Comment les fonds d’infrastructures s’adaptent à la révolution numérique

En l’espace de quelques années, Airbnb est devenu le premier « hôtelier » mondial, sans disposer pourtant du moindre actif immobilier. Une évolution qui oblige les fonds spécialisés dans le financement de parkings et autres infrastructures à repenser leur modèle économique.
Christine Lejoux
Indigo, numéro un du stationnement en France, a annoncé en novembre 2015 le lancement d'une plateforme Internet avec notamment un comparateur d'offres de parking et un service de réservation.

Mathias Burghardt ne s'offusquera pas si on lui fait remarquer qu'il travaille sur une classe d'actifs assez peu exaltante. Le responsable d'Ardian Infrastructure, le pôle de la société de capital-investissement Ardian (ex-Axa Private Equity), spécialisé dans le financement d'aéroports, de parkings et autres autoroutes, reconnaît volontiers que ce type de placement peut paraître « ennuyeux », aux yeux des investisseurs. Surtout quand on le compare au capital-risque, qui consiste à investir dans des startups avec, à la clé, un possible jackpot. Ou une perte... Loin de ces sensations fortes, l'investissement dans des infrastructures, caractérisées par des cash-flows stables, s'apparente à un bas de laine, qui, dans le cas des dernières générations de fonds d'Ardian Infrastructure, a délivré un rendement de 7%, bon an mal an. Mais le financement d'infrastructures est en passe de perdre son caractère « plan-plan », sous l'effet de la révolution numérique. « Les technologies innovantes vont changer la donne, en cassant les monopoles », prévient Mathias Burghardt.

Le patron d'Ardian Infrastructure, premier acteur du secteur en Europe avec 6 milliards d'euros d'actifs sous gestion, en veut pour preuve Airbnb. En l'espace de quelques années seulement, la startup américaine est devenue le premier « hôtelier » mondial, devant l'Américain Hilton et le Français AccorHotels, par le nombre de nuits vendues mais également en termes de capitalisation boursière. Et ce, sans détenir le moindre mur d'hôtel. Une ascension qui inquiète les propriétaires d'infrastructures. Celles-ci « ont longtemps été considérées comme un secteur monopolistique, protégé, avec une rente de situation. Les nouvelles technologies sont en train de changer totalement cela », explicite Mathias Burghardt.

Les parkings, un secteur en passe d'être « Airbnbisé ? »

Pour ce dernier, s'il est une catégorie d'infrastructures qui risque d'être à son tour « Airbnbisée », c'est bien celle des parkings. En effet, de la même façon qu'ils louent leur appartement lorsqu'ils le quittent pour partir en vacances, pourquoi les particuliers ne mettraient-ils pas aussi leur box en location ? Les particuliers mais également les sociétés privées, comme les hôtels, qui disposent de nombreuses places de parking inoccupées hors saison. Une fois ces offres mises sur le marché au moyen d'une plateforme Internet du type Airbnb, ce qui commence à être le cas, viendront les comparateurs de prix en ligne et les sites de réservation, à l'image d'Expedia et de Booking. Autant d'acteurs qui, comme dans l'hôtellerie, exerceront une pression sur les tarifs des sociétés traditionnelles de parking. Et, partant, sur la valorisation des portefeuilles de participations des fonds d'infrastructures.

C'est en commençant à s'intéresser au rachat d'Indigo (ex-Vinci Park), bouclé en février 2014, que l'équipe d'Ardian Infrastructure a pris conscience de cette nouvelle donne. « Serge Clémente, le PDG d'Indigo, nous a expliqué que l'entreprise devait devenir un hub de mobilité urbaine », raconte Mathias Burghardt. Concrètement, Indigo, numéro un du stationnement en France avec 50% de part de marché, a annoncé en novembre 2015 le lancement d'une plateforme Internet, qui comprendra un comparateur d'offres de parking, un service de réservation, ainsi qu'un service de location de voitures et de vélos électriques. Dans cette perspective, le groupe a racheté la société de véhicules électriques Wattmobile, le 17 mars dernier.

« L'avenir réside dans une meilleure utilisation des infrastructures existantes »

Une stratégie de croissance externe qu'Ardian Infrastructure veut encourager pour ses autres participations : « Nous devons inciter les entreprises dans lesquelles nous investissons à acquérir des sociétés innovantes. Et, quand cela sera nécessaire, nous participerons aux augmentations de capital qui leur permettront de financer ces acquisitions », affirme Mathias Burghardt. Décidé à aider son portefeuille de participations à bien négocier le virage du digital, Ardian Infrastructure a mis sur pied, il y a un an, une équipe de trois personnes (sur un total de 30), dédiées aux nouvelles technologies. A charge, pour elles, d'évaluer le degré de transformation digitale de chacune des sociétés en portefeuille, et de mener une veille technologique afin de les aider à s'adapter à la révolution numérique. « Aujourd'hui, la quantité d'infrastructures est telle que l'avenir ne réside pas dans la construction de nouvelles infrastructures, mais dans une meilleure utilisation des infrastructures existantes grâce aux technologies innovantes », estime Mathias Burghardt.

La preuve avec les applications mobiles qui aident les voyageurs à déterminer le meilleur trajet pour se rendre à l'aéroport, ou avec la possibilité de télécharger des films dans les aérogares en attendant l'embarquement. « L'aéroport de Naples a fait de gros efforts de numérisation, ce qui lui a permis d'augmenter sa capacité de 20% sans débourser un euro dans le béton », témoigne Laurent Fayollas, « managing director » chez Ardian Infrastructure. De la même manière, dans sa dernière lettre aux actionnaires, publiée en janvier, le fonds américain d'infrastructures Alinda cite le cas de l'opérateur portuaire BCTN, aux Pays-Bas, dont les nouvelles grues high-tech permettent de réduire la durée de chargement des containers sur les navires, grâce à un système de localisation basé sur des algorithmes. De là à ce que les investissements dans les infrastructures bénéficient des valorisations très élevées de nombre de startups du digital, reste un pas qu'il n'est pas question de franchir. « Le numérique permet de mieux gérer les entreprises, mais, dans dix ans, nous ne revendrons pas Indigo au prix d'une société technologique, avec un multiple de dix fois le chiffre d'affaires », sourit Mathias Burghardt.

Christine Lejoux

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Commentaire 1
à écrit le 08/04/2016 à 9:18
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Les seuls travailleurs qui s'en sortiront à l'avenir sont les vrais experts, les hyper-qualifiés qui n'auront plus besoin de cette vieille béquille qu'est le salariat. Pour les autres ce sera la vie uberisée et low cost sans doute et la classe moyen...

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