Ruée vers le "métavers" des géants de la tech : le grand public succombera-t-il en 2022 ?

BILAN ET PROSPECTIVE. Dans le sillage de Meta -nouveau nom de Facebook depuis octobre-, de nombreuses entreprises technologiques du monde entier travaillent d'arrache-pied pour lancer au plus vite les premières applications du "métavers", vieux concept de science fiction qui revient en grâce. Leur rêve : transformer cette utopie d'un monde parallèle virtuel libéré des contraintes physiques, en réalité d'usage pour des milliards d'humains, provoquant la bascule dans un "web 3.0" doté de sa propre économie. Le géant chinois Baidu a déjà dégainé en lançant ce lundi dans son pays la première application chinoise du "métavers". Microsoft, Alibaba, Apple ou encore Tencent et bien d'autres sont aussi dans les starting blocks. Mais que regroupe exactement le métavers ? S'agit-il d'une vraie révolution ou d'une simple continuité technologique ? Début de réponse dès 2022.
Sylvain Rolland
Commerce en ligne, réseaux sociaux, jeux vidéo, culture et loisirs -musées, concerts, expositions...- : le champ des possibles paraît énorme, y compris dans les secteurs dits traditionnels comme l'industrie, très friande de jumeaux numériques.
Commerce en ligne, réseaux sociaux, jeux vidéo, culture et loisirs -musées, concerts, expositions...- : le champ des possibles paraît énorme, y compris dans les secteurs dits "traditionnels" comme l'industrie, très friande de "jumeaux numériques". (Crédits : Reuters)

Propulsé par Facebook cette année, qui a réorienté toute sa stratégie d'entreprise autour de la création d'un "métavers", ce concept de doublure numérique du monde physique saura-t-il dépasser les effets d'annonce et s'imposer dans les usages ? C'est assurément l'un des enjeux de 2022 pour toute l'industrie de la tech. Mais s'il faudra attendre encore pour savoir si le grand public répond présent, les premières applications du métavers arrivent déjà. Et notamment en Asie. Baidu, surnommé le "Google chinois", a réalisé lundi 27 décembre sa première conférence de presse dans le métavers, en présence de son patron Robin Li, face à un public d'avatars.

Plonger dans une piscine numérique

Lors de cet événement, Baidu a présenté XiRang ("terre d'espoir", Ndlr), sa première application dans le métavers. Celle-ci permet de créer un personnage numérique (avatar) et d'interagir avec d'autres utilisateurs dans un monde en 3D. Sur XiRang, les utilisateurs sont libres de leurs mouvements au milieu de faux décors naturels ou d'une ville fictive. Comme dans la vie réelle, ils peuvent se rendre dans une exposition (virtuelle), dans une reproduction du temple de Shaolin, ou encore pratiquer le plongeon dans une piscine numérique.

Accessible sur téléphone portable, ordinateur ou casques de réalité virtuelle, l'application XiRang n'est disponible qu'en Chine. Le CEO de l'entreprise a révélé que Baidu planchait sur ce projet bien avant que le terme métavers ne devienne populaire en octobre, après la décision de Facebook de rebaptiser son groupe Meta.

Lire aussi 7 mnRéalité virtuelle: le "métavers" de Facebook, pari fou ou coup marketing ?

Le retour de l'engouement autour de "vieilles" technologies qui peinaient à éclore

Les opportunités offertes par la création d'un nouveau monde virtuel qui permettrait de se libérer des contraintes physiques en multipliant les interactions humaines en 3D, aiguisent l'appétit des géants du numérique. Contraction de méta-univers, "metaverse" est pourtant un vieux concept hérité de la science-fiction, qui repose sur des technologies déjà connues : la réalité augmentée et la réalité virtuelle. Celles-ci existent depuis longtemps mais elles peinent toujours à trouver leur public par manque d'usages concrets et par leur incapacité à apporter une vraie plus-value à l'expérience en ligne.

Mais la pandémie de Covid-19, qui a propulsé le télétravail sur le devant de la scène pour les entreprises et accéléré drastiquement l'adoption des usages numériques dans la société, a probablement rebattu les cartes. Et poussé Facebook comme d'autres géants du Net, à penser que le moment était venu pour trouver un marché de masse à la 3D, rendue aussi plus accessible et agréable à l'usage par les progrès des casques, l'arrivée de la 5G, et des technologies capables de créer des environnements virtuels.

