acquisitions de startups et de technologies, qui demeurent souvent « sous le radar ». Selon Guillaume Martinez, associé chez Deloitte,
« Certains acteurs industriels réfléchissent à des opérations proches de celles de GE, qui a dépensé plusieurs milliards dans des rachats tels que celui d'Arcam en Suède et celui de Concept Laser en Allemagne dans l'impression 3D. Pour l'instant, il n'y a pas eu de très gros deals, mais c'est une préoccupation récente que l'on retrouve chez beaucoup de dirigeants. »
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