Du réel au virtuel, l'assurance et la banque mettent un pied dans le métavers

C’est une première en Europe dans l’assurance. AXA France vient d’annoncer son arrivée dans le métavers, ce monde virtuel issu des jeux en ligne qui bouscule la Tech et fascine de nombreuses marques. Il s’agit pour l’assureur de s’initier à ce nouvel univers et de tester en interne des cas d’usage, notamment dans le domaine de la formation. Quelques (rares) banques franchissent également le pas, surtout pour conforter une image de modernité. Les géants de paiement ont des ambitions plus affirmées, persuadés de l’émergence d’une économie parallèle.
La plateforme Sandbox pourrait devenir le nouveau terrain de jeu de l'assurance et de la banque.
La plateforme Sandbox pourrait devenir le nouveau terrain de jeu de l'assurance et de la banque. (Crédits : Reuters)

Le mouvement est timide mais bien réel. Le monde de l'assurance et de la finance commence à s'intéresser au sujet du métavers, cet espace virtuel connecté à Internet, tout droit sorti de l'univers des jeux en ligne (Second Life, Minecraft, Roblox et autres Fortnite), un marché de quelque 300 milliards de dollars !

L'assureur AXA France est sans doute le premier assureur à franchir le pas en Europe. Il vient ainsi d'acquérir une « parcelle » (droit à exploiter un lieu numérique) sur la plateforme SandBox. Cet éditeur de jeux sur mobiles, basé à Hong Kong et créé par deux Français, a très vite compris l'intérêt potentiel du métavers, bien avant même l'annonce, à l'automne dernier, du virage stratégique de Facebook vers le métavers, provoquant au passage une flopée de projets dans le monde entier.

 « Nous sommes fondamentalement tournés vers l'innovation et notre intuition nous commande d'aller expérimenter ce nouveau terrain de l'innovation », résume David Guillot de Suduiraut, directeur de la Transformation et des Technologies d'AXA France. Le dirigeant se souvient des premiers pas du travail à distance, il y a quelques années à peine, avec de nouveaux outils digitaux et comment aujourd'hui c'est devenu un mode de travail courant, incontournable.

« Lorsque nous observons aujourd'hui l'univers du gaming sur ces plateformes où de nombreuses interactions s'opèrent avec une multitude acteurs, et sur lesquelles des marques extérieures commencent à arriver, nous pensons qu'il y a énormément de choses intéressantes qui en sortiront », soutient-il. Il remarque au passage que depuis le smartphone, les usages privés s'imposent dans le monde de l'entreprise, et non plus l'inverse.

Des cas d'usage en interne

Dès lors se pose bien évidemment la question des cas d'usage du métavers dans l'assurance. Pour AXA France, ces pratiques seront dans un premier temps internes. Il s'agira, tout d'abord, d'utiliser le métavers pour animer son importante communauté Tech au sein du groupe - environ 2.000 personnes bientôt rejointes par 780 recrutements dans le digital prévus cette année. Cela « afin que les gens puissent se rencontrer non plus sur Teams mais aussi dans des espaces virtuels en 3D où chacun disposera de son avatar pour assister à des conférences de 30 ou 100 personnes ou basculer en quelque clics sur une réunion plus restreinte », imagine David Guillot de Suduiraut. En fait, le métavers pourrait être une sorte de prolongement du travail à distance, en plus fun.

« Le deuxième thème qui sera abordé est celui de la formation, qui s'est déjà beaucoup digitalisée, à l'image de notre programme Climate Academy, entièrement assurée en digital. Il y a certainement possibilité d'assurer des formations dans le métavers », poursuit le responsable innovation, également membre du comité exécutif d'AXA France.

Ces formations pourront d'ailleurs de plus en plus s'inspirer du gaming ou de la pratique des dojos, où des groupes de développeurs se challengent entre eux pour résoudre un problème.

Premiers pas vers l'agence virtuelle

Parallèlement, certaines initiatives commencent à explorer le terrain de la relation clients, à l'image des grands distributeurs ou des marques de luxe qui s'installent dans le métavers. Ainsi un agent général et un agent prévoyance du groupe sont en train d'expérimenter le concept de l'agence virtuelle, avec des prises de rendez-vous dans le métavers. L'un des deux est d'ailleurs un passionné de gaming et un membre actif des communautés Low-Code/No Code (développer des applications sans connaître le codage) et connaît des clients qui partagent les mêmes passions.

L'agence virtuelle est la voie tentée par un des (très) rares assureurs également présents dans le métavers, le coréen Heungkuk Life Insurance qui a rejoint le groupe de travail sur le sujet, créé l'an dernier à l'initiative du ministère des sciences et des technologies de l'information. L'idée est de permettre à un client de consulter une agence virtuelle à l'aide d'un casque de réalité virtuelle.

Et pour les applications assurancielles ? « C'est un peu trop tôt pour le dire. Vous pourrez probablement utiliser ces espaces virtuels pour assurer le monde réel, et c'est déjà ce qui se passe, notamment en Corée du Sud et en expérimentations chez deux de nos agents. Ce sera comme un prolongement de l'utilisation du digital. Il faudra sans doute ensuite envisager d'assurer les biens virtuels. Aujourd'hui, nous n'avons pas de réponse et il n'existe pas d'ailleurs de demande », avance David Guillot de Suduiraut.