Coup marketing génial ou vrai changement de paradigme ?

Malgré l'engouement certain, tout reste encore à faire. Et les géants du Net avancent leurs pions à la recherche des applications qui feront succomber le grand public. Côté Chine, le mastodonte de l'internet Tencent planche sur sa propre plateforme de métavers, fort de son expérience dans les jeux vidéo dont il est un acteur majeur. Quant au champion chinois du e-commerce Alibaba, il a créé une filiale pour réfléchir aux différentes opportunités offertes par le métavers. Enfin, ByteDance (TikTok) a investi dans plusieurs entreprises du secteur, dont le fabricant de casques de réalité virtuelle Pico.

Côté occident, Apple va dévoiler en 2022 un nouveau casque de réalité mixte -à la fois virtuelle et augmentée pour garder un pied dans le monde réel- qui pourrait aider à démocratiser l'usage. De leur côté, Facebook et Microsoft espèrent rafler la mise du métavers dans le monde du travail. En tant que champion de la bureautique et du cloud, Microsoft a une belle carte à jouer et a annoncé en novembre sa solution "Mesh for Teams", dont le lancement est prévu pour 2022 d'abord en mode béta. Mesh permet d'apparaître sous forme d'avatar dans Teams -la plateforme de visioconférence de Microsoft- à la place d'activer la vidéo. Elle permet aussi aux employés d'une entreprise de se réunir dans un espace virtuel dédié, exactement comme la propre solution de Facebook, baptisée Horizon. Ironiquement, Mesh n'est qu'une évolution de Altspace VR, une startup que le géant californien avait rachetée en 2017... bien avant, donc, que le concept revienne à la mode.

Double ironie, l'annonce de novembre, associée au buzzword "métavers", a engrangé un certain engouement médiatique. Mais Mesh avait déjà été dévoilé en... mars 2021, dans la quasi indifférence générale. Ce qui pose question : le métavers est-il une vraie révolution potentielle des usages ou un simple coup marketing génial pour tenter une énième adoption de la réalité virtuelle et augmentée, alors que les précédentes vagues de promotion de ces technologies avaient échoué ? Autrement dit, le "métavers" a-t-il vraiment un public et un marché ?

Course au métavers chez les géants du Net du monde entier

2022 apportera certainement un début de réponse à cette question. Mais la différence, majeure, avec les tentatives précédentes, est que toute l'industrie de la tech semble vouloir croire que l'heure est venue. L'arrivée de la 5G et des expériences mobiles, l'amélioration des casques, l'adoption massive des usages numériques post-confinements tel que la visioconférence et le télétravail, changent aussi la donne. Par conséquent, l'industrie de la tech semble prête à mettre les moyens. Meta (nouveau nom de Facebook), va lâcher "plusieurs milliards" de dollars dans son métavers et a promis l'embauche de 10.000 personnes en Europe pour en créer les futures applications.

De son côté, Microsoft mise sur une adoption douce et opère en ce sens un subtil pas de côté par rapport à Facebook. Plutôt que d'aborder le métavers comme un nouvel internet -ou web 3.0- qui interconnecte de nouvelles expériences virtuelles et qui obéit à sa propre économie en intégrant des jetons numériques NFT -ce qui est la promesse et la vision à terme de Facebook-, l'entreprise de Satya Nadella le définit simplement comme un "environnement immersif" connecté au réel. Ce qui paraît tout de suite plus abordable. Dans la bouche de Satya Nadella, le métavers est simplement une nouvelle fonctionnalité pour améliorer l'expérience utilisateur quand il télétravaille ou qu'il doit assister à des réunions à distance via un logiciel de visioconférence.

La manœuvre est habile, car elle vise à habituer le public de manière douce. Microsoft encourage ainsi ses clients à créer eux-mêmes leur propre "métavers" avec Teams. Avec succès : le géant du conseil Accenture a lancé en fin d'année Accenture Park, un espace pour faire "l'onboarding virtuel" des nouveaux collaborateurs, c'est-à-dire accueillir les recrues. L'entreprise a acheté 60.000 casques de réalité virtuelle Oculus Quest 2 -fabriqués par une filiale de Facebook- pour cela. Et une centaine de sessions impliquant plus de 10.000 collaborateurs se seraient déjà tenues.