Trop risqué pour être assuré ?

La Méta- assurance n'est donc pas pour demain. Pourtant, il existe déjà une explosion des prix des biens, qui mériteraient donc d'être assurés, que ce soient les cryptomonnaies, les NFT ou même l'immobilier virtuel. Certaines estimations prévoient un marché dans le métavers de 500 à 1.000 milliards de dollars d'ici cinq ans !

« Ces univers parallèles ont des singularités propres, au cœur desquelles des identités et actifs digitaux. Or, ces actifs soulèvent précisément des difficultés majeures pour les assureurs, à commencer par les notions de responsabilité et de propriété que les NFT et la blockchain ne seront pas nécessairement en capacité d'appréhender complètement. La volatilité de la valeur de ces actifs est un autre sujet, notamment pour l'indemnisation en cas de sinistre », s'interroge Florence Tondu-Mélique, PDG de Zurich France.

Au final, pour la dirigeante, le constat est aujourd'hui clair : « ces nouveaux mondes sont trop naissants pour être assurés ». Sans pour autant fermer la porte. « Une fois les risques identifiés et évalués en amont, les métavers pourraient devenir les premiers univers « insured by design » souligne Florence Tondu-Mélique. L'assurance de demain devra en tout état de cause s'adapter, d'une façon à une autre, à l'hyper-digitalisation de notre quotidien.

Chaînon manquant

La banque et la finance s'embarquent peu à peu également dans l'aventure. A pas comptés. « Les expériences bancaires dans le métavers restent l'exception et relèvent aujourd'hui avant tout d'une logique de communication », estime Nosing Doeuk, associé chez mc2i, qui vient de publier une étude sur l'évolution des usages bancaires.

Mais, précise-t-il, « les cas d'usage se profilent à l'horizon, notamment pour récréer une proximité dans un monde de plus en plus digitalisé. Le métavers pourrait ainsi être le chaînon manquant entre la banque traditionnelle à réseau et la banque 100% digitale. 70% des clients que nous avons interrogés souhaitent en effet trouver un équilibre entre la banque à distance et la relation avec un conseiller ».

Imagin, la filiale de CaixaBank, spécialisée dans les services numériques et ciblée sur la jeunesse connectée, vient ainsi de réaliser un joli coup de com' avec l'ouverture d'un « café » virtuel sur la plateforme Decentraland, copie conforme en 3D de son ImaginCafé ouvert dans le centre de Barcelone. Une première pour une fintech en Europe.

Concert virtuel pour jeunesse connectée

L'ouverture de l'espace, le 8 avril dernier, s'est accompagnée d'un concert enregistré en format 360 degrés, et retransmis en direct dans l'univers virtuel. Ensuite, les « avatars » clients d'Imagin pourront accéder à des contenus surtout liés à la culture (concerts, expos), sous réserve qu'ils soient équipés, notamment d'un casque virtuel ! L'idée de CaixaBank est clairement de marquer le coup, et sans proposer de services financiers en mode virtuel, est d'attirer de nouveaux clients en faisant au passage une belle promotion de sa marque « jeune ».

De son côté, JP Morgan se montre plus discret. Mais l'ouverture d'un « salon » dans le monde virtuel de Decentraland, sous sa marque dédiée aux cryptos Onyx, s'est accompagnée de la publication d'une sorte de manifeste sur toutes les opportunités à venir du métavers. Car JP Morgan est également une banque d'investissement et elle doit montrer à tous ses clients qu'elle a une expertise dans ces sujets émergents, y compris sur la blockchain ou les cryptoactifs. Une question de crédibilité. Surtout que les premiers fonds d'investissement, avec le métavers comme thématique, commencent à arriver sur le marché, à l'instar AXA IM. Le groupe HSBC a également acquis une parcelle dans Sandbox, sans préciser toutefois ses projets.

Économie parallèle

Dans son document, JP Morgan souligne que le succès du métavers « dépend de l'existence d'un écosystème financier robuste et flexible qui permettra aux utilisateurs de se connecter de manière transparente entre les mondes physique et virtuel. Notre approche des paiements et de l'infrastructure financière permettra à cette interopérabilité de se développer ».

« Le métavers qui est un environnement virtuel, avec une population, de l'argent qui circule, généralement sous la forme de cryptomonnaies, une économie qui se développe sur la base d'actifs... Il y a donc toutes les conditions pour dupliquer une économie de marché et à ce titre les banques auront toutes leurs places, notamment dans la gestion des paiements », avance Nosing Doeuk.

Ce n'est donc pas un hasard si tous les géants du paiement sont déjà présents dans le métavers, comme Apple Pay, Google Pay, PayPal Visa ou Mastercard, sans parler des plateformes d'échange de cryptos ou les cryptos wallets. Visa et Mastercard multiplient ainsi les projets et les demandes d'agrément, avec dans le viseur d'être un acteur des échanges d'actifs numériques ou assurer tout simplement le traitement des cartes de paiement dans le metavers.

L'émergence de cette économie parallèle est loin d'être une idée partagée. De nombreuses banques sont encore loin d'être convaincues de l'intérêt du métavers.  Sur son blog, Anne Boden, la très suivie et écoutée patronne de la néobanque Starling, émet de sérieux doutes : « il est toujours plus simple d'assurer un contact humain 24h/24 et 7j/7 via une application mobile ! ».

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