En dehors des géants du Net américains et chinois, les acteurs du monde du shopping en ligne -pour faire essayer les vêtements à son avatar avant d'acheter le produit- ou du jeu vidéo sont très intéressés par le métavers, et ce depuis plusieurs années. En avril 2020, en plein confinement, Fortnite -qui appartient au studio Epic Games- a créé la sensation en organisant sur sa plateforme une série de concerts virtuels du rappeur américain Travis Scott. 28 millions de joueurs ont assisté à l'événement : leur avatar pouvait danser autour de l'avatar du chanteur...

Inévitable fusion de l'environnement physique et numérique ?

Autrement dit, le métavers est peut-être simplement le concept marketing qui manquait pour faire adopter toutes les technologies qui créent des environnements numériques virtuels et augmentés. Commerce en ligne, réseaux sociaux, jeux vidéo, culture et loisirs -musées, concerts, expositions...- : le champ des possibles paraît énorme. Y compris dans l'industrie : la technologie des jumeaux numériques, en vogue dans l'usine 4.0, les entrepôts de distribution ou les infrastructures de la smart city et des réseaux d'énergie, peut être définie comme un métavers industriel. Après tout, il s'agit d'une armée de capteurs qui permettent, grâce à l'intelligence artificielle, d'effectuer une reproduction numérique de l'infrastructure -un avatar d'usine, en quelque sorte- pour faire de l'optimisation de tâches et de la maintenance prédictive.

A ce titre, le mot métavers incarne en fait la fusion inévitable entre le monde réel et le monde virtuel, conséquence implacable de la transformation numérique de la société et de l'économie. 2022 devrait donc voir se multiplier les innovations se revendiquant du métavers. Et, avec elles, de nouveaux enjeux : quelle protection des données et du jumeau numérique à l'ère du métavers ? Quels nouveaux biais algorithmiques ? Comment légiférer sur le vol d'objets virtuels et l'échange de monnaie virtuelle ? Comment éviter que ce nouvel internet soit pris d'assaut par quelques entreprises monopolistiques, à commencer par les Gafam ? Autant de questions qui paraissent encore lointaines, mais qui pourraient très vite arriver dans le débat public si les champions de la tech réussissent leur pari en 2022.

Sylvain Rolland

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Commentaires 10
à écrit le 30/12/2021 à 10:24
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Bref! Des autistes qui se réfugient dans le virtuel en détruisant le réel!

à écrit le 30/12/2021 à 7:21
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Karl Marx... les situationistes.. Debord.. Günther Anders..

à écrit le 30/12/2021 à 3:52
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Il est urgent pour l'Europe de se passer de tout ce qui pourrait la lier à des supports de l'Empire américain .Toutes nos données sont déjà siphonnées par des lois de contraintes américaine. Voir l'interview de ce qui est arrivée au directeur comm...

à écrit le 29/12/2021 à 23:24
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Potentiellement, un excellent relai de croissance pour nos belles cycliques du luxe !

à écrit le 29/12/2021 à 18:07
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C'est du réchauffé... En 2003 sortait un projet debuté en 1999 ! Second life ça s'appelait, y'en a eut d'autre... En fait la montagne de sucre en hypoglycémie cherche à vendre la version 50 12 de son casque virtuel acheté à grands frais, Oculus ou...

à écrit le 29/12/2021 à 16:18
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Le coït en 3.0....quel fantasme! On fabrique surtout des soumis en 3.0, des plaisirs et des sensations virtuelles (payantes?) pour la masse....seuls quelques heureux élus auront le droit au monde réel. Le métavers permettra de donner du pain (virtue...

à écrit le 29/12/2021 à 15:03
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Mouais, essayer de créer un nouveau marché en essayant de créer un nouveau besoin, je crois que le bidule va se vautrer comme les google glass qui étaient le truc prétendument génial. Un concept, mais vide d'utilité ça vaut pas un clou(d)

à écrit le 29/12/2021 à 12:57
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La betise humaine est sans limites.

le 29/12/2021 à 15:02
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ily a un peu de macronie dans cela les illusions, le paraitre rien de reel ou vas le fric les banquiers de frotte les mains

à écrit le 29/12/2021 à 10:39
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Ce n'est pas une révolution technologique, ça fait longtemps d'ailleurs qu'il n'y en a pas eu, on nous a promis la voiture autonome en quelques années et elle a disparu après avoir tué deux innocents, on nous parle sans cesse d'intelligence artificie...

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